Fred Jannin
Du crayon au sampler
On le connaît pour la BD Germain et nous, ses délires au sein des Snuls et ses duos poilants avec son comparse Stefan Liberski. Mais Fred Jannin est aussi musicien, même bien plus qu’on le croit! Et ça ne date pas d’hier.
Déjà, il y a cet album, Timeless Mess, sorti en mars dernier… Un titre on ne peut plus clair: il compile des morceaux écrits au fil des ans par l’intéressé, ici et là à l’aide des premiers logiciels de composition, accumulés sur des disques durs ou, pour les plus anciens, des bandes quart-de-pouce. « Ces morceaux m’ont accompagné pendant toute ma vie, raconte Fred Jannin. Je sais que tel ou tel correspond à tel moment, quand je souffrais parce que ma femme était partie avec un autre, bla bla bla… Quand on a mal, on a envie d’écrire des trucs. Et à chaque fois que sortait un nouveau logiciel, un nouveau clavier, un nouveau synthé, le petit sampleur des débuts, ça me donnait envie de retravailler ces morceaux, sans jamais me dire qu’ils devaient sortir à l’un ou l’autre moment. » D’où Timeless Mess, mis en images à l’aide de l’IA, (re)mis en musique en compagnie de Nicolas Fiszman, Félix et Nicolas Vandooren. « Sans vouloir faire de psychanalyse, c’est aussi un moment de reconsidération, de bilan. Notamment parce que je suis pensionné, maintenant. Je suis un vrai vieux officiel. Ma vie a complètement changé, basculé et c’est passionnant. »
Fred Jannin
Si je n’avais pas eu d’eczéma,
peut-être que je serais devenu punk.
Plus musicien qu’on le pensait donc, parce que Fred Jannin, c’est notamment les Bowling Balls. Un groupe survenu au rayon synthpop en trois naissances successives : d’abord sur papier, dans Le Trombone Illustré, le supplément du magazine Spirou, ensuite sous forme de canular à coups de faux communiqués de presse et de pochettes de disques, et enfin comme un vrai projet, avec la sortie le 1er avril 1979 d’un premier 45T : God save the night fever. Les Bowling Balls, soit le même Fred Jannin, Thierry Culliford (le fils de Peyo), Christian Lanckvrind et Bert Bertrand (fils du scénariste Yvan Delporte), vivront quatre ans. En décembre 1981, leur Praying for a cheaper christmas sortira sur une compile des Disques du Crépuscule, soi-disant signée par les Swinging Buildings. Jannin et Bert Bertrand deviendront aussi The Piggies, le temps d’une version alternative de ce morceau à destination d’un disque de Noël chez WEA. En en juin 82, Jonathan Richman himself joue de la guitare sur Ten good reasons. Les Bowling Balls disparaissent avec le suicide de Bert Bertrand à New York en 1983.
« Alain De Kuyssche (rédacteur en chef de Spirou de 78 à 82 avant de rejoindre les équipes de Télémoustique, ndlr) connaissait bien les maisons de disques. Un jour, il a parlé au patron d’EMI Belgique, lui expliquant l’histoire de ce faux groupe dans Spirou, lui disant que ce serait drôle si on pouvait en faire quelque chose, et il est revenu vers nous en disant qu’on pouvait enregistrer un disque des Bowling Balls comme s’ils existaient vraiment. » Les principaux intéressés restent conscients du gag. « On a écrit du disco punk pour la face A et un reggae chinois pour la face B. C’était clairement un foutage de gueule. » Et d’ajouter qu’il lui a fallu des années pour comprendre qu’au fond, il n’a fait que ça, côté musique. « C’est bizarre de sortir là Timeless Mess, qui n’en est pas du tout ! »
Sur YouTube, parmi les commentaires qui accompagnent le clip de You don’t know what it’s like to be alone in the house (tourné dans l’appartement de Gilles Verlant), quelqu’un a écrit que ce titre aurait pu devenir un hit européen si une promo convenable avait été assurée… « Clairement, avec Bert, on a commencé par du foutage de gueule. On a fait un faux tube italien aussi, Come va. Je crois que I’ll never eat again se moque des chansons d’amour. Aujourd’hui, quand je relis les textes de Bert, je les trouve fantastiques, parce qu’il y a du troisième ou du quatrième degré, des jeux de mots que personne ne comprend, sauf si on maîtrise très bien l’anglais. À un moment, effectivement, puisqu’on travaillait très rapidement et avec beaucoup de passion, on a commencé à faire des chansons qui n’étaient pas des blagues. Et c’est vrai qu’avec You don’t know…, on s’est peut-être pris au jeu, qu’on avait envie de partager le plaisir d’écrire des chansons. You don’t know… n’est pas une chanson rigolote. Elle tient la route comme ça. »
Des punks et un sampleur
Zinno, au départ, c’était également une blague. Le duo qu’il forme avec Jean-Pierre Hautier (alors présentateur en radio à la RTBF – ndlr), est produit par Marc Moulin et déboule dans notre paysage musical avec What’s your name. Nous sommes alors en 1985. « Marc avait lancé un label, Magic, qui sortait principalement des maxis de dance, pour les boîtes, de la musique de jeunes, quoi. On se voyait souvent, on se marrait bien. Et il a dit : “Allez, si on allait en studio faire un truc ?”. Lui était fan de James Bond, moi pas forcément. Et donc il avait des VHS et on a fait du sampling. C’était aussi pour pouvoir jouer avec le nouveau gadget de Dan Lacksman. Il avait fait l’acquisition d’un Fairlight commandé en Australie, qui a mis du temps à arriver et qui nécessitait aussi une bonne connaissance du mode d’emploi… »
À Bruxelles, dans les années 80, ça bouillonne. Et Fred Jannin multiplie les rencontres marquantes. Avec les Bowling Balls, il croise ainsi la route de Nicolas Fransolet, qui sera plus tard de l’aventure des Snuls et de leurs tubes belgo-belges. « Il était dans une école de photo et plusieurs portraits du groupe sont de lui. Nico est devenu l’associé de Kris Debusscher qui, lui, était dans les Mad Virgins. » Soit, avec I am a computer, l’un des groupes punks emblématiques de la fin des années 70, de ce côté-ci de Camden Town… « La première fois que je l’ai vu, c’est quand il est venu enregistrer un 45 tours dans mon petit studio, chez moi à Uccle. »
Fred Jannin n’est pas devenu punk pour autant. D’ailleurs, les punks lui flanquaient la trouille ! Une petite trouille, précise-t-il. « Quand ils venaient, je me disais qu’ils allaient peut-être tout casser ! J’étais un petit peu propre sur moi et plein d’eczéma. Si je n’avais pas eu d’eczéma, peut-être que je serais devenu punk, je n’en sais rien… Mais donc, il y avait aussi Chainsaw, qui était un vrai groupe punk. Est-ce que Digital Dance est passé enregistrer chez moi ? C’est possible… Mais la cerise sur le gâteau, c’est Ultravox (à l’époque de John Foxx, – ndlr), qui est venu enregistrer des démos. Je ne sais pas via quelle maison de disques ça s’est fait, mais j’ai accepté pour une espèce de forfait que ces Anglais pure souche viennent. J’appréhendais aussi, au départ. Mais c’était des gens tout à fait doux et adorables. Ils allaient jusqu’à la place de Linkebeek chercher leur bouteille de lait ! »
Eh oui, il a même eu un studio à lui ! Où Philippe Catherine a également fait un saut, lui aussi pour une démo. « J’habitais avenue de Fré, dans un appartement avec ceux de ma famille qui n’étaient pas encore partis de leur côté. Ma mère m’a offert un piano droit et puis j’avais un orgue avec deux claviers, mon synthétiseur, l’enregistreur, la table de mixage, tout… Et je me suis rappelé qu’on avait cette maison avenue des Tilleuls, où j’avais vécu pendant mes treize premières années. J’ai fait du forcing auprès de mes parents pour qu’on y retourne. En 75, on s’y est installés. J’ai fait ce qu’il fallait pour construire un studio, avec des potes, un peu artisanalement, mais ça faisait quand même studio à une époque où pour enregistrer la batterie, c’était une galère effroyable. Évidemment, aujourd’hui, on fait ça avec notre téléphone… » Il rit. « Ça me fait penser que je ne sais pas où est le mien. Pas grave, il ne doit pas être loin. »
Albums et compiles The Bowling Balls
First & last album for the same price (Ariola – 1983)
- The greatest best of number one hits ever (BMG – 1995)
- For ever and never (Vulcain Records – 2003)
Timeless Mess
Autoproduction