Rock (bands) will never die!
Les uns alignent des décennies d’existence, les autres jettent l’éponge au bout de quelques années, tandis que d’autres encore renaissent de leurs cendres après une plus ou moins longue parenthèse. Pas toujours un long fleuve tranquille, l’existence dans le rock’n’roll!
Entrons, si vous le voulez bien, les termes “vie et mort des groupes” dans un outil de recherche de type intelligence artificielle. Une première réponse, une fraction de seconde au compteur, tombe comme suit : « Vie et mort des groupes se réfère généralement à la notion de survie ou d’annihilation d’un ensemble de pierres dans le jeu de Go, un concept fondamental pour les joueurs qui déterminent comment sauver un groupe encerclé. En dehors du jeu de Go, le terme peut aussi évoquer la dynamique de groupes réels ou virtuels, comme les groupes antifascistes ou les systèmes multi-agents, où “vie et mort” désigne leur existence, leur autonomie et leur capacité à contrôler leur propre dynamique. » Bon, à ce stade, un constat : on va continuer à travailler à l’ancienne et laisser à l’IA le temps de réfléchir encore un peu et donc, parce qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, se pencher sur le cas de ces formations dont l’historique est tout sauf linéaire et continu. Exemples récents : BRNS, Annabel Lee et Ada Oda au rayon des disparus (pour mieux revenir?) ou Hollywood Porn Stars, Mud Flow et Ghinzu dans celui des revenants, même épisodiques…
Renaud Mayeur – Suecide High
Ce que tous les groupes veulent, c’est attraper la floche.
Et c’est bien normal. Mais à trop vouloir l’attraper,
on oublie que le plaisir, c’est le "chemin".
Tenez, les gens de La Muerte, autre exemple. Qui, après 42 ans de bons et loyaux sévices, ont décidé de mettre la clé sous le paillasson. Ou ceux de Front qui, eux, ont déjà appuyé sur le bouton “off” : c’était au début de l’année, après une série de “derniers concerts”, tous plus complets les uns que les autres et alors que ce retrait du “game” avait déjà été annoncé une dizaine de mois auparavant. Dans leur communiqué au public, on pouvait lire ceci : « La décision de mettre fin à nos concerts n’a pas été facile à prendre, mais nous pensons qu’il est important de clore ce chapitre en beauté, en préservant l’essence même de Front 242 que vous avez appris à aimer. Nous voulons vous laisser le souvenir d’un groupe à son apogée, plein d’énergie et de passion. »
Pour La Muerte comme pour Front 242, l’idée était aussi de ne pas faire, comme en boxe, “le match de trop”. Didier Moens, le guitariste de “La Mort” : « La dernière fois (en janvier 94, – ndlr), c’est un peu Marc (du Marais, la figure de proue de La Muerte,–ndlr) qui avait émis l’idée de cet arrêt. Et nous nous sommes mis d’accord sur le fait qu’il fallait arrêter. Cette fois-ci, c’est moi. Parce que je me dis qu’il faudra arrêter un jour et j’aime autant avoir le contrôle total là-dessus. Je n’aimerais pas qu’on nous dise à un moment “non, mais merci, ça va, là…” » Et puis, il y a le physique, aussi. « Oui, il faut “performer”. Ce n’est pas un groupe dans lequel on peut jouer jusqu’à 80 ans sans problème. Si maintenant, nous commençons à être statiques sur scène, les gens ne vont pas comprendre. Donc il faut “performer” ! Et j’aime autant être performant et arrêter quand je suis encore en forme. »
Balancer la sauce
L’allusion pugilistique est de Renaud Mayeur, second guitariste au sein du groupe de Didier Moens et Marc Du Marais au début des années 2000. Notamment. « C’est sûr que si tu fais du Jamiroquai, tu peux tirer le truc jusque 80 ans ! Non mais c’est vrai ! Quand j’ai refait des dates, j’ai dû faire un peu de sport avant. Ça a l’air de rien mais c’est intense, au niveau de ce que tu projettes, quand c’est du rock “rentre-dedans”. Et tu as toujours peur de ne plus le faire comme il faut. » Il poursuit son analogie avec la boxe : « Pour du rock en tout cas, c’est un combat. Tu dois choper les gens par le colback ! ».
Et Dieu sait si Renaud Mayeur a envie de continuer à boxer ! Après Les Anges, Hulk, un détour par Triggerfinger et Dario Mars & The Guillotines (trois albums au compteur), il s’y remet aujourd’hui avec un nouveau groupe, Suecide High, dans la continuité de Hulk. Quand c’est chevillé au corps… Parce que bien avant, il y a encore eu Knife Clatter (« C’était adolescent, on n’avait pas 20 balais mais on a quand même fait deux albums et tourné 4, 5 ans ») et de la batterie pour les Vice Barons… « J’aime même joué avec le Dop (Dop Saucisse, DJ et musicien issu des débuts du punk en Belgique, – ndlr) à un moment, enfin voilà, on a tous joué les uns avec les autres. Et puis à un moment, il y a eu les musiques de films (Duelles, Doubleplusungood, Eldorado, Les Géants…, – ndlr), ce qui est une chouette reconversion, surtout quand tu te demandes si tu es encore apte à balancer la sauce ! »
Tous ces groupes, à force, ça crée une image, et peut-être aussi une attente côté public, de sorte que l’on se sente parfois un peu redevable. Il faut être là ? Ou pour le dire autrement : quand on est une “marque”, est-ce difficile de monter et de faire vivre un autre projet ? « Il est vrai que pendant une dizaine d’années, j’ai “exploré”, avec Dario Mars & The Guillotines. Mais en fait, j’ai compris, sans aucune prétention, que si je monte sur scène, c’est parce qu’on attend que je fasse du “badaboum”. Si tu vois Tyson, tu n’as pas envie qu’il te fasse un numéro de danse, quoi ! Et évidemment, ce que j’ai fait, je l’ai fait parce qu’il y a des gens qui nous suivaient. Il y a des gens qui ont cru en nous, qui ont acheté nos disques… Tu ne peux pas les laisser tous en plan. Enfin si, tu peux, mais il ne faut pas t’étonner après de ce qui se passe. Il y a quand même un échange. »
Pour toujours ?
À la mort de leur chanteur ou de leur chanteuse, certains groupes s’arrêtent. Voyez Motörhead ou les Cranberries par exemple. Certains engagent une nouvelle voix. Voyez Linkin Park et INXS. Ou se réinventent. Voyez New Order.
Et puis, il y a ceux, toujours au complet, qui, pour l’une ou l’autre raison, se mettent pendant quelques années entre parenthèses. Pour La Muerte, elle a duré de 1994 à 2014, grosso modo. Après la résurrection, la deuxième vie n’est plus la même, forcément. Plus satisfaisante, plus amusante que la première ? « Ce sont deux périodes très différentes, répond Didier Moens. Il y a des années entre les deux, déjà. Nous sommes donc devenus plus âgés et peut-être plus matures ou plus réfléchis. Je n’en sais rien… En tout cas, la première période, c’était “rollercoaster” : pendant dix ans, je n’ai pas fait un seul concert clean ! » Pour Marc Du Marais, les deux périodes se valent : « Je dirais 49/49, pas 50/50… Non mais nous avons bien rigolé tous les deux. Et nous avons bien souffert aussi ». Souffert ? « Ben oui, parce que c’est La Muerte, reprend le guitariste. Donc rien n’est simple. Enfin, “souffrir”, c’est un grand mot. Disons “compliqué”… »
Et quand bien même, un groupe qui disparaît… meurt-il vraiment ? Bien sûr, les albums restent ou aussi le souvenir de l’un ou l’autre mémorable concert. « Pour Marc, je ne sais pas, note Didier Moens, mais moi, j’ai l’impression d’avoir toujours été “entouré” de ce truc, de La Muerte, même quand ça s’est arrêté. Parce qu’on m’en parlait tout le temps. Et puis, il y a eu ce label en Suisse qui a voulu sortir un disque et qui nous a demandé des trucs. Alors j’ai écouté des bandes pour voir ce qu’on avait encore et ce qu’on pouvait leur offrir… J’ai l’impression d’avoir été tout le temps bercé par La Muerte, en arrière-plan. Tous les jobs que j’ai faits, de mixage et de production, c’est parce que j’étais “le mec de La Muerte”. Même quand j’ai eu un autre projet, je restais “le mec de La Muerte” ! »
Entretemps, il y aura eu ce que Renaud Mayeur appelle “le chemin”. Il philosophe : « Ce que tous les groupes veulent, c’est attraper la floche. Et c’est bien normal. Mais à trop vouloir l’attraper, on oublie que le plaisir, c’est le chemin, c’est “essayer”. Les dates, les clubs, les répètes, ça m’amuse et je ne veux pas penser qu’à la finalité du truc, à cette floche que je n’attraperai peut-être, et même sans doute, jamais. » À méditer…