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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Spreek je Nederlands?

Luc Lorfèvre

La plupart des artistes issu·e·s de la Fédération Wallonie-Bruxelles vous le diront : ce n’est jamais aisé de toucher la partie nord du pays. Mais la faute n’incombe pas toujours à la Flandre. La méconnaissance de la langue et des spécificités du marché musical flamand sont aussi pointées du doigt. Waar of niet waar ? Nous avons enquêté.

Arno : l’exemple parfait de l’artiste qui a su jeter un pont entre nos deux communautés. Il nous manque déjà!

Effervescence au Palais 12. Stromae effectue son grand retour scénique. Dans la salle, il y a des Bruxellois, des Wallons, des Flamands de tous les âges. Notre maestro national ne s’adressera pourtant jamais en néerlandais au public. Pas un “Dank U”, pas un “Goedeavond”. Niks, rien du tout. Alors est-ce grave docteur ? « Le concert avant-première de Stromae a suscité des commentaires élogieux dans la presse flamande. Personne ne lui a reproché de ne pas avoir eu un mot en néerlandais pour son public flamand, tempère Inge Schelstraete, journaliste culturelle au quotidien Standaard. Je mettrais plutôt ça sur le compte du trac. Je me rappelle qu’à l’époque de son premier album Cheese, Stromae avait participé à une rencontre dans une école maternelle flamande et il se débrouillait dans notre langue. Quand il se produira au festival Werchter Boutique en juin, j’imagine qu’il prononcera quelques mots en néerlandais. Après tout, quand les Rolling Stones jouent chez nous, Mick Jagger apprend toujours une ou deux phrases en français et en néerlandais. Et ça fait plaisir…» 

 

Inge Schelstraete - De Standaard
Si un artiste francophone s’exprime mal en néerlandais ou en anglais en interview,
les journalistes flamands vont d’eux-mêmes embrayer en français.

 

N’empêche. Alors que les Arno, dEUS, Soulwax, Hooverphonic, Charlotte Adigéry ou Zwangere Guy se présentent toujours en français devant le public et les médias francophones, l’inverse est rare. Si Salvatore Adamo (« son néerlandais est 100% correct », selon notre consoeur du Standaard), Felix de Laet, alias Lost Frequencies, qui a étudié à l’internat en Flandre ou encore Sandra Kim parlent couramment la langue de Vondel, le reste de la classe musicale francophone a droit au bonnet d’âne. « Au moins trois-quarts des médias flamands parlent le français, note Clémence Simon, assistante promotion – parfaitement bilingue – chez [PIAS]. Si un artiste francophone s’exprime mal en néerlandais ou en anglais en interview, les journalistes flamands vont d’eux-mêmes embrayer en français. » Igne Schelstraete insiste pourtant que l’usage de la langue n’est en rien un frein pour valider ou non une demande d’interview. « Le critère de base reste l’intérêt que nous portons à la proposition musicale. Je ne connais pas un média flamand qui a refusé une rencontre avec un artiste issu de la Fédération Bruxelles-Wallonie sous prétexte que celui-ci était incapable de parler notre langue.»

La “waalse” attitude

À la tête de Five Oh, agence de relations publiques belge spécialisée dans le secteur musical, Laetitia Van Hove se désole des lacunes francophones pour maîtriser le néerlandais, pourtant la première langue du pays. « Je ne comprends pas qu’en sortant de ses études humanitaires, un Wallon est incapable d’enchaîner trois phrases correctes en néerlandais. Il y a vraiment un travail à faire dans l’éducation et dans l’attitude. Ce n’est pas propre au secteur musical. Parler la langue de son interlocuteur, ça aide toujours, bien sûr. Mais je ne dirais toutefois pas que c’est indispensable. Iliona qui chante en français et ne parle pas le néerlandais a fait la cover du Focus Knack avant même la sortie de son premier EP. Dans notre catalogue, des artistes francophones comme K.ZIA, Juicy ou David Numwami sont très bien accueillis dans le nord du pays. » 


Inge Schelstraete - De Standaard
Pour un groupe belge qui vient de Bruxelles ou de Wallonie,
je me dis que ça vaudrait peut-être la peine de faire un effort
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« À sa grande époque, Jean-Jacques Goldman touchait aussi un public flamand, se souvient Inge Schelstraete. C’était infime, j’en conviens. Quand il jouait à Forest National, il y avait 95% de francophones dans la salle et peut-être 5% de néerlandophones. On ne recevait pas ses albums en service presse. Quand on demandait un communiqué de presse à la firme de disques, il était rédigé en français. Mais ça n’a pas empêché les médias flamands de lui consacrer des articles. Mais Goldman est un artiste français avec un management français qui a l’habitude de ne communiquer que sur un marché francophone. Par contre, pour un groupe belge qui vient de Bruxelles ou de Wallonie, je me dis que ça vaudrait peut-être la peine de faire un effort. Je trouve dommage, par exemple, qu’après toutes ces années, les membres de Girls In Hawaii, pourtant très appréciés en Flandre, ne sont toujours pas capables de dire deux mots en néerlandais.»

Waar is de feestje?

Igne Schelstraete souligne, par contre, les efforts de bilinguisme d’Angèle et de son frangin Roméo Elvis. « En radio ou lorsqu’ils se produisent en concert, ils prévoient toujours quelques punchlines en néerlandais. Roméo n’a pas peur de relancer la foule en disant « Waar is de feestje ? » ou « Alles geven ! » C’est cool. J’imagine que cette attitude vient de leur papa Marka, qui est bilingue. Avec son expérience dans Allez Allez, qui a très bien marché en Flandre, il a certainement dû conseiller à ses enfants de s’exprimer en néerlandais. Mais je peux comprendre que même si Angèle est capable de commander en flamand lorsqu’elle mange dans un restaurant en Flandre, elle souhaitera s’exprimer dans sa langue maternelle lorsqu’elle défend un album qu’elle a mis deux ans à écrire. » Le manque de maîtrise du néerlandais chez les artistes francophones et leur proche entourage (manager, ingénieur·e du son, booker) va hélas trop souvent de pair avec une méconnaissance du marché flamand.

 

Clémence Simon

on se rend compte que le public flamand n’écoute pas
les mêmes choses qu’en Wallonie

 

« Ce n’est pas seulement une question de langue, constate Clémence Simon. Même en ne tenant compte que des artistes internationaux, on se rend compte que le public flamand n’écoute pas les mêmes choses qu’en Wallonie. Le circuit live et le secteur des médias fonctionnent aussi différemment. En presse écrite, Humo peut être considéré comme l’équivalent flamand de Moustique. Knack Focus a la même approche que Focus Vif. Mais Radio Een, ce n’est pas comme La Première et Stu Bru n’est pas Tipik. Si vous allez frapper à leur porte avec les mêmes arguments qu’en Wallonie, ça sera difficile. Lorsqu’un artiste belge signe chez [PIAS], nous essayons toujours de déterminer son potentiel sur le marché national et à l’export. Notre stratégie est globale. Nos communiqués de presse et nos newsletters sont non seulement disponibles en français, anglais et en néerlandais mais ils sont aussi adaptés en fonction de la communauté linguistique. Ça n’a aucun intérêt de communiquer en Flandre sur un clip qui cartonne sur Konbini ou sur une date de concert au LaSemo. Par contre, si on rappelle que la musique de Roscoe s’inspire de celle de Midlake, groupe américain qui a une solide fanbase en Flandre, ou qu’on annonce qu’Alice on the Roof va collaborer avec l’Anversois Tourist LeMC, ça va ouvrir des brèches. Prenez Sofiane Pamart. Quand on a sorti Planet, aucun média flamand n’était intéressé. Pour son disque suivant, Letter, nous avons, par contre, reçu beaucoup de demandes d’interviews. Entretemps, Sofiane avait collaboré à l’album Vivre d’Arno.»

L’Union fait la force

Pour Clémence Simon, l’effort doit se faire en amont. « À l’école bien sûr. Mais les structures d’accompagnement qui existent pour la musique en Fédération Wallonie-Bruxelles devraient toutes avoir un “volet flamand”. Je constate que ce n’est pas le cas. J’ai trop souvent l’impression qu’on prépare les artistes émergents francophones comme s’ils n’allaient jouer qu’en Wallonie ou en France. Et prendre un booker flamand ne suffit pas. Il faudrait apprendre aux artistes et aux managers les spécificités du marché flamand, leur donner quelques guidelines en matière de promo, quelques notions d’un néerlandais “professionnel”. Je conseille aussi de bannir Google Translate. Un message Facebook bourré de fautes en néerlandais ou une erreur de grammaire dans une chanson écrite en anglais décrédibiliseront le projet aux yeux des médias flamands. » On laissera de mot de la fin à Inge Schelstraete. « C’est vrai qu’il y a des tas de stars flamandes qui sont inconnues en Wallonie et vice-versa. C’est vrai aussi que nous avons énormément de groupes en Flandre qui se font déjà concurrence entre eux. Mais nous aimons la musique et avons aussi un réseau de salles et de festivals importants. Pour un groupe wallon, jouer en Flandre ou faire un set acoustique à la VRT, ça ne nécessite pas des coûts énormes et de longs déplacements. Vue de Flandre comme de Wallonie, la Belgique est un petit pays. Mais les possibilités sont énormes si on fait un effort. » Alvast bedankt Inge…