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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

STYX

Passé / Présent

Stéphane Renard

Elle en rêvait. Elle l’a fait. La flûtiste Anne Davids lance son propre ensemble de musique de chambre. Un collectif à géométrie variable autour du quintette à vents pour savourer le plaisir de jouer « en s’écoutant les uns les autres ». Et pour jeter un pont entre le répertoire d’hier et de demain. Franchissez le Styx.

L'ensemble STYX avance masqué jusqu'à présent

«Non, non, je ne quitte pas Sturm und Klang », lâche-t-elle d’emblée. Si Anne Davids, flûtiste de l’ensemble dirigé par Thomas Van Haeperen, a anticipé notre première question, c’est parce que tout le monde la lui pose depuis qu’elle a annoncé la création de son propre ensemble, STYX. « J’avais tout simplement très envie, enchaîne-t-elle, de jouer de la musique de chambre, c’est-à-dire sans direction. » Il est vrai qu’à 34 ans, il reste bien des chemins à explorer. Or la musique chambriste est un exercice très particulier, par l’écoute et l’entraide qu’elle implique entre musiciens. « Il en naît une grande flexibilité, confirme Anne, ce que l’on n’a pas forcément dans un orchestre puisque le chef a sa propre battue. En petite formation, nous sommes obligés de nous suivre les uns les autres en nous écoutant très attentivement. Chaque musicien à une place à prendre sans pour autant déborder sur celle des autres, ce qui implique une confiance absolue ».

Nom de baptême de cette nouvelle aventure, STYX. Un peu surprenant. Car Styx – “haïr” en grec – est l’un des cinq fleuves reliant les enfers au monde terrestre. « C’est en effet un nom connoté négativement, sourit Anne Davids, mais moi j’y vois plutôt le symbole du lien reliant le présent et le passé. » Un aller-retour en somme entre les compositeurs d’hier et d’aujourd’hui, « mais aussi entre l’audience actuelle et celle de demain », insiste-t-elle.

 

Anne Davids
La musique contemporaine ?
Pour moi, c’est la musique “du temps présent”, rien de plus.

 

Pour celle que les musiques d’aujourd’hui passionnent depuis son post-master à Gand aux côtés d’Ictus, STYX compte en effet « privilégier l’interdisciplinarité et le décloisonnement des genres des concerts dits classiques ». Un bouillon de cultures, avec “s” !, à l’image de cet ensemble basé dans la très multiculturelle Bruxelles et qui rassemble musiciens francophones et néerlandophones sous l’oreille attentive de la germanophone Anne Davids. Première rencontre.

Quel est le noyau autour duquel s’articule cet ensemble que vous voulez à géométrie variable ?
Anne Davids : La formation qui me tient à cœur est celle du quintette à vents, lequel est formé d’une flûte, d’une clarinette (Dries Tack), d’un hautbois (Kristien Ceuppens), d’un basson (Bert Helsen) et d’un cor (Rozanne Descheemaeker). C’est un ensemble très intéressant car ces instruments ont des timbres vraiment personnels, des attaques très différentes. Même le cor, qui est aussi un cuivre, est traité comme un bois. Ajoutez ici la puissance du basson… Quant à la flûte, elle véhicule une image de finesse, mais cela n’a pas beaucoup de sens en musique contemporaine. On est très loin des douces mélodies de la gentille flûte. Ici, quand elle monte dans les tours, elle devient impressionnante. Elle est d’ailleurs très fatigante à travailler car elle est extrêmement exigeante sur le plan technique, comme par exemple dans sa version beatbox, où les effets de percussions se font à la bouche.

Quel répertoire allez-vous aborder ?
Nous n’avons pas envie de nous limiter à une époque. Les premiers quintettes à vents ont d’ailleurs été écrits par Giuseppe Cambini en 1802. Cela dit, le répertoire n’est pas immense. Nous allons donc passer des commandes à des compositeurs car il y a vraiment un potentiel qui n’a pas encore été épuisé. Le quintette sera également élargi en fonction des programmes. Nous serons rejoints par des cordes – Maxime Stasyk, Sigrid Vandenbogaerde, Natacha Save –, le pianiste Fabien Coomans, le guitariste Thomas Maillet, le trompettiste Bram Mergaert…

Pas de répertoire contemporain systématique donc ?
Non. D’autant que programmer un concert, c’est toujours marcher sur un fil : il faut trouver un juste équilibre entre ce que le public aime et ce que nous avons envie de lui faire découvrir. En tant que flûtiste, j’adore Jonathan Harvey pour son langage organique aux influences bouddhistes et aux compositions lumineuses. J’ai un coup de cœur aussi pour Franco Donatoni, qui est rythmiquement complètement fou et techniquement très difficile. Mais il serait impensable de proposer au public une heure de Donatoni… En tant que programmatrice, mes goûts seront évidemment beaucoup plus éclectiques. Lors de notre prochain concert, nous jouerons d’ailleurs du Grieg ainsi que le quintette de Nielsen, l’un des plus connus, dont nous fêtons cette année le centième anniversaire.

 

Anne Davids

Je crois aux vertus d’une programmation éclectique,
qui permet de contourner la méfiance du public.

 

L’expression de “musique contemporaine” fait souvent un peu peur. À tort ?
Pour moi, c’est la musique “du temps présent”, rien de plus. Le public s’en méfie car il craint de ne pas la comprendre. À nous les musiciens de créer l’effet de surprise, de générer cette vibration qui permet de créer un lien fort.

Comment y parvenir ?
Je crois aux vertus d’une programmation éclectique, qui permet de contourner la méfiance du public et l’amener à des pièces d’accès plus difficiles. Mais ce qui marche vraiment bien, c’est la deuxième écoute. Lorsque l’on rejoue la même pièce une seconde fois lors d’un même concert – cela m’est déjà arrivé –, on sent une adhésion plus grande, comme si l’on avait déjà apprivoisé ces sonorités nouvelles. Ce phénomène se vérifie d’ailleurs avec toutes les musiques, même s’il est encore plus marqué dans les musiques d’aujourd’hui.

Votre regard sur le paysage des musiques d’aujourd’hui ?
J’ai le sentiment qu’elles ont tendance à s’enfermer autant dans le tout technologique que dans l’ultra multidisciplinaire. On ne semble plus oser proposer un concert acoustique sans l’associer d’emblée à une projection vidéo ou à une performance scénique. Cela peut sans doute parfois avoir du sens, mais plus quand cela devient systématique. On finira par épuiser le procédé. Le risque ? Que ce ne soit plus la musique pure qui attire le public, mais ce qu’on lui a proposé comme alternative à l’écoute. Le plus difficile pour un ensemble, aujourd’hui, c’est de ne pas s’essouffler à essayer toutes les innombrables pistes de musique contemporaine. C’est un piège que STYX compte bien éviter, en développant sa propre personnalité !