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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Boogie Town Festival

Jean-Philippe Lejeune

Entre 1994 et 2003, Louvain-la-Neuve, puis Court-Saint-Étienne, ont été les lieux de rendez-vous d’un festival hors normes : le Boogie Town. De Canned Heat à John Mayall en passant par Golden Earring, nombre de références musicales s’y sont arrêtées. Retour sur un festival mythique avec 3 témoins qui ont participé à sa renommée.

Tant pis pour les puristes

Derrière ce festival créé en 1994, il y a Fred Maréchal et l’asbl Phylorock, référence aux premiers concerts qu’il a organisés avec le cercle de philo quand il était étudiant à Louvain-la-Neuve. À ses côtés, sa femme Myriam Boone, ainsi que Pierre Vreven (actif dans la MJ de LLN puis plus tard programmateur aux Halles de Schaerbeek et coordinateur chez Court-Circuit) et Philippe Magos (le patron de Caroline Music – LLN). « Les 3 premières éditions ont été menées en collaboration avec Peter Verstraelen (agent de Triggerfinger, Arid, Steven de Bruyn, BRNS… – ndlr). S’il n’y avait pas eu Peter, il n’y aurait pas eu pas de festival… », précise Fred.
 

Fred Maréchal
Pour le public strictement blues, on était une hérésie.


Le nom Boogie Town s’inspire d’un titre des Stray Cats, Rock This Town. La première édition donne le ton : Canned Heat, Alvin Lee Band et Paladins. L’année suivante, John Mayall and the Bluesbreakers étaient en tête d’affiche devant un public à 60% néerlandophone : « Le public “blues” est très mobile, nous n’étions pas très loin de la frontière linguistique, explique Fred. Et puis, il y a une tradition plus marquée pour le blues en Flandre, notamment avec Peer, considéré comme le plus gros festival de blues au monde. » Mais l’approche est différente des autres festivals traditionnels comme celui de Tamines ou d’Écaussinnes… En effet, le Boogie Town propose une programmation plus rock and roll avec des groupes comme Steppenwolf, Ten Years After, Jason and the Scorchers, qui illustrent la fusion du blues avec d’autres genres. Le festival a été le premier à faire jouer Big Sugar, un groupe canadien qui a été une grosse influence pour Triggerfinger également programmé pour la première fois en Wallonie. Ajoutons aussi la première apparition en Belgique du guitariste américain Popa Chubby. « Pour le public strictement blues, on était une hérésie. On a fait Calvin Russel, Willy DeVille… Bref toutes les musiques qui entretiennent une parenté avec le blues. On a aussi reçu André Williams, une légende du rythm and blues, qui a collaboré avec Marvin Gaye, Stevie Wonder et Ike Turner. »

Jean-Paul Smismans, interviewer et animateur sur Classic 21, est un habitué du Boogie Town qu’il a maintes fois présenté sur scène. Pour lui, la force de ce festival était d’avoir une programmation unique avec un mélange de boogie, de blues, de rock and roll, de jazz, de funk… « La particularité du festival, c’était aussi d’organiser des “one-shots”. Bai Kamara Jr., par exemple, artiste soul afro jazz teinté de blues a repris Sex Machine à Court-Saint-Étienne avec Steven De Bruyn (harmoniciste de El Fish, – ndlr). » Notons aussi en 2000, le concert de The Amazing Atomic All Stars Boogie Band avec Willy Maes, René Stock, Fred Lani, Philippe Casteels et Roland Van Campenhout.

Bref, une mise en valeur des talents locaux, même si à l’époque il y avait plus de groupes en Flandre qu’en Wallonie. Fred Maréchal s’en souvient : « Quand Fred Lani est arrivé il n’y avait rien. Ce festival et le Roots encore aujourd’hui ont fait émerger une scène dans ce créneau-là. Aujourd’hui, des talents il y a en plein : Power Shake, Boogie Beasts, The Experimental Tropic Blues Band, Little X Monkeys… »

D’ailleurs la rencontre entre les deux Fred, Lani et Maréchal, s’est déroulée à Louvain-la-Neuve lors de la Nuit du Rock en 1996. Fred and the Healers étaient sur scène et Fred Maréchal distribuait des tracts pour son festival dans le public. Cela a été le début d’une longue collaboration musicale et amicale. Fred Lani fréquentait le Boogie Town bien avant la création de son groupe : « Nous y avons joué pour la première fois en 1997 mais j’avais participé aux éditions précédentes en simple spectateur, j’étais ado et je balbutiais encore à la guitare. Je n’aurais jamais pensé jouer dans ce festival. J’ai adoré les Paladins, c’était une fameuse claque. » Le guitariste se produira 4 fois au Boogie Town avec son band ou en solo. Il est vite devenu conseiller à la programmation comme le chanteur du groupe de rock Romano Nervoso, Giacomo Panarisi.

Un festival, ce sont aussi des tonnes de rencontres et d’anecdotes. Fred Maréchal n’a pas oublié le passage du chanteur Lester Butler avec Thirteen en 1998 qui, malgré son état avancé, a donné un immense concert. Malheureusement, il décédera à 38 ans d’une overdose chez lui à L.A. quelques jours après le festival. Deux ans plus tôt, on retiendra le passage remarqué des Fabulous Thunderbirds (dans lequel ont joué Jimmie Vaughan et Duke Robillard) dont le claviériste Gene Taylor nous a quitté au mois de février dernier. L’obstination de John Mayall refusant que les roadies portent son matériel sur scène, préférant l’installer lui-même. Mais aussi la rencontre avec une idole : « En 1997, nous avions invité Mick Taylor, l’ancien guitariste des Rolling Stones. 
Il dormait dans le même hôtel que nous et le lendemain, surprise, il s’est installé à notre table pour le petit déjeuner ». Plus inquiétant, la présence des Hells Angels hollandais que Golden Earring avait engagés pour faire leur service d’ordre « Ils auraient dû se souvenir de l’expérience des Stones à Altamont », ironise Fred. Heureusement ici tout s’est bien déroulé ! Ajoutons, sans vouloir forcer la caricature, que l’équipe technique hollandaise avait emporté pour le trajet toutes les boissons et la nourriture stockée dans leur loge. « Golden Earring, raconte Jean-Paul Smismans, ont exigé d’être amenés sur scène en limousine pour parcourir quelques centaines de mètres. Je me souviens aussi de John Kay, le chanteur de Steppenwolf devenu quasi aveugle. Il avançait dangereusement jusqu’au bord de la scène et on s’est demandé pendant tout le concert s’il n’allait pas en tomber ! »

Un festival à taille humaine

Pour Fred Lani, le Boogie Town, son premier vrai festival, distillait une ambiance bon enfant : « Il y avait une atmosphère très relax, on était là pour boire une bière tranquillement et écouter un concert allongé dans l’herbe ou devant le podium. Fred et Myriam ont toujours eu cette volonté de faire du “crossover” entre le blues, le latino, le punk… Ce qui amenait un public alternatif plus ouvert, pas les puristes, les “blues polizei”, comme nous les appelions. » « Sur la même affiche on pouvait retrouver Tony Joe White d’une part et les Moonshine Playboys reprenant, dans le plus pur style bluegrass, des standards du rock comme Smells Like Teen Spirit ou Enter Sandman », ajoute Jean-Paul Smismans.

Pour Fred Maréchal, c’était un festival d’artisans qui géraient tous les aspects : de la logistique à la programmation en passant par les stands de nourriture: « On a toujours préféré limiter notre capacité d’accueil afin de garder cette qualité d’organisation et le respect du public. C’était tout de même un gros festival en Europe, avec une fréquentation de plus de 5.000 personnes. » Autre attention particulière, les festivaliers de moins de 18 ans ne payaient pas. « Le but était de donner le goût aux jeunes d’aller à ce type de concerts, explique Jean-Paul Smismans, c’était une sorte d’incitant culturel pour qu’ils continuent à se rendre au festival une fois adulte ». Nous pourrions aussi ajouter la proximité des artistes et du public, il était habituel que les groupes aillent supporter d’autres têtes d’affiche devant la scène. Après un changement de lieu vers le parc à Mitrailles de Court-Saint-Étienne, le festival s’est interrompu avant de renaître cette fois à Lessines en 2004 et 2005 sous le nom de Highway to Hills, allusion claire à la région d’Ellezelles appelée le Pays des Collines. « Ces 2 éditions nous ont permis de monter le Roots and Roses en 2010 car il a fallu refaire notre place à Lessines », conclut Fred Maréchal. Rendez-vous donc à la prochaine édition, non pas le 1er mai 2021 comme annoncé mais pour deux dates exceptionnelles en juillet dans la cour de l'Hôpital Notre-Dame à la Rose à Lessines!