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par le Conseil de la Musique

L'Or du Commun

brille même la nuit

Nicolas Capart

Fort de l’excellent single Négatif, L’Or du Commun retrouve son mojo et le devant de la scène avec un troisième album d’excellente facture. Un disque en forme de crépuscule baptisé Avant la nuit, à la trame presque cinématographique et à la production résolument moderne, où les rappeurs Primero, Loxley et Swing affichent une forme olympique. Rencontre avec le trio dans son repère ixellois.

L'Or du Commun

Demain, cela fera une décennie que L’Or du Commun distille ses notes dans les couloirs et sur toutes les estrades du rap belge. Et un petit moment déjà que la bande n’avait plus sévi de concert. Dans l’intervalle, chacun a vaqué et fut bien occupé : Swing signait un très bon second EP intitulé Alt-F4, Primero s’offrait une parenthèse de douceur au rythme de Serein et Loxley sauçait nos fins de week-end sur les ondes hertziennes du service public… Mais, loin d’être enterré, le désormais trio (depuis le transfuge de Félé Flingue vers Le 77 en 2016) nous revient aujourd’hui les poumons gonflés d’envie et le carnet de rimes chargé à la chevrotine, signant sans doute avec Avant la nuit sa meilleure plaque à ce jour.

Trois années ont passé depuis votre dernière sortie… En dehors du nouvel album et de porter des masques, vous avez fait quoi ?
Primero : Ces deux dernières années, en parallèle de Avant la nuit, on a tous mis un pied dans des projets personnels également… Donc, on n’a pas stagné. De plus, notre studio est prêt et nickel désormais et on y travaille beaucoup.


Loxley

On ne parle pas forcément de nos vies, mais plus volontiers
de sentiments humains et de sujets plus intimes
.


Quid de ce studio où nous sommes justement…
P. : Les bureaux de notre management sont installés ici depuis toujours et on y a écrit un tas de morceaux déjà… Mais, à l’époque, l’espace n’était pas encore aménagé, nous avions du matériel d’appoint seulement, là c’est devenu un vrai beau studio bien équipé. Pendant la période de confinement, chacun en a profité pour bosser un peu en création à la maison et le label (Labrique, – ndlr) en a profité de son côté pour mettre la main à la pâte et se doter d’un studio professionnel, qui aujourd’hui nous sert énormément.

L’enregistrement de Avant la nuit s’est fait ici ?
Loxley : On n’a pas enregistré le nouvel album ici – ce n’était pas encore prêt – mais dans différents spots entre Paris, Bruxelles et les Ardennes. On a écrit et réalisé une bonne partie des nouveaux morceaux, au Gam Studio, du côté de Malmédy. Au final, nous sommes restés six semaines là-bas et sans doute qu’on y retournera. Ce studio-ci, lui, va servir pour la suite…

 

Primero

J’ai l’impression qu’avec les grandes crises, il y a toujours de grands éveils…

 

Vos aller-retour entre Belgique et France étaient fonction des différents producteurs qui ont collaboré au projet ?
L. : Sapiens (2018) et Zeppelin (2017) ont tous les deux été entièrement produits par Vax1 (beatmaker lyonnais, – ndlr). Cette fois, on a vadrouillé pour élargir l’horizon au niveau de la production. Du coup, pas mal de gens se retrouvent dans l’album, la plupart étant basés à Paris mais aussi plusieurs Belges… Il y a Mems, Seezy (complice de Vald), Twenty9, les gars de Maison Antares, toujours Vax1 qui a apporté sa touche encore, Young Fresh (jeune talent noir-jaune-rouge), Dolfa ou encore PH Trigano et Phasm, qui en ont fait beaucoup et travaillé sur la direction artistique du disque.
P. : En gros, on a travaillé par résidences… Chaque fois, on bloquait une semaine ou plus pour se concentrer sur le projet et l’un ou l’autre titre. Une fois c’était dans un studio à Paris, une autre fois dans une maison qu’on louait en Flandre ou en Wallonie (Bierges, Hoeilaart, etc.), tantôt pour rencontrer des beatmakers et enregistrer, tantôt pour se consacrer à l’écriture des morceaux.

Si L’Or du Commun a toujours été, en Belgique, dépositaire d’un certain son old school, on perçoit ici plus que jamais une volonté de modernité.
L. : Avec Vax1 déjà, cela avançait vers quelque chose de plus hybride. Même si j’ai l’impression que cela s’entend malgré tout dans notre rap, dans nos flows, qu’on vient de là. Côté production, notre son a évolué, c’est sûr… Mais pour moi, la frontière entre ce qui est Boom bap et ce qui ne l’est pas est de plus en plus ténue. Il y a surtout une différence de générations entre ce qui se produisait hier sur la base de samples et ce qui est quasiment entièrement composé aujourd’hui.
P. : En France, un gars comme Rim’K est toujours dans le jeu et a réussi à se recycler sans se travestir. Progressivement, il s’est aventuré sur un terrain plus moderne, a collaboré avec de jeunes producteurs, s’est même essayé à l’autotune. Qu’on aime ou pas, c’est quelqu’un qui a réussi à rester dans la course, à l’instar d’un Oxmo ou d’un Booba. Nous ne sommes pas encore des anciens comme eux, mais il est clair que l’Or du Commun a un ADN Boom bap. On a commencé la musique en s’inspirant du rap des 90’s et ce pedigree-là ne disparaît pas. Mais, aujourd’hui, il y avait une vraie volonté de revenir avec quelque chose de frais… L’album est beaucoup plus produit, comporte davantage de chant. Et le côté ancienne école est moins perceptible que sur nos précédents projets.

Vous avez toujours été un groupe qui écrit et a des choses à dire. Lesquelles dans Avant la nuit ?
P. : D’abord, on a essayé de parler plus de nous. De poser un regard introspectif, plutôt qu’un regard sur la société en général, comme c’était le cas sur Sapiens. Ensuite, ce n’était pas forcément réfléchi à l’avance. On entamait des morceaux et ce qui sortait de nous était forcément teinté de ce que l’on vivait à ces moments-là. Et comme l’écriture a couru sur presque deux ans… Plus tard, en réécoutant, on s’est rendu compte que certaines thématiques revenaient beaucoup. Des observations sur les différents moments et ambiances de la journée, ce à quoi l’un et l’autre les rattachaient. Du relationnel aussi, que ce soit amitié, amour ou famille…
L. : Sans que ce soit un album autobiographique pour autant… On ne parle pas forcément de nos vies, mais plus volontiers de sentiments humains et de sujets plus intimes.
Swing : Le sujet peut être identique, c’est l’angle pour l’aborder qui diffère et se révèle plus personnel… Là où on avait tendance à être plus scolaire dans le passé, à développer un thème de manière parfois trop systématique. Ici, l’approche est plus spontanée. Le message toujours dense, mais moins lourd.

Le choix du titre Négatif comme single peut surprendre dans le chef d’un groupe dont l’image au contraire est plutôt souriante et positive.
L. : Ce que dit ce morceau finalement, ce n’est pas que nous voyons le monde de façon négative, mais plutôt en négatif, c’est-à-dire l’envers du décor, entre les lignes… Le clip est assez sombre, mais comporte une touche de couleur, qui du coup prend tout son sens. L’aspect visuel était très présent dans nos têtes au moment d’écrire, en cela cet album se démarque aussi dans sa confection.

Sur l’album, on croise deux fois votre éternel complice Roméo Elvis (Banane, Pollen), mais aussi Caballero, une brève incursion de Zwangere Guy et une charmante visite de Lous & the Yakuza…
L. : Roméo et nous, on a eu des carrières très proches mais jamais vraiment simultanées. Du coup, la question de quels projets prioriser ne s’est jamais vraiment posée pour lui à mon avis… Il est chaque fois motivé à l’idée de venir poser et nous, toujours ravi de l’inviter. Puis, ce côté familial fait partie de notre ADN et de celui de rappeurs comme JeanJass & Caballero, qui ont émergé comme nous au début des années 2010. Tout le monde a rappé ensemble, fauchés à une époque, et même si certains en vivent maintenant, ça soude les gens… C’est très bruxellois aussi je crois. Lous c’est la “mif, une fois encore, et depuis des années… Donc la collaboration s’est faite naturellement.
P. : J’ai vécu avec Lous un certain temps, Rob aussi la connait depuis longtemps… En revenant de résidence, je lui faisais souvent écouter des sessions et elle a eu une affection particulière pour ce morceau (Sable, ndlr). En vrai, il collait parfaitement à son univers, donc on a décidé de le réaliser ensemble. Il y a certainement d’autres artistes francophones avec qui on pourrait avoir envie de collaborer mais finalement, la simplicité a aussi quelque chose d’attirant et on a voulu faire les choses spontanément, avec les personnes et les forces qui nous entourent.

 

Swing

Je pense aussi que nous ne sommes pas encore
à même de bien comprendre ce qu’on est en train de vivre.

 

Et au niveau des thématiques, y en a-t-il que vous auriez voulu aborder sans avoir pu le faire ici ? Une petite chanson sur la Covid peut-être… ? (sourire)
L. : On a tout mis dans cet album… Je pense que si un sujet nous est cher ou urgent, il s’y retrouve forcément.
P. : Il y aurait matière à écrire des morceaux sur cette crise… Parce que l’on vit quelque chose de très particulier, qu’on le vit tous en même temps et que c’est intense. Mais, en effet, en fonction de ta finesse et de ton angle de vue, cela peut soit devenir un morceau intéressant, soit quelque chose d’ultra beauf. Dans l’album par contre, certains morceaux qui n’en parlaient pas à la base ont fini par résonner avec ça. Des thèmes comme la solitude ou l’entraide prennent une autre dimension dans un tel contexte. Cela s’est fait sans que ce soit prémédité, notamment un morceau sur la scène qui a pris tout son sens.
S. : Je pense aussi que nous ne sommes pas encore à même de bien comprendre ce qu’on est en train de vivre. C’est en tout cas comme ça que je le ressens, certainement à l’époque où nous étions en train de finaliser l’album. Du coup, ça semble compliqué de traiter le sujet sans savoir l’impact que cela aura sur nos vies, dans 10 ans par exemple…

D’aucuns profitent de la crise, d’autres la subissent de plein fouet, certains y décèlent du positif là où la plupart n’y voient que du négatif… Les ingrédients d’un débat passionnant pourtant…
L.: Personnellement, j’ai l’impression que toutes les discussions, toutes les réflexions vers lesquelles on va aujourd’hui sur le sujet sont nauséabondes. Les pôles et les extrêmes existent toujours mais le cercle s’élargit et le débat public brasse de plus en plus d’idées contradictoires, d’idées “court-circuit”… Avant existaient encore les notions de vérité et de mensonge. Aujourd’hui, on n’a plus aucun repère et de moins en moins de personnes savent à quoi se raccrocher. Swing a raison, on ne sait pas encore ce qui se passe dans la société. Dans quelques mois ou années, ça va devenir très palpable.
S. : Je me souviens qu’à l’époque où a débarqué le virus, j’étais en train de défendre et promouvoir mon EP. Et, à un moment donné, je refusais toutes les interviews parce que je ne me sentais pas d’essayer de vendre un disque en temps de crise… J’avais l’impression d’être sur un bateau qui coule en train de dire « Vous voulez un donut les gars ? ». Tout ça pour dire que la perception des événements change et évolue et qu’il faudra le temps du recul pour tout capter.
P. : Je serai un peu moins tranché. J’ai l’impression néanmoins qu’avec les grandes crises, il y a toujours de grands éveils… Que cela perturbe les gens dans leur quotidien, avec des conséquences parfois terribles – et clairement nous trois ne sommes pas du tout les plus touchés par tout ça –, mais que ça réveille aussi des élans de solidarité et bouscule les choses positivement parfois. L’adversité provoque la conscientisation, il y a quelque chose de cet ordre-là.

En 2022, L’Or du Commun fêtera ses 10 ans. Une décennie de carrière, c’est toujours le temps de la célébration bien sûr mais aussi celui des bilans.
S. : On sort Le Chill 3 (rires). Dix ans, ça paraît énorme, surtout à nos âges. La tranche 18-30 ans, c’est là que beaucoup se passe et se joue, là que tu prends ton envol et tes responsabilités, que tu deviens adulte et que tu choisis quel genre de vie tu veux suivre… clairement, L’Or du Commun m’a accompagné tout au long du trajet et j’ai l’impression que le groupe était là pour chacune de ces décisions importantes.
L. : C’est vrai qu’on a tout appris avec L’Or du Commun. Et on a tout mis sur la table, avec une énergie très spontanée dans notre façon d’entreprendre les choses. C’est drôle parce que c’est passé vite et, à la fois, ça donne l’impression d’avoir duré deux ou trois vies. On le sait, le temps se dilate parfois étrangement. C’était un pari qu’on a fait et refait plusieurs fois, parce que les plans et les trajectoires changent parfois, jusqu’à ce que soudain ça devienne concret et que l’on puisse en vivre. Mais oui, on fera une belle fête pour marquer le coup l’an prochain.


L’Or du Commun
Avant la nuit
Labrique