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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Melanie De Biasio

La princesse de l’Aube

Dominique Simonet

Melanie De Biasio met la dernière main à la maison Alba, son œuvre du moment, qui prend vie tout doucement. Pour elle, l’Alba, « l’aube est un endroit où tous les espoirs sont permis. Cela a quelque chose à voir avec l’envol. » Avant qu’elle-même ne redécolle en tant que musicienne et chanteuse, elle nous emmène dans les coulisses de son projet.

 

Melanie De Biasio

Que représente le projet Alba ?
On peut voir deux choses : la princesse et son château ou une fille qui a un grand rêve : contribuer à l’éveil de ses compagnons et d’elle-même. Et pour ça, je me suis donnée grave. Dormir dans un chantier, dormir dans la poussière. À refaire, je ne le referais pas. Mais voilà, je n’avais pas le choix. J’ai toujours voulu chanter, mais porter un projet comme celui-là, accueillir ceux qui sont en quête d’un lieu, d’une famille et rêver, c’est la vie qui me l’a inspiré. Un enfant, ça ne pense pas, ça rêve… et si je peux juste participer à ça…

Dans quel état d’esprit l’avez-vous abordé ?
On peut se perdre dans un projet comme celui-là, mais aussi se retrouver. Un tel rêve permet de savoir vraiment à quoi on tient. J’y tiens, mais pas au prix d’un sacrifice ridicule. Un tel projet, c’est nous pousser dans nos retranchements. Qui aurait pu porter un tel chantier, le coordonner avec les corps de métier, négocier, râler, comprendre, patienter ? Moi qui n’avais aucune ambition d’être proprio…

Comment s’est passée la période Covid ?
La période Covid n’a pas changé grand-chose pour moi. Si ce n'est que je n’avais plus la piscine, alors qu’avant, ça me lavait de ma journée. Le confinement m’a obligée à mettre encore un peu plus la main à la pâte. Le plus difficile, ça a été de trouver les matériaux, de se retrouver dans la file avec des malabars. J’ai mis mes talons et j’ai tout de suite senti une entraide… (sourire)

Confrontés aux annulations de tournées et de sorties d’albums, beaucoup d’artistes se sont exprimés sur les réseaux sociaux. Pourquoi pas vous ?
Le digital, je respecte les artistes qui l’ont fait, moi j’étais plus dans l’observation. L’exclusivité de la rencontre, je ne pouvais la réserver à un petit écran. Je crois que c’est le moment de réinventer la relation à l’autre, nos émotions, la vie, l’amour. C’est la seule chose qui peut se transformer. Nous, on ne peut pas changer ; l’autre, le monde ne peuvent pas changer, mais la relation bien.

Quelles sont les valeurs qui vous portent ?
C’est quoi, une valeur ? Ce n’est pas une émotion. Si je crois savoir ce qu’est une valeur, je dirais que je suis en quête d’authenticité, je cherche à être au plus juste, à faire de mon mieux. Pour moi, c’est la quête de l’excellence, pas de la perfection. Savoir qu’on contribue à bien plus vaste que soi, cela remet à sa juste place. Être attentive à l’enlisement, rester curieuse, sentir quand nos membres commencent à s’engourdir et commencer à bouger…

Alba s’inscrit dans cette ligne…
Je suis tellement dans le travail, dans la matière, et dans ce que le projet porte d’autrui… S’il n’est pas au service de l’autre, j’aurai raté mon projet. Cette maison est un nid pour tous ceux qui la font vivre, moi comprise. En même temps, c’est comme si j’en étais détachée… Même le trou financier ne m’effraie pas. Contribuer à plus vaste que soi, participer à, et je me dis que la vie sera juste avec moi. À un moment donné, il faut faire confiance, mais ça peut faire peur. Parfois j’ai peur, bien sûr.
 

Melanie De BiasioMoi qui n’avais aucune ambition d’être proprio…


L’on peut dire qu’ici vous vivez de manière spartiate, ou à tout le moins monacale…
Je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre : un matelas, un horizon, la lumière. Je n’ai pas de meubles ici. La seule chose de valeur que j’ai, ce sont les disques, mon Wurlitzer, mon Clavinet et ma flûte. Ce type de divan est super cher, 100 euros en deuxième main. Et j’ai tellement envie de voyager léger, c’est la liberté ! Pour moi, c’est aux antipodes de m’être mise cette maison sur le dos… Il y a très peu de meubles, comme si la maison se suffisait à elle-même. Quand l’assureur est venu, il m’a dit qu’il n’y avait pas grand-chose à assurer…

Vous comptez meubler l’Alba de création…
À partir de la rentrée, la commissaire Lise Coirier, de la galerie d’art d’Ixelles Spazio Nobile, a choisi d’habiller le lieu en mettant des objets en dépôt. Elle va poser une lumière sublime dans le hall d’entrée. Ce sont des objets que l’on peut apprécier de par leur utilité, on peut les toucher, mais il y a aussi des tableaux. Dans les couloirs, donner une dimension de beauté…

Où en êtes-vous musicalement ?
Il est temps que je reparte sur la route. Je sens que j’ai rempli mon contrat : terminer ces travaux au plus proche de l’intégrité de la maison, pour accueillir des partenaires. Et repartir sur la route, c’est là ma place. Cette maison n’est pas un disque, mais une création en soi. Musicalement, j’ai des idées, mais pas mûres au point d’en parler déjà. L’intérêt et l’envie de chanter sont là. Pendant les travaux, je n’avais pas le temps de chanter, et avec la poussière, cela allait devenir dangereux ! J’ai aussi très peu écrit, mais cela revient. La mission Alba accomplie, cela revient. On va y aller mollo, mais on va y aller sûrement.

La création d’Alba a-t-elle aussi une dimension politique ?
Pour moi, qui dit politique dit engagement. Quelque part, faire de la musique, c’est faire de la politique. Un engagement, c’en est un, un choix, une couleur de vie clairement énoncée. La sobriété heureuse, est-ce que c’est une politique ? De quoi avons-nous besoin pour être bien ? Si on prend soin du socle, a-t-on besoin de le remplir ? Cette maison, c’est créer de l’espace pour que d’autres se l’approprient. Est-ce une politique ? Un choix de vie contrasté par rapport à la puissance de la bêtise. Un chouette philosophe a écrit sur la sobriété heureuse, Pierre Rabhi, il est touchant ce monsieur.