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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Des concerts en vert ou contre tout?

Didier Stiers

Quid des considérations environnementales en ces temps où, pour les artistes, les concerts constituent comme jamais un gagne-pain plus conséquent que les ventes d’albums? « Il faut tourner si vous voulez exister », insistent les professionnel·le·s du secteur! « Oui, mais le climat, alors », interpellent les expert·e·s? En Fédération Wallonie-Bruxelles, ces données semblent en cours d’intégration mais ne sont pas forcément prioritaires. Petit tour d’horizon, dans la perspective du monde d’après…

Puisque nous les avions quand même au bout du fil (voir nos interviews dans ces pages), nous en avons profité pour évoquer le sujet avec Charlotte Maquet d’Aucklane et Pierre Van Vlaenderen d’Endless Dive. Ce dernier dit avoir l’impression que de plus en plus d’artistes se sentent concerné·e·s par cette problématique. La première se réjouit que nous consacrions à ce thème un peu de place dans Larsen. « C’est vraiment quelque chose qui me préoccupe, assure-t-elle, précisant qu’il s’agit là d’un discours qui devrait être bien plus souvent tenu. Il y a plein de choses à mettre en place évidemment, et il va vraiment falloir réinventer le secteur. Mais je trouve qu’on est justement dans une industrie où les préoccupations écologiques sont encore assez peu débattues. Alors quant aux tournées, concerts et autres, on n’y est pas encore, ça c’est sûr ! »

 

Didier Gosset 
Fédération des Festivals de Musique Wallonie-Bruxelles

Au niveau des tournées, on est effectivement encore loin
de sortir du schéma actuel.

 

Julien Fournier ne dit pas autre chose. Si le directeur de Wallonie-Bruxelles Musiques n’a pas eu vent de beaucoup d’initiatives ou projets en la matière, c’est aussi dû à la période que vit le secteur en Belgique. « J’avoue que pour le moment, c’est un discours qui n’est pas très audible dans le débat public. Il y a eu une petite reprise, mais ça a duré cinq mois, et là nous sommes tous en train de nous reprendre un mur dans la gueule. Donc malheureusement, de ce que je vois et de ce que j’entends, c’est quelque chose qui est en train de passer… pas tout à fait au premier plan. »

Et de nous citer une initiative française, The Green Room, dont les animateurs entendent « développer des stratégies créatives pour le changement environnemental et sociétal dans le secteur de la musique », fournissant des services (accompagnement, ateliers et formations, ressources documentaires…) et intervenant notamment lors de festivals, salons et autres rencontres professionnelles (Womex, Reeperbahn, MaMA…). « Quand nous avons eu l’occasion de discuter avec eux, reprend Julien Fournier, ils acquiesçaient aussi sur le fait que pour le moment, il est quand même fort compliqué de se faire entendre là-dessus. Chez nous à l’agence, ça fait déjà quelques années que nous y réfléchissons, que nous essayons d’introduire ça dans nos formulaires d’aide, mais j’avoue qu’actuellement, c’est déjà tellement de contraintes, tellement le bordel… Alors oui, c’est un peu déprimant de penser comme ça, mais pour le moment, malheureusement, ce n’est pas le sujet le plus prégnant. Là, il faut que nous survivions tous… »

Pour Didier Gosset, représentant la FFMWB (Fédération des Festivals de Musique Wallonie-Bruxelles), on est certes encore tôt dans le questionnement, mais au moins, il existe. « Au niveau des tournées, on est effectivement encore loin de sortir du schéma actuel. Mais je pense que l’idée, et c’est clairement la volonté des institutions européennes, va être comme pour pas mal d’autres industries de rentrer dans une logique de taxe carbone et de pollueur/payeur. »

Du merch’ écolo

Tout le monde ne s’appelle pas Coldplay ni n’a les moyens de ses ambitions. Le groupe de Chris Martin, qui remplit les stades aux quatre coins du monde en un claquement de doigts, l’a promis : la tournée 2022 sera éco-responsable ! Gobelets recyclables, confettis biodégradables, plancher cinétique, panneaux solaires, batterie rechargeable en lieu et place des traditionnels générateurs (c’est une première): les Londoniens, après avoir consulté divers expert·e·s, ont décidé de sortir la grosse artillerie.

Mais ce n’est pas pour autant que les principaux concernés chez nous se croisent les bras en attendant des jours meilleurs pour se faire entendre ou passer à l’action. L’exhortation des climatologues à limiter les émissions de carbone et réduire la production de déchets a trouvé des échos. Charlotte Maquet: « Je trouve qu’il y a des évidences, dans ce qui peut changer en termes d’organisation de concerts et de festivals. Un bête exemple : tu montes sur scène, qu’est-ce qu’il y a pour les artistes à proximité ? Des bouteilles d’eau de 50 cl, au format individuel, en plastique, préemballées dans du plastique ! Ou dans les loges, ce sont toujours les traditionnels snacks, emballés dans du plastique et qui viennent de grandes surfaces… »

 

Julien Fournier
Wallonie-Bruxelles Musiques

(la pandémie) facilite d’une certaine manière les trajets réduits, le circuit court.
Ce vers quoi nous poussons depuis un moment chez WBM.

 

Les petits ruisseaux font les grandes rivières, comme disait ce bon Monsieur Ladage. Chez Endless Dive, on s’est jeté à l’eau en proposant, dans le merchandising du groupe, un T-shirt en coton bio, imprimé avec des encres naturelles. « C’est surtout une demande de notre batteur, qui est sûrement le plus impliqué de nous quatre dans ce genre d’idées, raconte Pierre Van Vlaenderen. Maintenant, il est clair que si nous ne le revendiquons peut-être pas forcément, nous y sommes tous sensibles. Et si nous pouvons associer la musique à ce genre d’idées, les véhiculer même bêtement à travers du merchandising, autant le faire que l’inverse ! Même pour la production du vinyle ou du CD, nous essayons de passer par des petites entreprises, un peu plus proches de chez nous. Là par exemple, les vinyles et les CD sont imprimés en France… »

Le plein de défis

Certes, la crise sanitaire a quelque peu fait passer au second plan le souci d’être plus vert chez les artistes. Mais la pandémie a aussi eu quelques effets positifs, si ! « Puisque nous ne pouvons plus voyager de manière lointaine, et surtout intercontinentale, note Julien Fournier, cela facilite d’une certaine manière les trajets réduits, le circuit court. Ce vers quoi nous poussons depuis un moment chez WBM. Pour les musiciens dont nous nous occupons, c’est vraiment le plus intéressant : pouvoir les aider à traverser la frontière belge, et aller sur les territoires alentours… »

Voyager moyennant quelques ajustements : on y pense aussi chez Aucklane. « Nous sommes en train de mettre en place un rider qui inclut nos demandes : plus de bouteilles d’eau en plastique, plus rien qui ne vienne des grandes surfaces, des choses comme ça. J’ai vraiment envie de travailler là-dessus ! Après, pour ce qui est des tournées, c’est compliqué d’imaginer d’autres choses. Tourner fait tellement partie de l’essence de la musique… » Dans ce contexte, réduire sa mobilité pour diminuer le dommage écologique induirait en effet de s’invisibiliser professionnellement ! « Dire qu’on ne tourne pas parce que c’est mieux pour l’écologie, j’en connais peu qui seront prêts à le faire », réplique Charlotte Maquet. Elle rit : « Et faire des tournées en train, avec le matos, c’est un putain de défi ! ». Si le rider d’Aucklane est rédigé, il n’a pas encore servi. On verra d’ici peu comment il sera accueilli par les organisateur·trice·s, pour lesquel·le·s, selon les cas, “l’environnement” est aussi plus ou moins devenu une préoccupation.

« Quand on fait un groupe, embraie Pierre Van Vlaenderen d’Endless Dive, il y a quand même pas mal de trucs pour lesquels on aimerait trouver des solutions. Par exemple, ne serait-ce que pour les transports. Nous sommes obligés de prendre un van pour transporter le matos et ça consomme quand même pas mal… Là, récemment, nous parlions avec le batteur de nos envois en ligne des maquettes, qui pèsent des gigas, ce qui consomme aussi énormément d’énergie. C’est pratique sur papier mais les gens n’imaginent pas forcément la “pollution virtuelle” que ça représente. Ne pourrait-on pas trouver autre chose? Enfin voilà, j’ai l’impression que nous faisons attention à tout cela, c’est normal, mais comme tout le monde, nous avons aussi des choses à améliorer. » Ou, comme le dit Charlotte Maquet : « Je pense que nous ne sommes pas les seuls à concrétiser des idées. Mais certains sont déjà beaucoup plus loin là-dedans que nous ! »

D’ici peu, artistes, salles et festivals devraient en tout cas pouvoir évaluer leur impact environnemental grâce à un “carbon calculator” en cours d’élaboration. Comme l’explique Didier Gosset, cette fois sous sa casquette Impala (l’association des labels indépendants en Europe) : « Il s’agit d’un outil développé en collaboration avec Julie’s Bicycle, une ONG qui se charge du “verdissement de l’industrie musicale et du live en Grande-Bretagne” (le pays est en avance de ce point de vue, voyez par exemple le mouvement Music Declares Emergency, – ndlr). Il permettra aussi de voir quelles solutions peuvent être mises en place pour compenser. PIAS est un des porteurs du projet en Belgique. Nous espérons voir ce calculateur disponible en mai ou juin… »

The Green Room : www.thegreenroom.fr (logo signé… McCloud Zicmuse !)
Music Declares emergency : musicdeclares.net
Impala : www.impalamusic.org