Patrick Leterme
libre et affranchi des cases
Figure marquante de la scène classique belge, Patrick Leterme forge son propre itinéraire. Du micro aux claviers, des salles de concerts aux plateaux, il avance guidé par l’instinct, la curiosité et un sens rare du partage, porté par une sensibilité fine qui imprègne chacune de ses rencontres.
Né le 7 septembre 1981 à Verviers, le pianiste, compositeur et chef d’orchestre Patrick Leterme n’est pas issu d’une dynastie de musiciens. La musique s’impose à lui. De cette enfance, son premier souvenir musical se dessine : « Je chante à l’école maternelle. Je me vois assis, surexcité, avec les autres enfants […]. Je pense que l’institutrice a remarqué que j’aimais bien la musique et l’a dit à mes parents ». Ces derniers découvrent et l’inscrivent à l’académie. Là-bas, le piano « est arrivé assez naturellement », la rencontre est teintée d’une « affinité épidermique », considérant le piano comme « l’instrument-carrefour qui gère la circulation de toutes les informations musicales ».
Après l’académie, Patrick poursuit des études supérieures de musique à Liège, mais aussi à Cologne ou à Bruxelles où il étudie la direction d’orchestre. Pianiste, il garde aussi la voix au cœur de ses sensibilités. Une réceptivité ancrée en lui, alors qu’il se rappelle l’un de ses premiers opéras, La Flûte Enchantée, à la télé. C’est un imaginaire tout entier qui s’ouvre à lui quand il ressent cet « amusement d’enfant que Mozart a probablement voulu transmettre », sans en avoir les clés.
Patrick Leterme
Il y a parfois cette idée que
la musique contemporaine, c’est difficile, austère,
réservé à des initiés. Je pense exactement l’inverse.
Pas de musiciens dans sa famille mais néanmoins une grand-mère « qui a travaillé toute sa vie à la ferme en élevant cinq enfants et sans avoir accès au moindre cours de musique, mais en dirigeant malgré tout la chorale de son village ». Une personnalité avec une « passion amateure pour le chant au sens le plus noble du terme ». Pour lui, il est important de ne pas hiérarchiser les pratiques, comparant la pratique de sa grand-mère à celle d’une grande soliste, avec une racine commune: un amour du chant.
Créer, sans partition imposée
Patrick écrit et arrange très tôt, sans jamais se prendre au sérieux. L’improvisation lui permet aussi de développer un rapport à la musique qui ne passera « pas uniquement par la partition ». Composer professionnellement arrive plus tard, faute de contact immédiat avec le milieu. Depuis une dizaine d’années, Patrick se passionne pour la création musicale. Il perçoit la « naissance de la musique » comme « l’une des plus belles choses » du métier. Pour lui, « il n’y a pas de vérité unique et rationnelle en art et dans la vie »: composer, c’est « suivre une sensation et un instinct ». Cet instinct, il le décrit aussi comme « un amour » – mot « peut-être bateau », dit-il – qui précède toute considération technique: « cette espèce de lumière de vouloir chanter une chose, c’est ce qui me donne le courage de faire sans être écrasé par la multitude des options possibles ».
Homme de média également, entre 2014 et 2023, il présente d’un côté le Concours Reine Élisabeth et vulgarise la « musique de création » sur les antennes de la RTBF. En 2024, il devient artiste associé du Palais des Beaux-Arts (PBA) de Charleroi, un lieu qui lui offre « une grande liberté ». Il est également directeur artistique du Studio PBA, un espace de formation transdisciplinaire pour jeunes artistes, pont entre pédagogie et monde professionnel, où l’on peut « tenter des choses mais se tromper aussi dans un environnement qui ne cloisonne pas »: « pour un artiste, c’est un luxe de passer d’une esthétique à l’autre […] sans devoir justifier pourquoi on sort du cadre ».
La Revanche de l’Arbre
Pour démarrer la saison 2025-2026, le PBA de Charleroi proposera dès le 26 septembre La Revanche de l’Arbre (Li R’vindje di L’Åbe), une œuvre chantée en wallon sur un texte du poète Henri Simon (1856-1939), mise en scène par Ingrid von Wantoch Rekowski, avec une partition et une direction signées Patrick Leterme. Le « spectacle choral et symphonique » fera ensuite une tournée en Wallonie.
Le projet naît d’un regret intime – « ne pas avoir appris le wallon de mes grands-parents » – et d’une prise de conscience: la « classe moyenne et ouvrière avait bien conscientisé que la maîtrise du français allait de pair avec une ascension sociale ». À la même époque, Patrick découvre Annie Ernaux et le concept de transfuge de classe. Le prix Nobel de littérature (2022) parle de « venger sa race ». Lui, qui se revendique d’agriculteurs, souhaite à sa manière « venger » non seulement le « mépris envers la classe paysanne » mais aussi, plus largement, celui visant les cultures locales et populaires, le « mépris géographique » entre grandes villes et campagnes, et, peut-être, celui envers les pratiques amateures. Pour lui, ce projet permet aussi de se questionner sur l’étouffement et la sauvegarde du patrimoine wallon.
Au Musée de la Vie wallonne à Liège, il découvre La Mort de l’Arbre, puis La Revanche de l’Arbre de Simon. Pour lui, ce sont des textes sensibles et en avance sur leur temps, porteurs d’un « rapport tendre, amoureux et spirituel à la nature proche ». C’est une littérature riche mais discrète à laquelle il se met au service : « Il n’y a pas une ligne du poème que j’ai trouvée faible ou dont je me sois lassé ».
L’Arbre, dressé sur une colline et qui nous confronte au sens du temps, est chanté collectivement par les enfants de la Maîtrise de La Monnaie et le Chœur de Chambre de Namur. À sa manière, Patrick participe peut-être à la réhabilitation du wallon dans les grandes salles de concerts. Mais, il précise : « Le malentendu auquel j’espère ne pas être confronté, c’est de croire que ce projet est juste une croisade pour relancer le wallon. Évidemment, ce n’est pas anodin. Ça pose la question d’une biodiversité culturelle autant que naturelle ». Son désir est aussi de créer des rencontres, avec le wallon, et entre les gens.
En musique, le symphonique et les pratiques amateures se lient: le Candide Orchestra est accompagné d’Akropercu, un trio de percussionnistes – qui évolue dans l’orchestre mais qui s’en détache aussi pour des interludes musicaux –, mais aussi de musiciens de fanfares, faisant même appel aux tambours de Gilles – une « première » aussi, peut-être.
Ars Musica, ouvert à toutes et à tous
Patrick Leterme est depuis cette année directeur artistique du Festival Ars Musica. L’édition 2025, qu’il n’a pas programmée, est consacrée aux opéras de chambre. Next Opera Days a pour fil conducteur l’animal et questionne notre rapport au vivant, avec des créations de Jean-Luc Fafchamps, Fanny Libert et d’autres, en novembre. Sa véritable empreinte se révélera en 2026. Enthousiaste, pour lui, « le bonheur central de cette mission, c’est aussi d’être là où la musique n’est pas », dans un désir d’aller chercher des publics différents et de « créer des contextes où la musique contemporaine et la création, peuvent surprendre, séduire, émouvoir ».
Ses velléités de « décomplexer l’auditeur », il ne les cache pas: « On peut juste se réjouir : la création n’est pas un danger, c’est un plaisir. Il y a parfois cette idée que la musique contemporaine, c’est difficile, austère, réservé à des initiés. Je pense exactement l’inverse. Si on prend le temps de faire découvrir, d’expliquer, de donner les clés, on se rend compte que les gens sont curieux, que ça les intrigue et que ça les touche ».
La suite ? Elle se dessine comme Patrick, libre et hors des cases : « J’ai envie de continuer à créer, à transmettre, à mêler les publics et les esthétiques. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans un seul rôle. Je veux rester à la fois pianiste, compositeur, chanteur, programmateur, parce que toutes ces casquettes nourrissent les autres. » Tout repose pour lui dans le désir de continuer à suivre « un instinct »: « Je crois que tant que je pourrai suivre un instinct, je me sentirai à ma place. Cet instinct-là, il vient peut-être de ce que j’ai vécu enfant: chanter sans me demander si c’était bien ou pas, pour le plaisir. Si j’arrive à garder ça, alors peu importe la forme que ça prendra ».
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Li R'vindje di l'Åbe (La Revanche de l'Arbre) - Teaser