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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Leuven

Être et avoir été

Jean-Marc Panis

Un temps chaudron de la musique rebelle, Leuven la paisible aurait-elle perdu sa fougue ? Rien n’est moins sûr. Une petite visite guidée ?

Dans les images du documentaire De Leuvense Sceneon voit des jeunes chevelus à l’assaut de scènes, improvisées ou non. Ils sont prêts à en découdre, avec pour arme leurs jeunes gueules et la rage d’exhiber au monde leur musique, libre et sauvage comme eux. C’était en 1968, la révolte grondait dans la ville universitaire et les vieux gardiens du temple de la vie n’avaient qu’à bien se tenir. Le réalisateur du documentaire, Johan Van Schaeren, semble regretter l’époque qu’il évoque dans son film. Il a bien restitué les agissements de cette jeunesse en mal de reconnaissance, éprise de liberté et d’une irrépressible envie de doigt d’honneur envers ses vieux qui ne lui laisse rien faire. C’était alors la même chanson de Paris à Bruxelles. Mais à Leuven, la révolte qui gronde prend des aspects communautaires, qui vont un peu cacher une partie de la réalité, comme le précise Van Schaeren : « Je pense qu’il y a un gros malentendu sur la révolte de 1968. Les Wallons, et je peux les comprendre, se sont focalisés sur l’aspect linguistique, avec le trauma du Walen Buiten. Mais pour nous, il s’agissait avant tout d’une révolte hippie, emmenée par la volonté de liberté. Ce mouvement visait surtout à mettre par terre les aspects non démocratiques des règles universitaires, dans lesquelles les étudiants n’avaient pas droit de cité. » Qu’est devenu cette énergie qui électrisait les places, cafés et scènes de la vieille ville de Louvain ? Johan Van Schaeren a sa petite idée : « C’est vrai, Louvain a eu une scène bouillonnante dans les années 70 et 80… Une énergie et une liberté folle. Mais après, l’attention s’est déplacée vers Bruxelles, Anvers ou Gand. »

Sur le flanc des camionnettes rutilantes de la ville, on peut lire le slogan louvaniste : “eeuwenoud springlevend”, qu’on pourrait traduire par : “multi-centenaire et bien vivant”. Une posture de com. Un peu trop catchy pour être vraie ?

Sam Pieter Janssens, alias Klankman, l’homme derrière le groupe Clairval, nous éclaire : « Je ne pense pas que ce ne soit qu’un slogan, car il y a beaucoup d’étudiants qui vivent ici. C’est une évidence. Mais surtout : ces étudiants, une fois leurs études finies, restent ici car il y a beaucoup de travail dans le coin. Ce qui amène de la vie ».

Anne Lise Tanghe est une artiste locale. Fille de la petite ville brabançonne (100.000 habitants), elle a grandi à l’ombre des majestueuses et séculaires flèches médiévales de l’hôtel de ville. Aujourd’hui, elle prodigue une musique pop-folk à la magique légèreté, au sein de And Then Came Fall, avec Sam. Elle porte un regard plein de tendresse et de mesure sur la vieille bourgade… qui aime bien, châtie bien : « C’est une petite ville, sans doute moins aventureuse que Bruxelles ou Anvers. Elle s’est un peu assoupie et embourgeoisée… Avant, il y avait au moins le Marktrock. » Ce festival unique en son genre proposait des concerts en plein centre-ville, sur les deux places du cœur historique. Une petite vingtaine d’éditions, tenues le 15 août, qui révéla bon nombre d’artistes locaux, et attira les vedettes internationales, sans compter le public : jusque 350.000 personnes. Intra muros ! Ça n’a pas duré, comme s’en désole Anne Lise : « Ce festival extraordinaire a disparu. Et les gens qui l’organisaient aussi. J’ai le sentiment que la révolte est morte. »

Comme dans d’autres endroits, les réglementations de plus en plus strictes, la professionnalisation du business de la musique et l’inflation galopante des cachets des artistes internationaux ont eu raison du fleuron louvaniste. Anne Lise se console à moitié : « La Culture est toujours là, c’est vrai, mais il faut s’organiser, prévoir d’aller voir un concert six mois à l’avance et bien le noter dans son agenda… je déteste ça!»

Alors, Louvain, devenue trop bourgeoise pour encore vibrer ? Bruno travaille chez Bilbo Records, le seul disquaire encore debout dans la ville (un signe ?). Il n’est pas loin de le penser : « Pour trouver de la vraie musique underground, il faut aller à Anvers ou à Gand. Louvain, c’est une ville d’étudiants. Une fois que tu enlèves les étudiants, il n’y a plus grand monde ici ».

Bram Somers travaille pour l’association Inuit qui aide les jeunes pousses de Louvain à croître. Actif depuis 2008, Inuit propose des concerts dans des cafés, des chapelles, voire même des restaurants. Plus de 60 groupes ont pu se produire devant plus de 5.000 personnes. Fort de ce succès, Bram ne veut tomber ni dans le cliché, ni dans le défaitisme : « Il y a du vrai dans ce cliché de la ville bourgeoise un peu endormie… et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons lancé notre organisation. Louvain est en train de créer un terreau fertile pour les talents locaux et nous pensons que nous pouvons y contribuer en établissant des liens avec d’autres villes, y compris Bruxelles, Anvers et Gand. Cependant, il nous semble inutile de vouloir copier le modèle d’autres villes. Parlons-en dans 3 ans ! ».

Inuit n’est pas le seul à y croire, d’autres lieux ont des démarches similaires, tels le Stelplaats, qui combine lieu de concerts, skate park, ateliers divers et conviviaux, ou le GROEF qui fait la part belle aux artistes visuels et soniques émergents. Les choses bougent donc encore dans la ville de Stella Artois. En tous cas, un lieu n’a pas entendu pour se positionner comme pièce centrale de l’échiquier culturel louvaniste. Het Depot, salle de concert à la carrure internationale, n’a pourtant ja- mais oublié de laisser une chance aux talents locaux. Anne Lise s’en souvient bien : « J’ai été la toute première artiste à bénéficier d’un accès à un free podium au Depot. Ça a été le début de ma carrière, en 2005. C’est encore possible de participer à ce genre d’événement, mais il faut envoyer un mail, et tu dois payer pour jouer. C’est triste. » Triste, mais faisable donc. Et ce ne sont pas les têtes de gondoles Selah Sue ou Milow qui vont contredire cet état de fait, eux qui ont été soutenus dès le début par le lieu. Louvain soigne donc ses enfants du rock. Bruno, le disquaire de chez Bilbo ajoute : « En tant que magasin, on organise des petits concerts qui se passent en face, au Café Commerce. Avec ces concerts, on essaie de promouvoir de nouveaux albums et de nouveaux groupes belges. »

Le salut ne passerait donc plus par la rage individualiste des groupes, mais par les initiatives, multiples, d’une ville qui se targue de ne laisser personne sur le côté. Bram, de chez Inuit, veut y croire. « Je crois sincèrement que Louvain a le potentiel de devenir un centre pour les jeunes artistes motivés. Il y a tout ici: des espaces de répétition, des petits studios, des labels, des organisateurs de concerts. Louvain a un énorme potentiel musical et je pense que nous pouvons nous attendre à voir de bonnes surprises dans les prochaines années. On a l’impression que (presque) tous les éléments sont en place et qu’il suffit de les combiner. »

Leuven, centenaire, pour longtemps encore.

 

Cinq artistes à découvrir

And Then Came Fall
Voix envoûtante, compositions ciselées. Le charme à l’état pur, entre americana et folk drôlement bien foutue. On tombe tous pour cette proposition made in Leuven.

Fabrecollectiv
Fred Gata et Mustapha nous ont prévenus : ils font de la pop/soul /funky/hip-hop. ET le plus fou, c’est que c’est vrai. Et encore plus fou : c’est terriblement addictif.

Clairval
Le projet atmosphérique de Sam Pieter Janssens a pour ambition de nous faire quitter le plancher des vaches pour nous élever haut dans une ciel plein d’intériorité. Pari réussi.

Isbells
Vétérans de la pop indé louvaniste, le groupe ne manque ni de cartouches ni de mélodies catchy.

Bonzo
Les petits jeunes de Bonzo n’ont peur de rien, même pas de balancer des singles parfaits. Entre nonchalance et talent pur. La relève est là.

 

Places to be

STUK
C’est marqué dessus : maison de danse, d’image et de son. Le Stuk entend bien faire se rencontrer public et artistes. Et ça se passe plutôt très bien.

30CC
LE centre culturel de Louvain. Danse, musique, théâtre y sont chez eux. Dans un bâtiment au prestige certain.

Het Depot
La salle de concert par excellence. Juste à la sortie de la gare. L’endroit a la géométrie aussi variable que ses propositions. Des grands groupes en tournée mondiale aux petits jeunes qui débutent. Un passage obligé !

Commerce
En temps normal (il reviendra !), ce café se met en cheville avec le disquaire Bilbo et organise des concerts inoubliables.