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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

BRNS

Décomplexé

Louise Hermant

Il y a dix ans, le groupe bruxellois réveillait le rock indépendant avec Wounded, porté par le single Mexico. Endossant aujourd’hui le statut confortable de tête d’affiche, la formation souhaite pourtant s’affranchir des attentes et des pressions. Quitte à déboussoler son public. Pour son dernier album, Celluloid Swamp, BRNS s’éloigne de l’univers sombre des débuts pour explorer un terrain plus solaire et pop.

Vous sortez votre quatrième album, enregistré à New York. Comment vous êtes-vous retrouvés là-bas ?
Antoine Meersseman : Le producteur Alexis Berthelot est un ami à plein de copains à nous. Il avait déjà travaillé avec des groupes que l’on connaissait. Lorsqu’on a joué au festival South By Southwest à Austin en 2015, il était également présent. Lucie Marsaud, ancienne membre de BRNS, nous a conseillé de le rencontrer. On a alors passé un peu de temps ensemble pendant l’événement et on s’est très bien entendu. Il nous a proposé de venir enregistrer dans son studio new-yorkais. Il nous a expliqué que ça ne nous reviendrait finalement pas plus cher que si on organisait cela à Bruxelles. Après avoir eu pas mal d’expériences en studio, mais jamais dans des endroits très équipés, on s’est dit qu’on allait se faire ce petit plaisir.

 

Antoine Meersseman

Cette fois, on avait envie de faire quelque chose de fun
et se marrer davantage.

 

Était-ce un rêve pour vous d’aller travailler aux États-Unis ?
Timothée Philippe : Personnellement, pas du tout. Je n’étais pas du tout attiré par New York. Quand on y est allé, on n’a rien visité. On a enregistré une partie à Brooklyn et l’autre à la campagne, à deux heures de la ville. L’expérience était par contre très différente. Quand on enregistre à Bruxelles, on emporte avec nous tous nos instruments. Ici, on a pu créer les sons directement dans le studio. Il y avait plein de matériel sur place, c’était très agréable d’avoir le choix. Il y a plein de sons de synthés qu’on a pu récréer avec des synthétiseurs plus performants et plus chers que ceux que l’on utilise d’habitude.
A. M. : On a composé le disque dans un laps de temps assez court. On voulait aller vers quelque chose de vraiment immersif, où l’on était tous ensemble. Quand on fait ça en Belgique, on est vite éparpillé. On a fait que bosser, on n’a pas pris de pauses pendant un peu plus d’une semaine.

Vous aviez déjà une idée précise de ce que vous vouliez en amont ou vous avez laissé place à de l’improvisation ?
T. P. : Quand on va en studio, c’est rarement de l’improvisation avec BRNS. On compose déjà tout à l’avance, piste par piste. On sait exactement les parties que l’on va faire. Le côté découverte résidait plutôt dans le fait de réadapter certains sons sur d’autres instruments, ce qui était très chouette à faire.
A. M. : Cela reste une musique qui est très écrite, il n’y a pas de surprise. Mais il est vrai que sur les autres disques, on a été très “control freak” sur plein de sons auxquels on tenait. Peut-être que rétrospectivement, on était trop dans le contrôle. Cette fois-ci, c’était assez agréable de laisser les chansons prendre une autre tournure au niveau des textures et du son. On était beaucoup plus ouverts par rapport à ça. Ça donne un disque un peu plus décomplexé que les autres.

Comment s’est passée votre collaboration avec Alexis Berthelot, qui a notamment mixé ou produit des albums de Frank Ocean, Gojira ou Moses Sumney ?
A. M. : Il a vraiment de la bouteille et connaît très bien son studio. Il sait réagir très vite. En écoutant telle maquette, il est capable de savoir précisément quelle pédale il faut utiliser. En cinq minutes, on peut créer un son ensemble. C’est quelqu’un de très réactif et un stakhanoviste assez impressionnant. Il était parfois directif mais cela nous allait. Il s’est également chargé de mixer le disque, on n’a presque pas eu de retours à faire. Il a beaucoup d’assurance et on lui a laissé de la place.

Pour ce disque, il y a une nouvelle venue : Nele De Gussem. Le line-up a souvent changé au cours de ces dix années, c’est un avantage d’avoir un regard nouveau sur votre projet ?
Nele De Gussem : J’ai rejoint le projet en cours de route. Mon rôle va surtout être de donner vie aux chansons lors des concerts. Mais j’ai quand même fait quelques chœurs sur le disque.
A. M. : Le groupe s’est formé avec César Laloux à nos côtés, qui est désormais sur d’autres projets. Quand il est parti, on était un peu démuni car on pensait qu’on avait vraiment créé notre ADN à quatre. Finalement, pour un projet qui fête ses dix ans, c’est très agréable d’avoir une nouvelle personne qui vient insuffler une nouvelle dynamique. Je trouve ça super positif. Cela apporte forcément une différente écoute et un autre regard sur nos chansons.


Antoine Meersseman
Faire un disque, c’est aussi faire le deuil de ce qu’il ne sera pas.


Vous avez enregistré l’album en 2018. On imagine que le confinement a modifié vos plans. Avez-vous profité de ce temps pour travailler encore sur l’album avant sa sortie ?
T. P. : On n’a rien changé. Quand on réécoute le disque, on est assez satisfait du résultat. Sur d’autres albums, ça a pu être moins le cas, comme sur Patine. On peut aujourd’hui se dire qu’il y a des morceaux qui sont trop lents, qu’on aurait pu modifier quelques trucs. On a pu avoir des regrets. Mais là, franchement, je suis très content du disque tel qu’il est.
A. M. : Faire un disque, c’est aussi faire le deuil de ce qu’il ne sera pas. On a enregistré le disque très vite. Après, il y a eu une longue période avant le mixage, qui a pu être frustrante. Une fois que tout a été bouclé, on a pu redécouvrir le disque sans amertume. J’ai l’impression qu’on a moins de griefs par rapport à la manière dont ça s’est fait que sur les autres disques. On était plus mûrs pour faire un truc simplement et aller droit au but.

Ce disque est plus pop, plus fun. On s’éloigne toujours plus de l’univers sombre des débuts. Est-ce qu’il a vous fallu du temps avant d’assumer cette direction ?
T. P. : À chaque fois, on pense faire des titres très pop. Et puis on nous dit que ce n’est pas le cas. Sur Patine, on savait quand même qu’on faisait des morceaux plus tristes, “plombants” et lents. On cherchait cette émotion-là dans la composition. Dès qu’on a composé pour Sugar High, on a remarqué que c’était moins sombre et plus up-tempo. Sur cet album-ci, Off You Go Daddy est par exemple un morceau très simple. Est-ce que l’ambiance est plus joyeuse sur certains morceaux ? Peut-être. Sur Familiar, c’est clairement plus solaire. Mais quand on l’a composé, on ne s’en est pas rendu compte.
A. M. : Les évolutions se font très naturellement. C’est moins évident pour le public de suivre ce que l’on fait, mais on ne se dit pas à l’avance que l’on va changer de carapace complètement. Tout se fait sur le moment. Dès qu’on trouve une idée, qu’elle soit solaire ou déprimante, on est galvanisé par le truc et on va jusqu’au bout. On ne veut pas faire 100 fois le même disque. Je me rends compte avec le temps que c’est quelque chose dont les gens n’ont pas vraiment l’habitude. Souvent, les artistes suivent une trajectoire plus douce. Nous, on est adepte des cassures. Ce disque vient encore briser quelque chose par rapport au précédent. Sur Wounded, on proposait une musique proche du chant sacré, avec une ambiance très solennelle. Ici, on revient avec quelque chose de différent. C’est assez positif, même si ça demandera un temps d’adaptation aux gens.

La voix semble aussi plus mise en avant que sur vos albums précédents.
A. M. : Avant, on avait un drôle de rapport avec les voix. On voulait à tout prix les noyer. On avait l’impression que dans la musique mainstream, les voix étaient très mises en avant et que c’était une mauvaise chose. Je crois qu’on s’est un peu ravisé en cours de route. Ici, on n’a pas lutté pour mettre les voix toujours dans le fond. Elles ressortent plus et ont une place centrale. Avant, ça sonnait plus caverneux, et maintenant tout est plus clair, plus équilibré. C’est peut-être ça qui donne le côté plus pop.

Pour vos premiers albums, vous disiez vous interdire pas mal de choses musicalement. Les barrières sont-elles en train de tomber aujourd’hui ?
A. M. : Je pense qu’on avait un côté un peu protestataire avant. On avait envie de se positionner très clairement comme faisant une musique assez codée et identifiable. Tout cela a fort changé avec cet album. Pendant des années, on voulait faire quelque chose de liturgique. Cette fois, on avait envie de faire quelque chose de fun et se marrer davantage. Un morceau comme Suffer, en 2010, on ne l’aurait jamais, mais alors jamais fait. C’est une certitude. Nos albums ont parfois marché, parfois pas. Alors pour celui-ci, on n’en avait un peu rien à faire. Si les gens suivent, tant mieux. On n’est plus dans un souci de cohérence. L’album part dans tous les sens et on l’assume complètement. Je suis assez content qu’on se soit assoupli avec les années. On manque de surprises dans les disques aujourd’hui.

Le communiqué de presse qui accompagne ce disque parle d’une véritable renaissance. Vous le voyez comme cela aussi ?
A. M. : Ouf… Je ne sais pas. On ne peut pas vraiment dire ça. Il s’agit plutôt d’une manière de faire qui est différente. On a eu un petit passage à vide après Sugar High, la tournée n’avait pas été très agréable. Le disque était difficile à défendre en live, on avait un peu galéré. On est allé vers quelque chose de plus direct notamment pour cette raison : on voulait des morceaux qui pètent bien en live, qui soient plus légers. Après l’enregistrement, le Covid est aussi passé par là. Tout a pris beaucoup de temps. Pour le moment, on est dans une phase où le disque n’est pas encore concret du tout car on l’a composé il y a super longtemps et on n’a pas encore pu le défendre en live.

Pour quelles raisons aviez-vous l’impression que Sugar High était difficile à défendre ?
A. M. : On n’a pas réussi à trouver l’alchimie sur le live. On n’arrivait pas non plus à le mélanger à nos anciens morceaux. Il y avait un vrai souci de répertoires qui s’entrechoquent, cela a donné des concerts à deux vitesses et à deux ambiances. Ce n’était pas très heureux. De plus, on a galéré pour la promo avec ce disque, il n’y avait pas de single dessus. On a eu l’impression que la réception n’était pas super dingo. Mine de rien, nos deux premiers disques ont été bien défendus dans les médias, donc les gens connaissaient nos morceaux. Sur Sugar High, ça n’a pas été le cas. On avait un statut de groupe confirmé, de “headliner”, avec lequel on a fait une grosse tournée française où on était en tête d’affiche. Mais on n’avait pas spécialement envie d’assumer ce statut-là. C’est beaucoup plus marrant d’être outsider et de pouvoir étonner le public, par exemple en première partie d’autres groupes. On était dans quelque chose de beaucoup plus sérieux et ça nous a foutu une certaine pression. Tout est devenu bizarre.
T. P. : On avait aussi composé le disque avec César. Plusieurs morceaux étaient en très grosse partie composés par lui. Juste avant la tournée, il est parti du groupe. Il a fallu retrouver une nouvelle dynamique sur les concerts. On a dû se réapproprier d’anciens morceaux et les mélanger avec les nouveaux.

Ce succès, tant médiatique qu’auprès du public, a-t-il été stimulant ou pénalisant d’une certaine manière ? Lorsqu’on est arrivé en haut, ne peut-on que redescendre ?
Diego Leyder : Il y a un peu des deux, fatalement. Disons que c’est très stimulant de venir presque de nulle part et de voir que notre musique plaît. Nous n’étions pas adoubés par un groupe établi, nous n’avions pas enregistré avec un gros producteur. La croissance du groupe s’est faite de manière naturelle et à échelle humaine. Il n’y a pas eu de grandes maisons de production qui sont venues nous chercher et qui auraient injecté énormément d’argent dans le projet, et qui auraient fait qu’on aurait pu grandir de manière exponentielle. Entre 2012 et 2017, nous avons beaucoup tourné. Et puis les choses se sont ralenties. Il y a eu beaucoup de changements dans les programmations des festivals, avec de moins en moins de groupes à guitare. Nous avons senti qu’il y avait un engouement moins grand autour de ce que nous pouvions proposer. Tout ça nous a un peu déconcertés. Mais ce n’est pas pour ça qu’on a changé notre fusil d’épaule, on continue à expérimenter et à faire des choses qui nous plaisent.
A. M. : On sentait bien que le vent allait tourner à un moment. C’est un peu étrange quand il y a un tel consensus médiatique autour d’un groupe. Ce n’est jamais très positif. Je pense par exemple à Lescop, qui avait fait un disque ultra encensé par la critique et qui a vu tous les professionnels du milieu lui tourner le dos pour le suivant. Il y a plein d’exemples comme ça. À titre personnel, je sentais bien que ça ne pouvait pas durer pour nous. J’étais assez méfiant. Sugar High a été une petite claque. Alors qu’on était plutôt bien accueilli auparavant en France, on n’a quasi pas eu de presse là-bas. On ressentait pas mal de colère. Mais on s’est dit tant pis, on ne va pas arrondir les angles. On n’a plus des attentes démesurées. On sait aussi qu’on est maintenant un vieux groupe.

Antoine, vous venez de lancer votre projet solo avec Paradoxant. Timothée et Diego, vous avez aussi joué avec d’autres groupes. BRNS s’est associé au groupe Ropoporose pour former le projet éphémère Namdose il y a deux ans. Vous ressentez davantage le besoin d’explorer d’autres horizons ces derniers temps ?
A. M. : On a vécu des années très intenses. On était tous très concentrés sur BRNS. C’était super de le vivre comme ça, mais on ne pouvait plus que faire ça non plus, tout le monde serait devenu fou. Chacun voulait faire ses trucs de son côté mais ce n’est pas du tout une réaction négative. Je me suis lancé à un moment où il ne se passait pas grand-chose avec BRNS et on ne tournait pas beaucoup avec Namdose. J’avais donc pas mal de temps, ça s’est fait de manière naturelle. En tant que musicien, on n’a pas qu’une identité musicale. Chacun peut trouver du plaisir à jouer avec d’autres personnes ou instruments. Au départ, on formait une bande de potes très concentrés sur notre projet, on s’était presque interdit d’aller voir ailleurs. Mais faire d’autres choses n’empêche pas du tout de continuer à créer des choses ensemble et de se retrouver dans la bonne humeur.
D. L. : Entre 2012 et 2017, c’était très compliqué d’avoir d’autres projets car on jouait beaucoup, on allait souvent à l’étranger. César avait d’ailleurs pas mal de problèmes d’agenda à l’époque pour faire coexister ses deux groupes. Maintenant que les choses se sont ralenties autour de BRNS, ça laisse de la place pour que d’autres choses puissent exister. C’est une chouette dynamique de tenter d’autres aventures et de revenir avec un regard nouveau sur le projet BRNS.

Est-ce que ça vous manque parfois, cette intensité ?
D. L. : Il y a plein d’aspects qui me manquent. C’est super chouette de jouer souvent, de sentir que l’on joue de mieux en mieux, de rencontrer plein de gens différents dans plusieurs pays, de connaître d’autres musiques. Il y a d’autres choses qui sont moins directement liées à l’expérience musicale et la création qui sont moins marrantes. Des journées entières à faire des trajets en van, ce n’est pas spécialement chouette. Malgré tout, le manque reste présent, surtout depuis un an et demi, où l’on a à peine pu faire des concerts. On a très hâte de reprendre la route. La scène est l’objectif du projet. On a besoin de ressentir cette énergie, cette puissance de l’instant.