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par le Conseil de la Musique

Rap sur braises ardentes

Lièèèège arrive

Nicolas Alsteen

Connue pour ses gaufres et ses boulets, son pékèt et ses rockeurs déjantés, la ville de Liège est aujourd’hui l’épicentre d’une révolution musicale. À quelques kilomètres de la capitale, la Cité ardente prépare en effet sa réponse à Bruxelles arrive. Solidaires et talentueux, professionnels et organisés, les artistes liégeois infiltrent le rap game en masse. Les dés sont jetés. La partie peut commencer.

Liège se met aux couleurs du hip-hop

«La situation que nous connaissons en ce moment à Liège est comparable à celle de Bruxelles en 2013 », annonce Sboy qui, du haut de ses 20 ans écrit l’avenir du rap francophone en compagnie de son ami Moji. « Tout est sur le point d’exploser, confirme ce dernier. Il ne manque plus que le détonateur. Il faut que quelqu’un appuie sur le bon bouton pour tout faire péter. » Du côté de Grivegnée, le point de vue du duo est partagé par Bakari, ambassadeur d’un rap mélodique au potentiel de séduction surdimensionné. « Notre ville se cherche encore un Damso ou un Hamza, explique-t-il. La scène bruxelloise s’est forgée une identité autour de quelques personnalités. Pour émerger, notre communauté doit, elle aussi, pouvoir s’appuyer sur une tête de série. Dès que les projecteurs seront dirigés en bord de Meuse, tous nos talents sortiront de l’ombre. C’est une évidence. » Par son nombre d’habitants, Liège est la 3e agglomération du pays, juste derrière Bruxelles et Anvers. Autant dire que la ville a effectivement une carte à jouer dans le ’rap game’. Ces derniers mois, de nouveaux venus chatouillent d’ailleurs l’actu avec des flows multiples et variés : LucVs, Listoo, Kalikal, Di Rose, OGR Music, Fleur, MVLLOS, Kreepthagod, UziGang ou AÂ se démarquent aisément. Sans parler des voisins Slim Lessio (Spa) et Green Montana (Verviers). « C’est d’autant plus intéressant qu’il existe une forme de solidarité entre les artistes liégeois, confie Absolem, ancienne force vive du collectif Hesytap Squad, désormais détaché en solo avec une collection de morceaux super costauds. Les principaux acteurs de la scène locale se serrent les coudes. Après, il m’apparaît essentiel de faire tomber les murs de la ville en collaborant avec des gens venus d’ailleurs. » Pour ça, le rappeur sait y faire. Entre trap, boom bap, futurisme et culture old school, Absolem assemble ses textes en compagnie de Caballero & JeanJass, Assy (L’Ordre du Périph) ou Small X, moitié du groupe marocain Shayfeen. Tout ce beau monde est à l’œuvre sur Toxcity, une mixtape sortie en deux temps durant l’été. « Le titre de ce projet est une référence directe à l’un des surnoms donnés à la ville de Liège. Je voulais lancer ma carrière sur de bonnes bases. En cela, c’est logique de faire un clin d’œil à mon point de départ. Ma passion pour le rap est née en plein cœur de Liège. C’est ici, à Toxcity, que j’ai tout appris. »


Bakari
Dès que les projecteurs seront dirigés en bord de Meuse,
tous nos talents sortiront de l’ombre.


Évolution des mentalités

Pour Bakari aussi, la ville est riche d’enseignements. Né en 1996 dans le Nord-Kivu, ce dernier débarque à Liège en 2004. « À notre arrivée, ma famille s’est installée à Sclessin, retrace-t-il. Dans le quartier, tous les jeunes écoutaient du rap. C’était incroyable. Moi, je ne connaissais que 50 Cents. C’est le seul rappeur qui avait percé en Afrique. Jusqu’alors, mon univers musical se limitait à la rumba congolaise de Koffi Olomidé et à toutes les vedettes de la variété française. D’un coup, je captais qu’il existait une autre galaxie, située à des années-lumière des chansons de Patrick Bruel et Francis Cabrel Cette culture hip-hop m’a tout de suite passionné. » À 16 ans, Bakari pose les pieds dans un véritable studio d’enregistrement. « À l’époque, je concevais le rap comme un loisir. Évidemment, je rêvais de faire carrière là-dedans. Mais la raison me rappelait à l’ordre : je vivais à Liège et, ici, il n’y avait aucune plateforme de promotion pour diffuser cette musique et permettre à des gens d’en vivre. » Aujourd’hui, Bakari est l’un des nouveaux protégés de l’écurie Columbia Records. Signé en France, distribué par Sony, le Liégeois prépare activement la sortie d’un disque annoncé pour 2021. Sa vie a changé, sa ville aussi. Meilleur exemple ? Les Ardentes. Rendez-vous incontournable de l’été dans la cité, le festival a fait ses preuves en déroulant une affiche pop-rock, chanson et électro. Dès 2015, pourtant, l’événement s’est métamorphosé pour devenir l’une des plus grandes vitrines estivales du rap en Europe. « Je me souviens parfaitement de ce changement de paradigme, confie Absolem. C’est là que j’ai capté que le rap avait enfin trouvé sa place dans la société. Avec du recul, je suis persuadé que les organisateurs se sont adaptés à la situation. Ils n’ont pas été un moteur de changement. Les Ardentes se sont accordées aux habitudes de consommation d’une nouvelle génération de festivaliers. C’est intelligent. Parce qu’au final, cela génère une émulation positive dans les rangs du rap liégeois. En cela, le festival n’est peut-être pas à l’origine d’un changement radical dans les pratiques musicales. Mais il a certainement contribué à faire évoluer les mentalités. » Tout comme Spray Can Arts. Implantée au numéro 6 de la rue en bois, l’association regroupe plusieurs collectifs artistiques liégeois. Graffiti, break-dance, rap, DJing et créations graphiques sont à l’origine de différentes initiatives urbaines (stages, ateliers, expositions, concerts, etc.). « Les infrastructures et les événements étiquetés hip-hop se développent petit à petit. Mais ça reste un phénomène émergent. Il y a encore du travail », souligne Absolem.

Pablo Escobar vs Starflam

« Notre ville ne s’est pas encore complètement imposée dans le rap game, confirme Moji. L’avantage, c’est que les artistes sont dans une position d’outsiders. Du coup, ils n’ont rien à perdre. Ils osent tout. » Dans le genre, Venlo débarque dans l’arène avec ses ballades rappées sans concession. À l’heure de dévoiler les morceaux de son nouveau projet, celui-ci expose son point de vue : « À Liège, toutes les familles du rap sont représentées. Le menu est copieux : il y en a pour tous les goûts. » Cette diversité semble néanmoins s’accompagner d’une approche singulière. « Tous les rappeurs du coin sont authentiques, assure Bakari. Ils ne trichent pas. Leurs textes tournent rarement autour de clichés bling-bling. Pourquoi ? Parce que les diamants et les voitures de luxe ne font pas partie du décorum. Les clips montrent le vrai visage de nos quartiers, les morceaux sont raccords avec la réalité des habitants. Chez nous, le rap est un mode de vie, pas des sornettes racontées par des types qui se prennent pour Pablo Escobar. » C’est que le style du terroir s’inscrit dans le prolongement d’une histoire. « Avant d’être artiste, je suis un mélomane, poursuit Bakari. J’entretiens des connaissances encyclopédiques sur le rap. C’est comme ça que j’ai découvert les sons de L’Hexaler, mais aussi ceux de Starflam. La plupart des jeunes de la région ne connaissent pas ces noms. C’est dommage. Parce que l’ADN du rap liégeois coulait déjà dans les veines de ces gars-là. » Pour sa part, Venlo prend exemple sur les anciens. « J’avais deux ans quand Starflam a sorti son premier album, dit-il. La musique n’est plus très actuelle, mais ce groupe a posé les bases d’une culture dans la ville. Starflam s’est distingué à l’échelon national en parvenant à capter l’attention du public et des médias. Si notre génération veut franchir l’étape supérieure, elle devra faire de même… »