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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Éric Legnini

La vie parisienne

Dominique Simonet

Le pianiste d’origine hutoise fait carrière à Paris depuis bientôt trente ans. Dans la ville lumière, Éric Legnini mène une double vie : jazz et variétés. À nouveau sous les feux des projos, le voici directeur musical de l’album et de la tournée des Dutronc père et fils, Jacques et Thomas.

Éric Legnini est un musicien très occupé. Depuis l’enregistrement de l’album Frenchy, d’un Thomas Dutronc multipliant les reprises et les duos, il ne cesse d’accompagner le guitariste et chanteur en tournée. La sortie du disque est prévue le 19 juin 2020, pas de bol, en plein confinement. Qu’à cela ne tienne, mémorable, la présentation de l’album eut lieu sur une péniche voguant sur le canal Saint-Martin à Paris. Depuis son piano droit noir, posté devant la cabine de pilotage, le Hutois est à la manœuvre musicale, tandis que le bateau à fond plat passe les écluses et navigue à la rencontre d’un public aussi fasciné qu’amusé. C’est l’un des faits d’arme auquel il faut s’attendre quand on travaille avec un Dutronc. Alors qu’est-ce que ça va être, maintenant qu’ils sont deux !
 

Éric Legnini
Je me voyais mal tomber dans la routine du musicien de jazz en Belgique.
J’avais envie de bouger.


Si le pianiste, né à Huy un 20 février 1970, fils d’émigrés italiens, en est arrivé là, c’est par une conjugaison généralement payante de don, de travail et de persévérance. En 1990, à 20 ans, il remplace Michel Herr dans le quartette de Toots Thielemans, et ce jusqu’en 1992. « J’avais déjà une vie musicale super active, se souvient Éric Legnini. En arrêtant de jouer avec Toots, je me voyais mal tomber dans la routine du musicien de jazz en Belgique. J’avais envie de bouger. »

Rencontre au Sounds

L’occasion s’est présentée après une soirée au Sounds où Éric Legnini rencontre le saxophoniste romain Stefano Di Battista et le trompettiste turinois Flavio Boltro. À ce moment-là, les deux Italiens allaient rejoindre l’Orchestre National de Jazz français (ONJ) à Paris. Ayant, par ailleurs, l’intention de former un quintette, Stefano et Flavio ont proposé à Éric le Belgo-Italien de les rejoindre dans cette ville qui, pour avoir été capitale du jazz dans les années cinquante, reste un haut lieu de l’activité jazzistique. Quand on est musicien, que l’on a 23 ans et la bougeotte, une pareille offre ne se refuse pas. Éric Legnini fit partie du quintette pendant plus de dix ans, de mi-95 à 2007–2008.

Victoire jazz avec les frères Belmondo

Dans le même temps, le pianiste entame des collaborations de longue durée avec le trompettiste Éric Lelann, ainsi qu’avec Lionel (sax) et Stéphane (trompette) Belmondo. C’est avec les Belmondo Brothers qu’il enregistre l’album Wonderland, primé “meilleur album jazz français” aux Victoires de la musique 2005. Durant cette période très animée, Éric Legnini partage régulièrement la section rythmique avec le batteur français “Dédé” Ceccarelli : « André m’a introduit dans le milieu des studios parisiens », dit-il. Selon une pratique qui ne date pas d’hier, il fait partie des musiciens accompagnant les solistes de passage dans les grands clubs parisiens comme le Sunset ou le Duc des Lombards. Jouer et enregistrer avec Enrico Rava (trompette), Joe Lovano ou Mark Turner (sax) fait aussi partie de son parcours.

Tout aussi traditionnellement, ce sont des jazzmen qui accompagnent le plus souvent les artistes de variétés. « André m’a parrainé pour que je participe à des enregistrements avec Henri Salvador ou Liane Foly en acoustique. » Ce dernier album est réalisé par un certain Mick Lanaro, célèbre ingé son français qui a travaillé avec à peu près tout le monde, Aznavour, Sheller, Johnny et un certain Claude Nougaro, époque Nougayork (1987).

Nougaro et « La note bleue »

« Mon nom commençait à circuler dans les studios », dit-il. C’est à cette époque qu’Éric Legnini commence à travailler comme directeur artistique pour certains chanteurs dont, point culminant, Claude Nougaro, sur La note bleue (2004). « C’est lui, le premier grand dont j’ai réalisé l’album. Il voulait revenir au jazz, mais lorgnait aussi sur la musique urbaine. De mon côté, je faisais régulièrement des instrus pour des rappeurs, comme Soprano ou Sinik. J’ai eu cette étiquette urbaine à un moment donné, ce qui a plu à Claude. Quand on a appris qu’il était condamné par la maladie, on a fait un album acoustique célébrant le jazz et la chanson. »
 

Éric Legnini
Jazz et chanson me font faire de grands écarts.
Paris m’a ouvert l’horizon.


Durant cette période – entre 2000 et 2006 –, le musicien belge, Parisien d’adoption, installe ses quartiers dans l’une des cabines du studio Ferber. Le lieu a vu passer tout le monde, de Gainsbourg à Birkin, de Chedid fils à Vanessa Paradis, de Noir Désir à Black Sabbath en passant par Alain Bashung. « Cela m’a permis de me rapprocher de René Ameline (fondateur des studios en 1973, – ndlr), un des ingés son reconnus, qui a fait plein de choses, notamment avec Jacques Dutronc ».

Rocky, fine lame manouche

Nous y voilà, presque. Mais, avant cela, il y a la rencontre avec Thomas Dutronc, fils unique et bien-aimé de Jacques et de Françoise Hardy. Guitariste, Rocky Gresset avait invité Thomas en tant que guitariste de jazz manouche également. « On a été au resto avec Rocky et Thomas, j’ai vraiment bien aimé », se rappelle le pianiste belge. Entre-temps, Éric Legnini a construit, chez lui, à Charenton-le-Pont, en bordure du bois de Vincennes, un petit studio de pré et post-production, ainsi que de mixage. Son “laboratoire musical”, comme il l’appelle. Lorsque Thomas concevait l’album Frenchy, Rocky, son guitariste, a pensé à Éric : « C’est comme ça qu’on s’est retrouvés, à la maison, chez moi, à la bonne franquette. On répétait tout en ouvrant de bonnes bouteilles… Et moi qui adore cuisiner… Nous avons passé de bonnes soirées, cela nous a tous rapprochés ».

Dutronc & Dutronc, la tournée

Éric Legnini intègre la formation qui enregistre l’album, avant de partir en tournée. Et, maintenant que « Thomas a envie de partager une aventure musicale avec son papa », il fait naturellement appel aux mêmes musiciens. Qui plus est, « sur la tournée avec Jacques, il m’a demandé de prendre plus de choses en main », raconte le pianiste. Ce dernier a déjà une expérience des grandes salles, notamment avec le trompettiste Ibrahim Maalouf, lors de la tournée Red & Black Light, passée par Bercy, les Zénith de France et les grands festivals. « La tournée Frenchy s’est faite assez facilement, avec des jazzmen, en répétant à 90% à la maison. Les idées venaient dans tous les sens. Avec le père de Thomas, c’est différent. Être prêt pour les grandes salles, c’est moins artisanal que de jouer acoustique dans un club. Il faut beaucoup plus travailler la préparation. » La tournée Dutronc & Dutronc débutera le 14 avril au Casino de Paris, avant de passer, à l’Arena5 de Bruxelles, puis à Forest National.

Dutronc & Dutronc, l’album

C’est encore officieux au moment d’écrire ces lignes, mais un disque signé Jacques et Thomas Dutronc est en préparation. Au programme, les meilleures chansons du père et du fils, leurs succès respectifs, que tout le monde attend. « Ça va bosser, on espère qu’il y aura des inédits ». Les lundi 7 et mardi 8 février derniers, toute l’équipe était au studio Ferber pour enregistrer : « Étant sentimentalement proche de René Ameline, et sachant que Jacques y a travaillé dans les années septante, je voulais qu’il y ait une connexion. Pour moi, comme pour eux, cela fait sens. » L’album est prévu pour novembre 2022, chez Universal. Il sera complété par un enregistrement en public pour la fin de la tournée, dans deux ans et demi. Éric Legnini y joue du piano électrique Wurlitzer et de l’orgue Farfisa, des instruments des années 60-70, « pour le côté old school », précise-t-il. « L’essence du son vient des albums originaux de Jacques, dont j’essaie de respecter l’atmosphère, tout en apportant des touches plus modernes. »

Quant à ses projets personnels, Éric Legnini avoue ne pas avoir beaucoup de temps pour ça. « Je ferai un nouvel album, avec le luxe de pouvoir l’écrire », dit-il. Lui qui a fait la première partie d’un de ses héros, Herbie Hancock, à l’Olympia, se dit heureux de sa vie parisienne : « Jazz et chanson me font faire de grands écarts. Je ne suis pas cantonné à une scène mais amené à faire des musiques complètement différentes. Paris m’a ouvert l’horizon. »