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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

En solo, c’est mieux ?

Didier Stiers

Il paraît que les groupes n’ont plus la cote. Enfin, disons qu’ils seraient de plus en plus barrés par des projets individuels. Certain·e·s avancent des raisons pratiques, économiques et sociales. Méfions-nous des tendances, elles ont toujours un petit quelque chose de trompeur…

Guilt, seul contre vents et marées?

C’est un papier publié sur le Net (lefsetz.com) qui a attiré notre attention. Titre : The death of the bands. Oui, c’est en anglais, mais quand même ! C’est un peu du calibre de ces autres intitulés annonçant la mort du rock, isn’t it ? En tout cas, l’écrit en question commence plus ou moins ainsi : « Il fut un temps où les groupes étaient prépondérants. Aujourd’hui, ils viennent en dernier, quand ils comptent encore. Il fut un temps où il vous fallait apprendre à jouer d’un instrument. Même les punks devaient connaître la guitare. Aujourd’hui, vous pouvez acheter des beats “on line”. Il fut un temps où vous deviez former un groupe pour savoir à quoi ressemblait votre chanson. Aujourd’hui, vous avez juste à faire fonctionner un programme ou un clavier électronique. Une chose est sûre : il est plus difficile que jamais de vivre de la musique. Internet a donc tué les groupes. En même temps que l’économie. Nous avons toujours des stars mais il s’agit rarement de groupes. Et à moins d’être une star, en tant que groupe, vous luttez. » Sévère ou pas, toujours est-il que cette intro se conclut comme suit : « Il vaut mieux travailler en solo, et ce qu’Internet a amené, c’est justement que vous pouvez tout faire par vous-même ».

 

Maxime Lhussier - Odessa

Instagram, et TikTok, qui dictent un peu les choses aujourd’hui,
sont des fenêtres qui marchent très bien avec des individualités fortes.

 

Les coupables de cette situation du tout à l’individu seraient donc le Net ainsi que la démocratisation des outils de production et de communication. Pour ce qui est de ces deux dernières années, ajoutons aussi : la pandémie, qui a poussé plus d’un artiste à se lancer dans l’une ou l’autre expérience (musicale) personnelle. Pour Maxime Lhussier, manager et bookeur chez Odessa (Dan San, Glauque, Glass Museum, Under The Reefs Orchestra, …), les réseaux sociaux ont, eux, clairement modifié la donne. « Peut-être qu’aujourd’hui, on peut facilement faire de la musique en solo et donc que le concept de groupe a un peu moins le vent en poupe, mais si nous sommes beaucoup plus dans l’ère de l’individualité – les artistes émergents sont bien plus souvent des artistes solo que des collectifs –, c’est parce que les moyens de communication ont été recentrés. La communication des artistes passe essentiellement par les réseaux alors qu’à l’époque, c’était par la presse. Instagram, et TikTok, qui dictent un peu les choses aujourd’hui, sont des fenêtres qui marchent très bien avec des individualités fortes. Derrière un compte Insta ou une story, c’est plus compliqué de faire passer le sens de l’humour de quatre ou cinq personnes à la fois. » Et de relever, tout comme nous le dit de son côté Diego Leyder (BRNS) « que le public s’identifiera plus vite à une personnalité forte ».

Le groupe se perpétue

Autre argument qui expliquerait ce désintérêt pour la formule en groupe : elle serait économiquement moins rentable, en plus d’être plus compliquée à encadrer et, artistiquement parlant, plus difficile à gérer. « Il faut mettre tout le monde d’accord, admet Maxime Lhussier, trouver des consensus, faire de concessions, agencer les sensibilités. Parfois, la prise de décision et le vivre ensemble au quotidien peuvent être moins faciles. Mais je reste persuadé qu’au bout du compte, dans ces collectifs, chacun apporte ce qu’il a de mieux à proposer aux autres. »

Si les stars nées sur le Net sont, effectivement, plus souvent des individualités que des collectifs, le “groupe” n’a pas pour autant disparu. Certes, pour certains, il s’agit de la formule scénique alors que le projet en lui-même est personnel. Voyez Thomas Medard de Dan San qui se réincarne dans The Feather, Gaëtan Streel qui compose seul mais se produit en groupe, ou encore Grégoire Fray animant Thot… Et puis, un entourage, ça peut rassurer. « L’idée d’Aucklane était là depuis très longtemps, explique ainsi Charlotte Maquet, tout était déjà à moitié construit dans ma tête, mais je reportais parce que j’avais plein de questions et de défis à surmonter. » Aucklane, dont le premier EP, Nightfall, a vu le jour le 15 avril dernier, c’est désormais une équipe : « Avec Monday Morning (son premier groupe, – ndlr), j’avais une équipe merveilleuse. J’ai toujours manqué de confiance par rapport à ce que je proposais sur scène, et là elle me poussait : « Allez Charlotte, arrête de te poser des questions, ça va bien se passer ! » Quand j’ai relancé un projet, je devais retrouver des gens avec qui ça pouvait se passer aussi bien ! » Pour d’autres encore, le projet en solitaire est un tremplin. « Je ne l’ai jamais véritablement envisagé en solo, dit François Custers à propos de Guilt. C’était plutôt une première étape pour commencer quelque part, faire un “coming out musical” et arriver à trouver le groupe (où l’on retrouve entre autres Antoine Flipo et Martin Grégoire de Glass Museum). »

Bosser sans personne ?

Certes, aujourd’hui, on peut tout faire seul : acheter des beats sur le Net, enregistrer chez soi sans se prendre la tête à monter un groupe, à gérer des répètes ou des changements de line up et sans devoir diviser les rentrées financières. Et pourtant… On ne compte plus ces projets nés en solo mais qui ne le restent pas longtemps. « Une fois que le projet solo existe, note Damien Aresta, ex-It It Anita, désormais bookeur et manager avec l’agence Julia Camino, il faut s’entourer, pour commencer à tourner, à jouer… Et parfois même offrir deux formules. Là par exemple, on fait du coaching et du management en “one shot” pour un gars dont le projet solo s’appelle German Lola et qui peut à la fois offrir un live où il serait tout seul avec sa guitare mais qui rassemble aussi un groupe pour d’autres types de dates. »

 

Patrick Saint-Rémy - Atelier Rock de Huy

Le disque, ça peut être l’artiste qui joue de tous les instruments,
mais en live, le projet est souvent développé avec d’autres musiciens.


« Quand on cherche dans le catalogue “Art et Vie” (le dispositif “Art et Vie” visent à favoriser la programmation de spectacles en Wallonie et à Bruxelles, par l’octroi d’une subvention par représentation, – ndlr), nous signale Patrick Saint-Rémy, coordinateur à l’Atelier Rock de Huy, on voit que les groupes montent effectivement des formules différentes. Solo, à trois, à cinq… Cela permet à certaines formations de jouer dans des salles auxquelles elles n’auraient peut-être pas eu accès financièrement en temps normal. » Damien Aresta, mentionnant Elvin Byrds, le projet solo de Renaud Ledru, chanteur et compositeur d’Alaska Gold Rush : « Que ce soit en mode solo ou en mode groupe, pour les labels, ça ne change pas grand chose dans la manière dont ça devient rentable. Je pense que sortir et promotionner le disque d’un groupe ou d’un projet solo, c’est un peu le même travail. »

Nonobstant les tendances, on en trouve aussi qui adoptent toutes les formules. Le Motel oscille : « J’adore travailler seul mais au bout d’un moment, ça me bloque. Et travailler en groupe finit par me frustrer parce que ce que j’ai envie de développer ne correspond peut-être pas aux attentes des autres. J’essaie d’alterner, pour trouver une balance entre les deux. » Diego Leyder, lui, se multiplie, entre BRNS, les impros en trio de Fondry et l’expérience en solo sous le pseudo de Dièze… « C’est marrant, avec les autres de BRNS, on se disait qu’effectivement, on avait pour le moment l’impression que c’était des personnalités qui étaient mises en avant plutôt que des groupes. » Revers de la médaille : « Un projet en solo peut paraître plus simple, mais tu dois faire des choix artistiques. Jouer avec des bandes, des boîtes à rythmes, ou assumer quelque chose de plus minimaliste, comme c’est mon cas. Finalement, je trouve intéressant d’avoir différents projets, à géométrie variable ».

Les groupes ne seraient qu’un reliquat de l’ère du rock’n’roll, lit-on dans le papier susmentionné : « La pop n’a jamais été basée sur le concept de groupe. Le hip-hop n’a jamais été basé là-dessus non plus. » Euh oui… Sauf qu’ils sont nombreux, les rappeurs d’aujourd’hui, à monter sur scène avec un groupe ! « Scylla se produit avec Sofiane Pamart, rappelle Patrick Saint-Rémy. Zwangere Guy est lui aussi solidement épaulé… » La mode du MC accompagné par un backeur ou un DJ semble un peu passée. « Le disque, ça peut être l’artiste qui joue de tous les instruments, mais en live, le projet est souvent développé avec d’autres musiciens. » Même avis côté… rock, où justement la notion de groupe soudé et indissociable connaît, avec le retour du genre, quelques beaux exemples aujourd’hui : Idles, Fontaines DC, Black Midi : « Ça devrait être plus simple d’être multi-instrumentiste et de savoir manier les logiciels, se dit Sophie Chiaramonte, bassiste de S O R O R (dont un album devrait nous arriver à l’automne). Mais je suis un peu vieille école : j’aime le partage. » Comprenez : pas seulement avec un public, mais aussi entre musicien·ne·s…