Accéder au contenu principal
Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Urbex Electric

The soul of Miles

Jacques Prouvost

S’attaquer à un monument comme Bitches Brew, sorti il y a tout juste 50 ans, c’est presque de l’inconscience. Sauf si l’on s’appelle Antoine Pierre, que l’on a du talent et de la suite dans les idées. Ni un hommage, ni une redite, Urbex Electric se réinvente et propose un jazz hyper excitant.

Urbex goes "electric" et en version couleurs

Même si c’est durant le confinement relatif à la Covid-19 que l’album a pris sa forme définitive, Suspended a été enregistré en janvier lors d’un concert à Flagey et son titre n’a donc aucun rapport avec ces longs mois d’incertitudes, de disette et de temps suspendu que la majorité des artistes a subi. «Le projet a mis un certain temps à mûrir, confirme Antoine Pierre. Je me demandais ce que j’allais faire avec Urbex. C’est mon bébé, c’est un gros groupe et c’est complexe à gérer par rapport à l’ambiance actuelle. Quand l’idée est venue de m’inspirer de Bitches Brew, je suis tombé sur une interview de Miles Davis dans Down Beat où il disait vouloir jouer avec la tension, garder la vibe sans jamais la résoudre et tout garder en suspension.»

Pour Antoine Pierre, comme pour de nombreux musiciens, Miles Davis est assurément une influence majeure. Suspended est une suite logique dans le travail d’Urbex. On entendait déjà affleurer ce jazz électro acoustique et électrique dans le précédent album. Ce côté “rock”, s’était-il amplifié au contact des autres formations, telles que Next.Ape ou Taxi Wars, auxquelles Antoine Pierre participe ? «Pas nécessairement. J’écoutais déjà beaucoup de rock étant ado. Je suis heureux, par exemple, d’avoir pu écouter Miles ou Pat Metheny d’un côté et Slipknot de l’autre. Tout ce qu’on écoute entre douze et seize ans conditionne ta culture.»

Hommage, écriture et transmission

Écrire cette musique très organique n’est pas une mince affaire et impliquer tout un groupe est primordial. Antoine Pierre, à l’instar de Miles, sait qu’il est important de bien s’entourer. Cette musique-là, plus qu’une autre peut-être, se doit d’être digérée et appropriée par tous.

« Le quintette de base avec lequel j’avais tourné était très soudé, affirme Antoine Pierre en joignant les mains. Mais je voulais des percussions en plus, je voulais étoffer le groupe. Je me suis emballé, j’en ai parlé à Maarten Van Rousselt de Flagey qui est derrière le projet depuis le début. J’ai contacté Bennie Maupin, seul rescapé de l’aventure Bitches Brew de Miles, qui a hésité, puis accepté. Mais cela ne s’est finalement pas fait, pour diverses raisons. » L’équipe définitive s’est donc constituée autour de Jean-Paul Estiévenart, Bert Cools, Bram De Looze, Felix Zurstrassen, Fred Malempré, Ben Van Gelder, Reinier Baas et Jozef Dumoulin.

Bitches Brew résonnait aux sons des luttes contre les inégalités. Suspended serait-il aussi, par la force des choses, un peu le miroir de notre époque chaotique ? « Je ne veux plus rien faire sans message, mais je veux garder la poésie de la musique. Tout est induit dans ma musique et dans mon attitude. En tant qu’artiste, on a un rôle à jouer. »
 

Antoine Pierre – leader d’Urbex

C’est sans doute le disque
le plus "naturel" que j’ai fait.


Occupé à écrire un tout autre répertoire en vue de sa carte blanche à Flagey avec Joshua Redman, Antoine n’avait que deux morceaux avant la première répétition avec toute la bande en novembre. « Je me suis assis à table, sans instrument. Rien que de l’écriture. Ligne de basse, mélodie, batterie, trompette, j’ai trouvé des assemblages, des systèmes. J’avais des papiers partout. Aux répétitions, ça fonctionnait. Quand tu amènes une compo à un groupe, aussitôt elle ne t’appartient plus. Je n’ai donné aucune indication, chacun a pris le chemin qu’il voulait. Mais j’ai refusé que ce soit perçu comme une copie de Bitches Brew. J’ai éliminé ce qui était trop évident. Il me fallait vraiment le son Urbex. »

Le montage s’est donc fait avant, contrairement à ce que Teo Macero et Miles avaient fait en coupant et montant les bandes ou en y ajoutant des effets supplémentaires. « C’était logique pour ma musique de l’enregistrer en live. Et Flagey est idéal. Ce sont des studios faits pour ça. Vincent De Bast a judicieusement placé les micros, il a gardé la réverb’ naturelle. Le mix stéréo est celui de la scène et on a “juste” fait des balances de niveaux en prod, sans ajouter aucun effet supplémentaire. C’est un hommage et un contrepied à Bitches Brew, en quelque sorte. C’est sans doute le disque le plus “naturel” que j’ai fait. »


Urbex Electric
Suspended
Outhere/Outnote Records