Festivals d’été: la fin d’un modèle ?
Si certains comme Couleur Café, les Ardentes et les Solidarités ont réussi à tirer leur épingle du jeu, l’année a été compliquée pour quelques-uns des plus gros festivals francophones belges de l’été. Bilans, autocritiques et perspectives.
Alors que les Urban 32, Nuits Weekender, Tough Enough, Fifty Lab et autres festivals en salles pointent le bout de leur nez (à Liège, le Micro vient d’annoncer un décrochage en février), les organisateurs des grands rassemblements estivaux font le point sur leur dernière édition et en tirent les leçons. La fréquentation des Ardentes est repartie à la hausse. Les Solidarités ont attiré plus de monde qu’escompté. Et Couleur Café a affiché complet.
Tout le monde cependant ne peut pas se targuer d’un bilan réjouissant. « À Dour, il est mitigé, reconnaît le programmateur Mathieu Fonsny. On a essayé de renforcer la programmation de notre grande scène en signant Stormzy, Yeat, Charlotte de Witte et FKA Twigs. Quatre artistes pour lesquels on avait décidé de craquer un peu notre bourse afin d’internationaliser notre affiche en espérant avoir un retour sur la billetterie. Ça n’a pas été le cas. On a attiré entre 40.000 et 50.000 personnes par jour et plus ou moins réalisé les mêmes ventes que l’année passée mais en ayant dépensé davantage pour la programmation. On n’a pas atteint les chiffres espérés. Notre calcul était mauvais. Et ce n’est pas grave. Il ne faut pas voir que l’aspect négatif des choses. Il s’agit de comprendre que le festival est regardé de l’extérieur. Aux yeux de certains professionnels de la musique, en invitant ces artistes, on a envoyé un signal. Celui qu’on joue dans une certaine catégorie. On apprend de ses erreurs et ça nous conforte dans l’idée que Dour, c’est une multitude de petits, moyens et petits gros noms qui font que l’ensemble est attractif. Je pense qu’avec deux de ces artistes, on aurait enregistré les mêmes rentrées. On doit peut-être aller chercher davantage encore dans les niches, les couches et les sous-couches pour entretenir la relation qu’on a avec notre communauté et la satisfaire. »
Du côté du plan incliné aussi, c’est un peu la soupe à la grimace. « On a vécu la première édition déficitaire de Ronquières, avoue son programmateur Fabrice Lamproye. Ça ne remet pas en cause l’existence du festival mais ça amène à se remettre en question. Concernant la programmation, il faut davantage de différenciation par rapport aux autres événements inscrits sur le même territoire. Nous proposons des affiches si pas similaires, qui donnent parfois l’impression de l’être et nous avons constaté qu’on voyait trop les artistes programmés, notamment les têtes d’affiche. »
Hausse des cachets et fragilité des exclus…
Dans une industrie de la musique plombée par la chute des ventes de disques où le concert est devenu l’unique source de rémunération/le gagne-pain quotidien/la vache à lait (biffez les mentions inutiles), les pratiques du secteur sont devenues agressives et les cachets ont flambé. « On est en partie responsables. On a commis des erreurs. On est tous à un moment tombé dans la surenchère, admet Denis Gerardy (Les Solidarités). Mais on ne peut plus continuer comme ça. »
Au-delà des tarifs pratiqués, les exclusivités fort relatives et le jeu trouble de certains agents ont coûté cher cet été. « Lorsqu’on t’accorde une exclu, éventuellement partagée avec un autre festival, et que tu apprends en juin qu’on relance deux Forest National en novembre, ce que Ronquières a vécu avec Julien Doré, ça te coupe forcément l’herbe sous le pied. D’autant que le public est en train de préférer la salle au festival. Pourquoi ? Parce qu’il y trouve un certain confort. Parce qu’il sait que l’artiste va faire tout son set. Venir avec toute sa prod. Donc, qu’il va vivre une expérience complète. Le LaSemo avait embauché MC Solaar et a appris à trois semaines du festival qu’il jouait gratuitement aux Fêtes de Wallonie à Namur… »
En juin, les organisateurs de festivals francophones qui sentaient le vent venir s’étaient rassemblés pour la première fois depuis le Covid pour discuter de leurs problèmes. « On en a parlé aux agents, à leurs intermédiaires en Belgique, et on leur a demandé de relayer nos doléances, reprend Fabrice Lamproye. C’est compliqué. Parce qu’on ressent une volonté d’amasser de l’argent rapidement. Tu as beaucoup moins de vision à long terme qu’avant. » « J’espère que le message est passé, ponctue Denis Gerardy. Les agents sont sous pression. Ils sont bien souvent devenus des espèces de représentants commerciaux pour boites de production. On leur impose tout. Et si ça ne leur va pas, on leur dit d’aller voir ailleurs. »
« La profession a changé, explique l’un d’entre eux, Lino Grumiro, de l’agence urbaine Skinfama. Avant on avait un rôle à jouer sur les constructions de carrière. Aujourd’hui, certains artistes débarquent et veulent tout de suite faire une ING Arena ou un Forest. Jouer sur les “main stages” et choper les plus gros cachets. Faut lier tout ça à internet, aux réseaux sociaux, aux gens qui écoutent des morceaux plutôt que des disques… Ce n’est pas évident de trouver le bon équilibre entre le prix que désirent les artistes et celui des tickets qui doivent rester abordables en tenant compte des coûts de production qui se sont envolés. L’indexation des salaires, le prix des locations… On peut raisonner un manager ou un festival mais on n’a pas toutes les cartes en main. »
Les bookers ont un rôle de tampon à jouer dans cette drôle d’équation. « Certains pensent encore qu’on est une province française ou qu’on appartient aux Pays-Bas. Pour limiter le prix d’un cachet ou le nombre de concerts d’un artiste, il faut expliquer les enjeux géopolitiques et socio-culturels de notre territoire. Faire comprendre aux productions internationales que la Belgique est le pays d’Europe avec le plus de festivals par rapport à son nombre d’habitants. Que la Wallonie est plus petite que le Poitou-Charentes. Que les néerlandophones ne connaissent pas la musique francophone, Orelsan et Soprano. Tout ça pour que chacun obtienne un juste prix et un juste retour sur investissement. »
Fragilité structurelle
Les Solidarités, qui l’an prochain se dérouleront en septembre, s’en sont bien sorties cette année. « On a vécu une de nos meilleures éditions et les premiers bilans montrent que nous terminerons en équilibre positif, se satisfait Denis Gerardy. Je veux dire par là qu’il y a un petit boni mais qu’il n’est pas significatif par rapport à notre budget. Personne de toute façon ne peut dégager de gros bénefs. » En France, selon une étude menée par le Centre National de la Musique, 68% des festivals dont le taux de remplissage était supérieur à 90% étaient déficitaires en 2024. Une proportion qui augmentait de 26 points par rapport à 2023. Ces chiffres confirment la fragilité structurelle d’un modèle économique et interroge sa soutenabilité à long terme.
« C’est en effet un souci. Aux Solidarités, on pourrait gagner davantage si on pratiquait une politique de prix plus élevée. On se situe dans la moyenne inférieure. À savoir 59 euros la journée. Mais c’est une volonté de notre part. Les gens se plaignent ailleurs des hausses de prix. Ce ne serait pas un bon calcul. Au départ, les Solidarités voulaient être un gros festival populaire accessible à tous avec des tarifs extrêmement bas mais on s’est rendu compte, au fil du temps, qu’on devait les augmenter. Maintenant, on est en train de toucher la classe moyenne plus aisée. On a des articles 27 (le gouvernement vient de supprimer le dispositif, – ndlr) et on invite beaucoup d’institutions mais c’est pour compenser le fait qu’on ne touche plus les plus fragiles. »
Les festivals ne souffrent pas que de la hausse des cachets. Ils subissent aussi de plein fouet l’inflation. Et ce dans tous les domaines. « Organiser un festival permettait auparavant de dégager davantage de marges. On nous a imposé, à juste titre, des mesures de sécurité supplémentaires depuis les attentats. Elles ont quasiment doublé pour tout le monde. Et après le Covid et on s’est rendu compte que tout avait changé. On a essuyé une augmentation subite de 30 à 35% de tous les fournisseurs. J’en parlais avec Samuel Chappel du LaSemo. Il a réalisé une bonne édition, je crois, et il espère terminer à l’équilibre. Notre but n’est pas de redistribuer des dividendes à des actionnaires. Ce qu’on aimerait à un moment donné, c’est juste disposer d’une petite réserve pour les années difficiles. »
Marché saturé
« On se rend bien compte, on est tous dans le même bateau, qu’on a atteint des limites, analyse Fabrice Lamproye. On sentait depuis des années que ce moment allait arriver. Les spectateurs aujourd’hui vont vers l’exceptionnel. Des choses qu’on ne voit qu’une fois par an. À notre niveau, on doit s’adapter. Différencier l’offre. Faire en sorte que chaque festival propose une expérience différente à son public. »
Les Ardentes s’étaient déjà posé cette question il y a dix ans. Confrontées à un marché saturé, à la concurrence de Dour, de Werchter, du Pukkelpop, elles ont opéré le virage urbain que l’on connaît et il leur a été salutaire. « On sentait qu’on avait un public pour ça et le festival a fort grandi à ce moment-là. Mais à Ronquières, on n’est pas dans ce genre de réflexion. On essaie de voir ce qui s’est bien passé les autres années, ce qui a évolué et vers quoi on doit aller. »
Le concert exclusif de Will Smith n’a pas aussi bien fonctionné qu’espéré. « Mais ça n’a pas non plus été un désastre. Loin de là. C’est une opération qui a fait parler de Ronquières et qui sur place s’est bien déroulée. L’un dans l’autre, ça reste plutôt positif. Et ça n’a pas du tout coulé le festival comme on a pu le lire. L’idée, c’était de faire un concert exceptionnel. Sa seule date en Belgique. On n’a jamais autant parlé de Ronquières en Flandre. »
Avantage aux festivals thématiques ? « Dour ne sera jamais le Graspop (rock dur), les Ardentes (hip-hop) ou Tomorrowland (électro), commente son programmateur Mathieu Fonsny. Par contre, on sort les gens de leur zone de confort et on essaie de les prendre à revers. De leur faire découvrir des trucs. C’est à la fois notre force et notre faiblesse. C’est un travail d’architecte pour que tout le monde se sente bien dans chaque pièce de la maison. »
Public exigeant
Un constat est évident. Le public est devenu de plus en plus exigeant. Que ce soit sur l’affiche ou le confort. Vieillissement de sa population, embourgeoisement de la nouvelle génération ? Les campings rencontrent moins de succès que par le passé. « Les gens ont besoin de confort, le recherchent, remarque Denis Gerardy. J’ai surtout opéré ce constat après la pandémie. On a vu un changement complet de mentalité et de comportement. La société elle-même a changé. On espérait un monde meilleur et on a un monde pire. Les gens sont par exemple devenus extrêmement agressifs quand ils doivent attendre. On n’avait pas auparavant ce désir de confort absolu. »
« Les conditions météo marquent les gens. Et tu mets souvent une édition à t’en remettre, ajoute Fabrice Lamproye. À l’époque, on vivait ça bien. Mais ce n’est plus le cas maintenant. » Fini la mode des ventres qui glissent dans la boue… « Les jeunes aiment préparer leur tenue et être bien sapés. Ils ne veulent pas se salir et n’ont pas envie de trop abîmer leurs baskets, sourit Jean-Yves Reumont des Ardentes… Ils cherchent du confort que ce soit au niveau des logements ou des transports. Et ils sont prêts à payer pour le trouver. On le remarque au succès de notre VIP… »
« On se rend compte que cinq jours, c’est devenu beaucoup pour certains, poursuit Mathieu Fonsny. D’une part sur le plan du budget. Et de l’autre, oui, concernant le confort. La pandémie a un peu déréglé les choses. Les gens veulent travailler à la maison une ou deux fois par semaine. Mieux manger… Le Covid nous a fait comprendre qu’on devait prendre soin de soi. Aller dormir en tente pendant cinq jours en plein cagnard ou sous la pluie n’est plus aussi excitant qu’avant. On attire le même nombre de festivaliers mais la proportion entre les spectateurs qui font la totale et ceux qui ne viennent qu’un ou deux jours a changé. Avant, c’était 90-10, 80-20. Aujourd’hui on est plutôt sur du 70-30 voire du 60-40. Ce n’est pas grave. Ça veut dire que les gens n’ont pas cet argent et/ou qu’ils préfèrent cibler ce qui leur plaît le plus. » Le festival devient dès lors son propre concurrent en fonction de ses affiches journalières.
Des affiches qui dans bien des cas ne suffisent plus… « Mon beau-père a 68 ans et il va toujours à Werchter, sourit Denis Gerardy. Il mesure 1m62. Il ne voit rien. Mais ce n’est pas grave. Il passe son après-midi couché dans l’herbe. Il entend et il est heureux. Heureux d’être entouré de plein de monde, allongé en train de boire sa chope. De regarder l’heure pour savoir quand il va aller chercher son morceau de viande et d’entendre au fond de la musique qu’il aime. Mais le concept 100% musique qui fonctionne toujours à Werchter et auGraspop notamment, est peut-être dépassé en ce qui nous concerne. Parce qu’on n’a pas non plus leurs affiches. N’est-on pas arrivé au bout de ce qui a été créé dans les années 70 et 80 et qu’on appelle festivals?»
Modèle épuisé
Selon Denis Gerardy, il y a trop de concerts et trop de jours. « Ce n’est ni bon pour les artistes, qui jouent devant personne, ni pour le public, qui est peut-être saoulé, plus aussi passionné, plus aussi mélomane. Quand en festival, des groupes en développement se produisent à 14h, je vois devant lui moins de public que de professionnels. On a beaucoup entendu avant l’été qu’il fallait réinventer des modèles. Mais ça veut dire quoi ? On fait déjà beaucoup d’autres choses que de la musique. Quand le festival des Solidarités a été créé, l’exemple à suivre, c’était la Fête de l’Huma, qui accueille 200.000 personnes par jour. On propose des animations culturelles, un village des associations. Et cette année, on a développé le sport inclusif. On a travaillé avec Mbo Mpenza et ça a rencontré un succès dingue. »
« À Dour, on est plutôt dans la communauté et le partage. On ne va pas pousser le curseur sur la scénographie et le glamping. On a déjà des formules avec des tentes, des tipis, des cabanons prémontés. On ne sert pas du caviar mais tu peux dans certains cas avoir un matelas et une couette… Nous allons par contre travailler sur l’expérience concert. La proximité avec les artistes. » Le modèle des spectateurs devant une scène avec un groupe dessus semble avoir vécu. « Ça peut encore exister mais ça ne suffit plus. Je pense qu’il faut changer le rapport et la distance de l’expérience. On doit trouver d’autres choses à faire dans d’autres endroits. On va essayer de créer des moments qui sont davantage en adéquation avec ce qu’on essaie de proposer. À savoir des rassemblements. Des formes de communion. Sur les grandes scènes, c’est difficile parce que les artistes viennent avec des écrans, des décors. Mais sur des plus petites ou avec des artistes avec qui on peut parler, on pourrait imaginer des formats différents. »
Disneyisation
Au-delà de la production, du feu d’artifices et des animations, les Ardentes ont misé depuis quelques années sur les influenceur·euses et les créateur·rices de contenus. « Anyme est le streamer numéro 1 en France sur Twitch, explique Jean-Yves Reumont. Twitch est très présent dans le monde du gaming. Des jeunes y jouent à des jeux vidéo pendant des heures et en même temps papotent, discutent avec leur communauté. Un mec comme Anyme y parle de musique, de tout, de rien. C’est un peu comme de la radio libre. Ce gars vient au festival depuis deux ans. Il est suivi par des millions de personnes sur les réseaux et ses “live” attirent des centaines de milliers de spectateurs en direct. Anyme est venu streamer en live sur les Ardentes. Il avait sa cabine et il racontait ce qu’il se passait. C’était une vedette exceptionnelle pour beaucoup de festivaliers… »
À tel point qu’il a eu les honneurs d’une scène pendant une petite demi-heure suite à une annulation tardive. « Il avait sorti un morceau. Il avait envie de le jouer entre deux concerts. On a recréé sa chambre dans le chapiteau Da Hood. Il l’a annoncé sur ses réseaux cinq minutes avant et c’était blindé. Il parlait. Il balançait des morceaux. Il chantait. Pour le pire ou le meilleur, j’ai eu l’impression de vivre un moment unique et historique. On ne peut pas développer ça partout. Mais la spécificité du public des Ardentes fait que ça s’y prêtait parfaitement. Le milieu du hip-hop et des streamers est vraiment interconnecté. Il suffit de regarder le GP Explorer. Cette course de Formule 4 au Mans qui implique des créateurs de contenus, des influenceurs et des rappeurs. Sa dernière édition a été diffusée sur France Télévision. SCH, Squeezie et Anyme y avaient notamment une voiture. Il y a une vraie course et aussi des concerts. C’est le genre d’expérience sur lesquelles on a travaillé et qu’on va continuer de développer. » Est-ce qu’on n’est pas en train de transformer le festival en parc d’attractions ? « En tout cas, on s’éloigne de la scène et de la musique à nu. Si tu veux attirer 50.000 personnes par jour, ça ne suffit plus.
Samy Wallens – Couleur Café
« Certains festivals en Belgique ont toujours proposé les plus grandes stars internationales. Eux sont amenés à suivre cette inflation constante. C’est dans leur ADN.»
Place aux jeunes
Anomalie bariolée qui confirme la règle, Couleur Café, qui a rencontré de grosses difficultés il y a quelques années et qui a, cet été, affiché complet. C’était la troisième édition depuis que Samy Wallens a succédé à son père en tant que directeur général du festival. « Qu’est-ce qui a changé ? On peut parler d’un souffle nouveau. Des jeunes déjà présents dans l’équipe ont pris davantage de responsabilités et d’autres nous ont rejoints. Beaucoup ont 24-25-26 ans… Ça change le regard, les envies, les projets, les idées. Mais dans la continuité avec les valeurs et les principes qui ont toujours été les nôtres. »
Plusieurs facteurs expliquent sa réussite. « On est parvenu à définir ce qu’est Couleur Café et on essaie de proposer un truc distinct du reste du paysage festivalier. On ne touche pas tout le monde. Mais ceux qu’on touche se sentent concernés par ce qu’on fait. On a des tarifs accessibles. Et il n’y a pas que des concerts. Je parle de décoration, de danse, de spectacle. On organise le festival où on rêve d’aller. On essaie d’être créatif. Ça nous emballe d’imaginer un bar caché, un petit monde ou une performance secrète. Il faut sans cesse remettre en question ce qu’on fait. A fortiori quand on a un public super jeune. »
Samy Wallens constate notamment qu’ils boivent moins. Qu’ils ont un rapport à l’alcool différent de leurs aînés. « Ils sont davantage conscientisés par rapport à ses méfaits et aux risques de prendre le volant imbibé. On est aussi dans une génération du bien-être… C’est mieux pour la santé publique mais c’est assurément moins bien pour le secteur de l’événementiel. »
Comment dans ce contexte, Couleur Café est-il parvenu à maitriser ses prix ? Est-ce que les cachets ont moins explosé dans les “musiques du monde” ? « C’est comme dans tout. Tu peux te laisser emporter par ce qui se passe ou te fixer des contraintes financières pour travailler. Et c’est ce qu’on fait. Avec cette enveloppe, on essaie d’organiser le plus beau festival possible. On part du postulat qu’on vend un ticket à tel prix et donc qu’on dispose d’un budget correspondant pour organiser notre événement. Il y a des artistes qu’on ne sait pas ou plus payer et il faut vivre avec. Certains festivals en Belgique ont toujours proposé les plus grandes stars internationales. Eux sont amenés à suivre cette inflation constante. C’est dans leur ADN. »
Denis Gerardy – Les Solidarités
« La décroissance, je n’y crois pas du tout. Ça t’amène un désintérêt du public, des médias, des sponsors privés. Et tu finis par te planter. »
Décroissance ?
L’histoire des festivals ressemble parfois à une fable de La Fontaine. À cette grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf… « On s’est souvent dit “maintenant, c’est fini”. Il faut faire dans la décroissance. Baisser la voilure, termine Denis Gerardy. Mais tous ceux qui ont fait ça ont vu à terme leur festival disparaître. Il y a trois possibilités, la décroissance, le statu quo ou le mégalo. Moi, je suis pour un statu quo évolutif. Mégalo, avec l’âge je ne le suis plus. Je ne l’ai jamais vraiment été. Et la décroissance, je n’y crois pas du tout. Ça t’amène un désintérêt du public. Un désintérêt des médias. Des sponsors privés. Et tu finis par te planter. La difficulté, c’est d’expliquer que, quand tu décroches une très grosse tête d’affiche, c’est exceptionnel. »
Il se demande parfois malgré tout s’il ne devrait pas se contenter de trois groupes tous les soirs. « Ouvrir à 18h. Prévoir une découverte, un middle size et une énorme tête d’affiche. On vendrait toutes nos places mais ce ne serait plus vraiment un festival. Ça ressemblerait davantage aux concerts de stades ou à la venue d’un Neil Young sur la Place des Palais. Ce sont devenus des concurrents et ça risque de devenir un peu le futur de ce métier. Quand les gens sont prêts à mettre 100 ou 130 euros pour aller voir Beyonce au stade Roi Baudouin, ils ne les ont plus ensuite pour aller en festival. L’avenir va se jouer aussi là-dessus. Les artistes capables de faire des stades y gagnent beaucoup plus d’argent et risquent de s’extirper du marché des festivals. Mis à part Werchter sans doute. On est en pleine mutation. »
On peut se demander ce que le rachat du Pukkelpop par Live Nation va changer dans la répartition des artistes. Ce que les pouvoirs publics réservent comme surprise en matière de subsides… Du côté de Spa, qui a beaucoup souffert, on a déjà annoncé que l’édition 2026 des Francofolies n’aurait plus rien à voir avec les précédentes. Qu’elle serait refondue en termes de site, d’offre et de public. « Tout le paradigme est en train de changer, remarque Fabrice Lamproye. Tu ne dois pas juste repenser ce que tu fais sur ton festival. Mais aussi comment tu l’annonces. Comment tu touches ta cible… Et là non plus, on n’est pas tous logés à la même enseigne. »