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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Jawhar

Nicolas Alsteen

Le retour du printemps marque l’arrivée du quatrième album de Jawhar. Avec ce disque baptisé Tasweerah (image ou portrait en tunisien), l’artiste pulvérise les frontières entre l’Afrique et l’Occident en quelques vignettes acoustiques soigneusement produites. À cette occasion, Larsen dresse le portrait du jeune homme en artiste via quatre disques choisis et décryptés au plus près du cœur.

Bob Marley & The WailersSurvival (1979)

J’ai passé mon enfance en Tunisie. À une époque où Internet n’existait pas, il était difficile d’appréhender la diversité musicale. Dans mon pays, se procurer des disques en dehors des classiques du raï et du chaâbi, ça relevait quasi de l’exploit. En arrivant à Lille pour mes études, j’ai d’ailleurs réalisé tout le retard accumulé. Un exemple ? J’avais 20 ans lorsque j’ai appris l’existence de Jimi Hendrix… Quand je vivais encore à Radès, dans la banlieue de Tunis, j’ai toutefois eu la chance d’écouter cet album de Bob Marley grâce à un ami dont le frère travaillait en France. De passage en Tunisie, il lui ramenait parfois des vinyles. C’est comme ça que j’ai découvert Survival, le reggae et la facette politique de Bob Marley. Sa musique était un moteur social. D’un coup, je réalisais qu’il était possible de défendre des opinions via des chansons. Survival m’a également confronté à l’ère post-colonialiste et aux tristes réalités du monde moderne. Découvrir un disque comme celui-là, à l’adolescence, ça laisse forcément des traces…


Nick DrakeFive Leaves Left (1969)

J’étudiais la littérature anglaise à Lille lorsque Five Leaves Left a surgi dans ma vie. Ce disque a été une révélation majeure, mais aussi une véritable porte d’entrée vers d’autres formes de musiques alternatives. C’est en écoutant l’une de mes premières compos qu’un ami m’a suggéré de me pencher sur l’œuvre de Nick Drake. Il était persuadé que ça allait me plaire. Difficile de lui donner tort… Les chansons de cet album faisaient écho à mes propres aspirations : elles mélangeaient avec subtilité poésie et intimité. Et puis, surtout, elles entretenaient des liens étroits avec des textes écrits par Emily Dickinson ou William Blake. En tant que musicien, je considère Five Leaves Left comme une influence capitale.


Bob DylanThe Times They Are A-Changin’ (1964)

En comparaison avec les chansons acoustiques de Nick Drake, celles de Bob Dylan se situent à l’extrême opposé. Sa proposition musicale est bien plus rustre, concrète, bavarde et engagée. J’avais une trentaine d’années quand je suis tombé sur The Times They Are A-Changin’. Durant cette période, j’écoutais aussi de l’ambient, du jazz, des griots africains, de la musique indienne ou le blues de Skip James. Mais à choisir, je retiens ce disque de Bob Dylan. On y retrouve notamment le morceau With God On Our Side, dans lequel il évoque les guerres menées au nom d’un nationalisme empreint de dévotion religieuse. C’est un thème qui me touche. Bien que, dans mes chansons, je vise plutôt la religion lorsqu’elle occulte les évolutions sociales et les réalités de la vie moderne. Comme j’étais adulte quand j’ai découvert cet album, j’avais le recul nécessaire pour appréhender le côté roublard de Bob Dylan qui, très habilement, surfait sur l’actualité pour imposer son style. Malgré cet aspect arriviste, il a élaboré une recette musicale infaillible, totalement intemporelle.


RadioheadIn Rainbows (2007)

Pendant longtemps, j’ai observé Radiohead de loin. Je ne me reconnaissais pas dans les morceaux de ce groupe qui, à mon sens, avait un petit côté ado attardé. Puis, l’album In Rainbows est sorti et toutes mes certitudes se sont effondrées. C’est dingue comme un disque peut modifier la perception que l’on a d’un projet… À mon sens,il s’agit d’un classique. Cet album forme un tout, cohérent de bout en bout. Après sa sortie, j’ai reconsidéré toute la discographie de Radiohead. Désormais, j’ai même l’impression d’être un vrai fan. En tout cas, une chose est sûre : In Rainbows est arrivé au bon moment dans ma vie. Il marque l’évolution de mes goûts musicaux et  symbolise mon besoin d’ouverture à une esthétique à la fois plus pop et expérimentale.