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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Wolvennest

Le pacte des loups

Julien Broquet

Alors que La Muerte est en train de tirer sa révérence et donnera son dernier concert le 13 décembre au Botanique, son guitariste Michel Kirby (Arkangel, Length of Time, Deviate) sort Procession avec Wolvennest. Conversation au long cours et à bâtons rompus avec un monument, une légende vivante plutôt, du rock dur made in Belgium.

C’était quoi l’idée avec Procession?
Michel Kirby: On voulait quelque part revenir sur les bases de nos débuts. Notre avant-dernier album s’était fait dans le mal. Ce qui arrive à la plupart des groupes, je pense. Surtout après dix années d’existence. Je pense qu’on a un peu retrouvé le feu. On a enregistré de manière nettement plus relax en tout cas. Marc (De Backer, – ndlr), notre troisième guitariste, nous a dit de commencer à deux. Qu’il attendrait les bases des morceaux. On a un home studio et d’habitude, on travaille vraiment à trois. Mais Marc sait bien ce que ça signifie. Chacun défend ses idées. Ça peut matcher comme ça peut clasher. Ce sont les dynamiques de création. Bref, il nous a dit de construire l’album, d’en dessiner le squelette. Et qu’il viendrait au moment des solos… C’est ce qu’on a fait avec François (Breulet, alias Corvus von Burtle, – ndlr) et ça a bien fonctionné. Sharon (Schievers, aka Shazzula, – ndlr), la compagne de ce dernier, a aussi bossé beaucoup plus librement. J’écris énormément de textes. Ça peut parfois être source de frustration pour quelqu’un qui chante dans un groupe. Lui donner l’impression, entre guillemets, de n’être qu’un ou une interprète. Mais quand je couche des mots sur papier, je pense beaucoup à celui ou à celle qui va les chanter. J’en tiens vraiment compte. J’écris pour lui ou pour elle. J’aime me mettre dans la peau de l’autre. Jouer avec les mots, les contextes.
 

Michel Kirby
Toute ma vie a tourné autour de la musique.


De quoi parle votre disque?
Ça fait 30 ans que je m’intéresse à Charles Manson ou à l’Église de Satan, Process Church of the Final Judgement… Je garde toujours cette ligne de conduite comme base de travail mais j’aime jouer avec le côté sibyllin des choses. Je peux écrire sur la recherche d’un paradis avant de révéler que ce n’est pas le genre de lieu qu’on imagine ou encore laisser planer le doute sur le fait que je parle d’une femme ou d’une drogue. Les thèmes abordés sont assez variés mais ils vont de pair avec des émotions disons écorchées. François s’est davantage investi dans les textes depuis un ou deux disques. Avant, c’était essentiellement moi. J’ai même écrit des paroles en français. Dans notre milieu, celui du black metal et du rock occulte, c’est nettement mieux accepté qu’avant. Dans le temps, pour percer en Angleterre, je pense surtout aux groupes de hard rock, il fallait faire comme Trust et enregistrer un album de rock en anglais. Même si c’était une catastrophe… J’ai l’impression que les gens sont beaucoup plus ouverts désormais. Que ça leur parle. Avec les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, on a accès à beaucoup plus de musique et elle s’est mise à passer beaucoup plus facilement les frontières. Tu as des groupes de black metal qui chantent en vieux flamand. Ne pas comprendre une langue, ça ajoute encore au mystère…

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ces musiques?
Elles m’ont indiqué un chemin que j’ai suivi. Je suis assez branché contre-culture et je suis quelqu’un de fidèle. Ça me dérange toujours les gens qui divergent. A fortiori quand c’est en quête de succès ou d’argent. Au travers de l’expérience, il faut selon moi aller chercher ce qui te touche vraiment. Regarde la différence entre Slayer et Metallica. Slayer n’a jamais vendu son âme et ses membres ont été aussi heureux, j’en suis sûr, que la bande à James Hetfield. J’étais à fond dans ses premiers albums. Je ne crache pas dans la soupe. Je dis juste comment je vois les choses. Quand Metallica a eu droit à son MTV Icons et y a fait chanter Avril Lavigne, je me suis dit qu’il s’était vendu. Les Américains n’ont pas mis en avant les groupes qui les ont influencés. Ceux qui les avaient passionnés et qui les passionnaient peut-être encore d’ailleurs. Pour moi, c’était un leurre. Une tromperie totale. En tant que fan de hard rock, on est très fidèles. Ça m’a encore renforcé dans la vision que j’avais de mon chemin. Dans mon jusqu’au-boutisme. J’en suis très heureux. J’ai vécu de formidables expériences depuis que j’ai donné mon premier concert à l’âge de 16 ans. À un moment, tu fais un peu le bilan. Tu regardes derrière toi. Et aussi un peu devant. Parce que tu te demandes ce que tu vas faire. Combien d’années encore… Je me posais d’autant plus la question que je joue avec La Muerte depuis dix ans et que le groupe va s’arrêter. J’ai 56 balais. La musique n’est pas seulement un hobby et un plaisir partagé. C’est bien davantage que ça. Toute ma vie a tourné autour de la musique. Et je n’aurais jamais imaginé à 13 ou 14 ans que ça allait m’arriver.

Vous êtes tombé dedans comment?
Il y a d’abord eu la musique populaire. J’ai grandi dans les Marolles et j’ai vu autour de moi l’impact qu’elle exerçait sur les gens. Parce qu’elle agit sur notre mental, sur notre humeur, sur nos sentiments. Je me souviens des premiers clips de Kiss aussi. I Was Made For Lovin’ You. Puis je vois Trust à la télé. AC/DC avec Back in Black. Je me souviens encore de “où et quand” j’ai acheté le premier Iron Maiden. Et même combien il coûtait. 280 francs belges (7 euros, – ndlr). Ça m’a marqué. Ça m’a guidé. C’était mon truc. Didier Capelle de Warhead m’a un peu pris sous son aile et m’a appris la guitare. J’ai vite été voir beaucoup de concerts grâce à des gars plus âgés. Les gros, c’était des “grands messes”. Bruxelles était envahi par les métalleux. Tu les voyais dans la rue. On se reconnaissait. C’était très différent de maintenant. Ça me manque. Parce que tout ce qui m’est arrivé vient de rencontres. Dès mes 16 ans, bien avant d’ouvrir mon propre magasin de disques Elektrocution, j’ai commencé à bosser chez Disco Mania. Il y avait du hard rock, du punk, du hardcore. Mais aussi la new wave, la dark wave, les musiques industrielles. Les Psychic TV, Coil, Current 93. Ce qui m’a beaucoup attiré aussi je dois dire. Par rapport au hardcore et au metal, c’était moins rêveur. Plus direct. Plus vrai. Dans le contenu et les textes. Ça a marqué ce que j’ai fait dans mes différents projets.

Comment est né Wolvennest?
Marc est un pote d’enfance. On se rencontre parce qu’on roule tous les deux en skateboard au Mont des Arts. On s’est intéressés au punk hardcore et on a assisté à nos premiers concerts ensemble. On a monté Mental Disturbance en 1986 ou 1987. Puis, il est parti aux États-Unis avec Mucky Pup dont il est devenu le bassiste. Il a réalisé le rêve américain. Il a tout quitté. En ce compris l’école. Je pense qu’il avait 18 ans. Il a ensuite intégré Dog Eat Dog. Mais on a toujours gardé contact. Il a permis à mes groupes de jouer en première partie des siens. Quand il est revenu, il a créé 10.000 Women Man. Puis il a rejoint Mud Flow. Mais tout en restant dans notre cercle d’amis. Bref. À un moment, je me suis senti particulièrement attiré par les musiques occultes. Un groupe comme The Devil’s Blood était clairement influencé par les seventies. Et Selim (Lemouchi, – ndlr) qui était un proche, a relancé ce genre lié à Black Widow, à Black Sabbath et à Aphrodite’s Child époque de l’album 666. J’ai créé quelques morceaux et j’ai proposé à François avec qui j’avais joué dans Goatcloaks et à Marc de se joindre à l’aventure. C’est à la base le projet de trois guitaristes. À l’époque, j’étais proche d’un groupe industriel néo folk et martial autrichien, Der Blutharsch, et je lui ai proposé de collaborer sur notre premier album. On a apporté la musique mais ils ont amené leur univers, leurs synthés, leur vision. Sans eux, Wolvennest aurait été une autre histoire. On n’a jamais joué ensemble. Ça a toujours été un projet mais ça n’a jamais eu lieu. Malheureusement, Albin nous a quittés il y a plus de deux ans. Le seul truc qui pourrait encore arriver c’est que sa compagne, la chanteuse sur notre premier disque, participe à un de nos concerts. C’est un truc que j’aimerais réaliser. Ça me tient à cœur depuis le début.

La Belgique est-elle un bon endroit pour les musiques occultes et le rock dit dur?
La Belgique a toujours été un bon endroit pour un tas de choses en musique. La new beat, on aime ou on n’aime pas mais c’est incroyable que notre petit pays soit derrière un phénomène comme celui-là. En hard rock, on avait déjà durant les années 80, des groupes dingues qui tournaient en dehors du pays. Comme la première vague Mausoleum avec Killer et Ostrogoth. Ou encore le groupe Acid… En Belgique, on ne manque de rien. Notamment parce qu’on a toujours eu de bons organisateurs de concerts. Dans la scène hardcore metal, les Français venaient voir toute la vague allemande 80’s chez nous parce qu’elle ne jouait pas chez eux. Même dans l’underground. Je pense à Hageland Hardcore qui a fait venir Suicidal Tendancies pour la première fois. Il y avait des gens super actifs qui sont passés au travers des modes. Ce qui nous permet d’être encore là. Le Magasin 4 a aussi été très important pour ces musiques. On a toujours pu y organiser nos trucs et il propose encore des tickets à 10 balles.

Comment expliquer la longévité de ce rock musclé?
Certains genres disparaissent. Pour d’autres, certains font en sorte qu’ils continuent. Je pense à la scène de Courtrai par exemple. Des musiciens qui jouaient dans des groupes ont commencé à monter des labels et à écrire des bouquins pour raconter ce qui s’était passé dans les années 90 et de la sorte en perpétuent l’héritage. Je crois que c’est l’histoire d’une vie. Ces gens vivent vraiment la musique. Ils ne cherchent pas le succès. Ce n’est pas un truc carriériste. Ça s’installe dans ton existence et ça t’accompagne pour toujours. La musique est un défouloir en général. Elle te permet d’extérioriser tes sentiments, tes frustrations. Mais ici, c’est encore autre chose. Parce qu’on prend le truc extrêmement sérieusement. Nous, on ne rigolait pas avec le hard rock. Je déteste les gens qui s’en servent pour faire de l’humour. Spinal Tap l’a fait et bien fait. Mais je déteste les groupes qui parodient le hard rock. Des trucs comme Steel Panther. Alors que Mötley Crüe, c’était sérieux. On était dedans. Peut-être un peu naïvement. Mais on y croyait ferme. On tourne avec des groupes beaucoup plus jeunes que nous parfois aujourd’hui. Et ce sont les mêmes caractères. Les mêmes codes. Les mêmes attitudes.

Au-delà des concerts, les festivals ont-ils été importants pour le développement de ces musiques en Belgique?
Dans le temps, avec Deviate, on était vraiment ancrés dans notre scène et on jouait à Durbuy mais on participait aussi à des festivals à côté de Betty Goes Green, Arno et Soulwax. On était les mecs qui faisaient du hardcore crossover. À Dour, le rock a quasiment disparu. C’est dû aussi à comment tu passes le flambeau. À des gens qui se demandent comment attirer le plus de monde possible. C’est le côté business de la musique. On a aussi perdu des figures qui permettaient tout ça. Des gens comme Jacques de Pierpont, Patchouli. Et probablement plein d’autres. Des organisateurs qui faisaient qu’on avait l’occasion de jouer. Le milieu en général de la musique a fort changé. Ou alors, nous ne sommes pas assez ouverts à ce qu’il se passe actuellement. Je suis prêt à faire l’effort mais je ne suis pas certain que beaucoup vont s’éterniser. Tout est planifié. Mis en place. On met une artillerie autour pour qu’un groupe se développe. C’est du business. Dès que tu arrives avec des gens et des idées comme ça, la musique est déjà un peu foutue. Je ne supporte plus d’aller voir des concerts où tu ne peux pas te mettre où tu veux. Lors d’AC/DC à Amsterdam, on s’est retrouvés coincés dans les gradins et on s’est fait engueuler parce qu’on s’est levés…

Est-ce que le rock occulte est facile à exporter?
Nous, on joue davantage à l’étranger qu’en Belgique. Et en Belgique, ça se passe un peu plus en Flandre qu’en Wallonie. On n’a même jamais fait Dour avec Wolvennest. La dernière fois, c’était avec La Muerte et j’ai eu envie de pleurer. L’ancien temps, celui où tout le monde s’y retrouvait, me manquait. On a terminé de jouer vers 23h et ils étaient déjà tous en train de danser sur les musiques électroniques. On a fait le Hellfest et compagnie. Mais on a aussi un réseau de niche fabuleux. J’ai toujours travaillé avec des gens de l’underground que ce soit pour atterrir au Japon ou au Chili. On s’est retrouvés dans des endroits formidables comme le House of the Holy en Autriche où tu débarques dans les montagnes pour la cérémonie du feu et le solstice d’été. Ou en Allemagne au fond des bois pour le Chaos Descends. Tu as entre 500 et 2.000 personnes, ça dépend. Mais ils viennent pour l’affiche. Tu signifies quelque chose.

Vous donnez en ce moment les derniers concerts de La Muerte. Comment avez-vous vécu cette expérience?
Je connaissais Marc (Du Marais, – ndlr) et Didier (Moens, – ndlr) depuis longtemps. Marc est beaucoup dans l’expérimentation. Il aime les découvertes. C’est sans doute comme ça qu’il est venu me chercher. Parce qu’il a toujours une idée derrière la tête. À la base, ça ne devait être que pour un concert dans une salle/galerie à Gand. Il voulait que j’amène ce que je faisais. Et moi je voulais rester fidèle et respecter le son de La Muerte. Je connaissais quelques morceaux mais j’avais dû explorer leur répertoire. Ils avaient sorti ces trucs trop tôt. Tout ce côté stoner, doom par exemple… Ce concert aura finalement duré dix ans. Humainement, ça a été une expérience incroyable. Avec cette dernière tournée, j’ai l’impression de ressusciter une fois de plus la bête.

Vous avez lancé un fanzine à un moment. Ça a été important, ça aussi, pour le milieu?
La presse musicale a été importante pour moi et si elle est en train de mourir, c’est à cause des réseaux sociaux. Ou alors, il faut accepter de les utiliser. Et moi, c’est pas mon truc. Je n’ai pas Facebook. Je n’ai pas Instagram. Je n’ai rien. J’ai juste une adresse mail parce que je suis obligé pour le magasin. Mais je n’y ai même pas d’ordinateur. J’ai juste mon gsm. Faut pas venir me demander si j’ai ceci ou cela dans mes listings. Je n’ai jamais vendu en ligne. J’ai toujours refusé. Je suis un peu un dinosaure. Je veux préserver le côté “old school” et il y a des gens qui trouvent ça cool. Sorry mais j’ai pas envie de devenir un esclave de ce que je fais. D’aller bosser à la poste. De perdre mon temps. Avec tout le respect que j’ai pour les facteurs. Sans eux, certains colis n’arriveraient pas… Mon fanzine, c’était une histoire de potes. Ça s’appelait Noise Metal. J’étais en troisième secondaire. Je doublais. On écrivait sur les bancs de l’école et on s’est vu ouvrir des portes de dingues. Décrocher des interviews avec Slayer, Alice Cooper et Motörhead… On a tiré jusqu’à 500 exemplaires…

La marge, toujours la marge…
J’ai toujours refusé les majors et privilégié les accords verbaux. On a essayé de travailler avec une agence de booking. J’ai vite compris qu’il lui fallait du rendement. Et à un moment, elle te demande de prendre un break d’un an. Mais qui décide si je peux faire un morceau ou pas ? Finalement, les plus beaux concerts de cette époque, c’est nous qui les avions trouvés. On apprend toujours… C’est ce qui garde le feu en moi.


[CM1]