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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Colt

Attention au décollage!

Diane Theunissen

Deux ans après Mille Vies, le duo le plus en vogue de la capitale débarque en grande pompe avec un premier album très attendu, Saveur Cœur Abîmé.

«Ces deux dernières années, tout s’est emballé. On a vécu plein de choses hyper intenses et je pense que ça se ressent dans notre musique », confesse Antoine, co-fondateur du duo. Après plusieurs EP et une flambée de concerts pleins à craquer, les deux prodiges de la pop posent leurs valises et couchent leurs joies, leurs doutes et leurs fiertés dans un premier opus brillant : un hymne à l’acceptation de soi, une photographie d’une tranche de vie éreintante, euphorique et émancipatrice. De la musique pleine de sens – et pleine de sons –, qui va droit au but et nous happe à chaque refrain : nichée entre “punchlines” incisives, beats asymétriques et envolées lyriques, la musique de Colt nous marque au fer rouge. Et c’est tant mieux.
 

Coline
Être un artiste émergent, ça veut dire être présent tout le temps,
avoir de l’actu, toujours sortir des trucs, etc. Il faut être très efficace.
Et je me suis rendu compte que ça ne s’arrêtait jamais.


Au travers d’arrangements mi-organiques mi-électroniques, Colt nous offre une musique à fleur de peau. Des chansons-souvenirs qui résonnent et, avec un brin de nostalgie, retracent l’évolution de deux artistes innovant·es, libres et complices.

Votre premier album sort dans quelques jours. Qu’est-ce que ça fait de plonger dans le grand bain? C’est excitant, effrayant?
Antoine : Le premier album, c’est une grosse étape (…) Perso, j’ai trop hâte de le sortir et de le faire écouter : toutes les conditions sont réunies pour que ça se passe bien. J’en suis vraiment fier.
Coline : Il y a quand même un peu de pression, pour ma part. Un premier album, c’est très symbolique. On dit souvent que c’est une carte que tu joues à un moment important mais, avec le temps qui passe, je me suis rendu compte qu’un album, c’était surtout une compilation de plein de chansons écrites à un moment donné – et ce qu’on retient de cette période-là. Le voir de cette manière, ça me permet de prendre beaucoup de recul (…) À l’heure actuelle, il y a tellement de formats possibles, j’ai décidé de ne plus le sacraliser tant que ça (rires). Je suis très fière de ce projet.

Ce disque, il est très intime. Coline, vous y abordez notamment votre coming out, la relation à votre famille, etc. Cette mise à nu, comment est-ce que vous l’avez vécue?
C : Ça a été très dur d’en parler. En 2022, on est passé au français, on a changé de nom, il y a eu une période de passage lors de laquelle j’ai décidé d’enfin me dévoiler en français. Et pour écrire en français, il fallait que j’ose dire certaines choses. Comme c’était ma langue maternelle, je n’avais pas envie de dire n’importe quoi : je savais que les gens allaient écouter les paroles. Et par exemple, il fallait que je fasse mon coming out pour que mes paroles aient du sens. Depuis La salle aux lumières – la chanson qui a lancé ça –, j’adore : 
j’ai l’impression que plus je vais chercher au fond de moi, plus les gens se connectent à certaines choses. À partir du moment où on est fidèle à soi-même, ça ne peut qu’être positif. Aujourd’hui, c’est un peu ça le processus créatif de Colt (…) Et puis, il y a des choses que je n’ose pas dire en vrai et que je dis en chanson. Je pense par exemple à la chanson pour ma maman – même si elle parle plutôt de mon rapport à ma famille –, ça m’a permis de réaliser des trucs, de mettre des mots sur des choses que je ressens.

Tout au long du disque, la thématique du passage à l’âge adulte se fait beaucoup ressentir. Ce projet, c’est la photo d’une phase de vie ou un album de transition?
C : Je pense que c’est plutôt une photo du moment. Ce projet, on l’a commencé fin 2022, on le sort maintenant en 2025. C’est une phase de vie où je me suis sentie grandir de fou : j’ai fini mes études, faire de la musique est devenu mon métier, je ne rentre plus tous les week-ends voir ma famille (…) En fait, on a écrit toutes ces chansons puis en opérant la sélection, on s’est rendu compte qu’on parlait de ça.
A : C’est une photo du moment présent mais le moment présent est une période de transition. Rien que par rapport à la vie, à la musique, les deux dernières années, tout s’est emballé. On a vécu plein de choses hyper intenses et je pense que ça se ressent dans notre musique, il y a vraiment toute une adaptation même psychologique à ce nouveau rythme. Il a fallu qu’on se prépare, qu’on développe une certaine maturité pour prendre la distance la plus saine possible avec la musique, tout en restant dedans.

En effet, il y a eu un réel engouement autour de votre projet ces deux dernières années.
A : L’un des thèmes principaux de l’album, c’est ça. C’est pour cette raison que visuellement, il y a beaucoup de feu. On compare vraiment cette période à un embrasement de notre projet, dont on a entretenu la flamme depuis longtemps.
C : Ce qui nous unit, quand on est sur scène, quand on fait de la musique, c’est cette fusion. Cette énergie qui naît entre nous deux, qui est hyper explosive, sur scène on adore se déchaîner. Et ce lien-là est très fort aussi.

Le fait d’évoluer dans un monde très digitalisé – où les réseaux sociaux prennent beaucoup de place – vous a-t-il poussé à créer ce live si dynamique, si authentique? Ce lien direct avec les gens, vous en avez besoin?
A : De fou, c’est une manière de se ressourcer.
C : Après chaque concert, on va voir le public. Et au-delà de créer du lien, pour nous, la scène, c’est vraiment très important. La première chose qu’on a faite après avoir écrit des chansons, c’est de monter sur scène via des concours tremplins. L’objectif des réseaux sociaux, c’était de faire venir les gens aux concerts. Il y a d’ailleurs beaucoup de chansons qu’on a écrites en se disant « ça, ça va vraiment bien donner sur scène ».

Dès la première écoute, vos chansons et leurs paroles restent en tête. Est-ce que c’était important pour vous de faire résonner les mots, autant que de leur donner du sens?
C : L’écriture, elle est hyper spontanée. Je ne le réalise pas sur le moment mais une fois que j’entends ce que j’ai écrit, je me dis « ah bah en fait ça, ça rimait pas mais ça marche parce que ça marche ».
A : C’est aussi la musique qu’on aime. Avant tout, c’est en studio qu’on s’amuse. Enfin je dis studio mais en fait on est chacun dans nos chambres (rires). Je pense qu’il y a, avant tout, le fait de vouloir faire de la musique comme on aurait envie d’en écouter, puis après il y a toute une réadaptation pour la scène.

Justement, c’est quoi la musique que vous aimez?
C : Moi, depuis toujours, j’adore la musique en anglais. Je pense à Lorde, une chanteuse qui m’accompagne depuis toujours, et puis là récemment je me suis pris une grosse baffe avec Saya Gray, puis il y a aussi cette artiste néerlandaise, Froukje. C’est marrant, parce qu’aucune de ces artistes ne chante en français mais j’aime trop comment elles écrivent. Parfois, ça me paraît plus simple de m’inspirer de ça pour après écrire en français : comme c’est une autre langue, c’est d’autres codes et ça marche, tout simplement. À côté de ça, je suis aussi très inspirée par le rap. Je pense à Disiz, à Luther. Pour le texte, c’est plutôt là-dedans que je trouve mes inspirations. Je ne suis pas si fan de variété française, même s’il y a certains artistes que j’adore, comme Daniel Balavoine, aussi pour ce qu’il représente, pour son engagement, ses mélodies.
A : On peut aussi apprécier des chansons qui sont dans des langues qu’on ne comprend pas. Parce que la “topline”, la musicalité que les paroles apportent – le fait que les rimes soient placées d’une certaine façon – fait que ça fonctionne, en fait.

Il y a quelques semaines, vous étiez de passage sur Planète Rap avec votre ancien manageur, Youssef Swatt’s. Est-ce qu’on peut s’attendre à ce que Colt débarque avec un son rap, un jour où l’autre*?
C : C’est sûr que le rap, il est hyper présent dans nos vies musicales, juste déjà grâce à notre entourage. Je pense à Youssef, évidemment, qui a été notre manageur pendant des lustres, mais il y a aussi Diego, qui est mon petit frère, et qui fait aussi du rap. Et puis le rap, ça fait bien partie de nos influences, aussi (…) Mais ce qu’on aime, c’est de se retrouver un jour sur Planète Rap et puis l’autre, dans un truc très pop. Ce qui est cool, c’est d’être hybride, et d’être là où on ne nous attend pas.
A : On a un projet depuis longtemps qu’on ne va pas spoiler mais qui inclut du rap ! C’est dans nos têtes depuis longtemps (rires).

Les chansons de Saveur Cœur Abîmé sont truffées d’images et de narratifs. Ces histoires, vous les avez toutes vécues ? Ou est-ce que l’observation, l’imagination entrent aussi en jeu?
C : Non, je n’ai pas tout vécu. Par exemple, la chanson Éternité, je ne l’ai pas vécue (rires). Il y a quand même pas mal de trucs qui sont proches de nous mais c’est toujours exacerbé. Reboot par exemple, ça parle d’une rupture d’amitié que j’ai vécue quand j’avais 16 ans et que j’ai extrapolée à fond. J’ai ajouté un petit côté “scam” : je me suis imaginé le truc comme si j’avais rencontré cette personne sur les réseaux sociaux, comme si ce n’était pas vraiment quelqu’un. Très souvent, j’extrapole, je viens créer des personnages dans ma tête. Par exemple pour le morceau Éternité – qui parle d’une stalkeuse très creepy –, j’ai trop kiffé le fait d’entrer dans ce perso. Et c’est assez marrant parce que je l’ai écrite en parallèle de Demi-mot (rires). C’était en studio, à la campagne, c’était la première fois qu’on composait avec des potes et c’est là-bas que sont nées ces deux chansons. Elles évoluaient en parallèle et c’était trop cool de pouvoir faire un truc hyper proche de moi avec Demi-mot, et un truc où je me mettais dans la peau d’un personnage complètement barré avec Éternité.

Ce sont des sujets très actuels, finalement. Est-ce que c’était important pour vous de toucher à des thématiques qui puissent parler à votre génération, des sujets qui n’ont pas encore été mis en avant?
C : De nouveau, je pense que c’est une collection de plein de chansons écrites à un moment donné. Pour le moment, peut-être que ces sujets-là prennent de la place dans mon entourage et dans ce que je vis. Du coup, je pense que ça connecte avec des gens qui traversent la même chose parce qu’on est en 2025, que les langues se délient sur certains sujets. Perso, je me suis dit pendant très longtemps que je serais incapable d’écrire une chanson d’amour qui serait juste d’amour, parce que j’ai trop besoin d’aller faire autre chose, d’aller chercher des sujets qui n’ont peut-être pas encore été traités. Il y a un truc un peu impressionnant dans le fait de faire une chanson très simple (…) Et puis, dans nos vies, dans nos quotidiens, cette notion d’engagement est importante. On a envie de mettre de la lumière sur des sujets qui sont présents, qui nous touchent.

Dans votre musique, on retrouve beaucoup d’effets de voix, dont l’autotune. Quel est votre rapport à cet outil ?
A : Musicalement, on est très curieux. À chaque morceau, on a envie d’essayer quelque chose qu’on n’a pas encore abordé. Parmi les expériences possibles, il y a évidemment le fait d’aller triturer la voix de Coline. Ce qu’on fait souvent, c’est découper sa voix et en faire de petits samples. On peut aussi pitcher sa voix vers le haut ou vers le bas, changer le timbre, et utiliser l’autotune. Mais quand on met des effets sur la voix, on essaye toujours que ce soit au service des émotions de la chanson. Par exemple dans Reboot, quand on parle d’un côté artificiel d’une personne qui pourrait ne pas exister, je vais mettre un vocodeur sur la voix de Coline. J’essaye toujours de lier le traitement de la voix à ses paroles (…) L’autotune, c’est l’effet que les gens retiennent mais ça fait partie d’une panoplie d’effets possibles. Pourquoi ne pas s’en servir ?

En écoutant le disque, on s’aperçoit rapidement qu’il y a plusieurs chapitres. Est-ce que c’était voulu?

A
: Dans nos têtes, il y a trois chapitres. Au début, Coline parle beaucoup du chemin qu’elle a parcouru pour arriver jusqu’ici, puis il y a ce moment un peu plus intense comme l’explosion en elle-même avec
Invincible. Après Lionnes, c’est le dernier chapitre : celui de l’acceptation de soi. Il y a Lionnes, Demi-mot, puis Fleuve – cette explosion d’amour où on parle de toutes les personnes qui nous entourent et à quel point on se sent chanceux de vivre tout ce qu’on vit. Les mots “saveur”, “cœur” et “abîmé”, on les associe à ces trois étapes : la saveur du moment où on anticipe tout ce qu’il va se passer, le cœur de l’explosion puis abîmé, la façon dont on ressort de tout ce qu’on a vécu. Et ce mot-là, il ne faut pas le prendre comme négatif uniquement, il y a aussi un côté transformateur. C’est un peu comme la philosophie “Kintsugi” (rires) !

Dernière question : pourquoi est-ce que vous faites de la musique?
C : C’est une question que je me suis énormément posée ces derniers mois. Il y a une phase où j’ai remis beaucoup de choses en question parce que c’était le moment de le faire : je finissais mes études, il y avait cet album qui était en cours – plus la tournée – et c’était hyper intense comme période. C’était l’été passé et j’en suis sortie comme on sort d’un tourbillon : avec la tête qui tourne. Je me suis dit « OK, maintenant, la musique, ça va être mon métier, mon quotidien. Est-ce que j’en ai vraiment envie ? Est-ce que ça valait la peine ? ». Mon rêve ultime, c’était de pouvoir gagner ma vie avec la musique et là, j’y arrivais. J’avais d’autres rêves qui étaient en train de se réaliser – comme remplir l’Ancienne Belgique, faire un album, faire la couverture du Larsen (rires) –, plein de choses qui étaient pour moi, à l’époque, le goal ultime. Puis d’un coup, j’ai eu l’impression que c’était le début de tout autre chose. C’était le bazar dans ma tête et j’ai eu besoin de prendre un peu de recul et de me dire « Maintenant qu’on a atteint ces beaux objectifs-là, ça va être quoi mes rêves après ? Pourquoi est-ce qu’aujourd’hui ça a encore du sens pour moi, de faire de la musique ? ». J’ai commencé à aller voir une psy et je me suis rendu compte que, pendant ce processus, il fallait que je prenne bien soin de moi. Il fallait que je prenne du temps pour moi, parce qu’être un artiste émergent, ça veut dire être présent tout le temps, avoir de l’actu, toujours sortir des trucs, etc. Il faut être très efficace. Et je me suis rendu compte que ça ne s’arrêtait jamais. Je suis passée par beaucoup de phases de réflexion et j’ai compris que tout ça avait du sens seulement si on restait fidèles à nous-mêmes, si on faisait les choses à notre manière. Mon objectif aujourd’hui, ce n’est plus de percer. C’est de faire des choses qui puissent avoir un sens plus profond que ça. Et la chose dont je suis la plus fière, ce n’est pas d’avoir rempli l’Ancienne Belgique. C’est plutôt le fait d’avoir une équipe en or, dont tous les membres sont nos potes, des personnes avec lesquelles on se dit les choses. Le fait d’avoir créé Scottons, aussi – une résidence qu’on organise chaque année avec nos potes – et pouvoir se dire qu’il n’y a pas de hiérarchie dans la musique, que tout le monde peut faire du son. Puis se soutenir, toutes et tous, et à notre manière, essayer de changer les codes de cette industrie qui peut être très requin.

Antoine
Le fait que nos chansons soient hyper intenses,
ça permet aux gens d’extérioriser ce qu’ils ressentent.


A : J’ai une personnalité qui est très monomaniaque. J’ai besoin d’avoir quelque chose qui me drive et dans laquelle je me sens utile, puis je fonce dedans, tête baissée. J’ai pris conscience de ça à l’adolescence. Je me suis dit qu’il fallait que je choisisse le domaine dans lequel j’allais foncer et j’hésitais entre les maths et la musique. Ce qui a fait porter mon choix vers la musique, c’est que j’ai l’impression qu’en faisant de la musique, on ne peut quasiment pas se tromper : on est sûr de pousser le monde dans une direction positive. J’ai l’impression qu’on ne peut que faire du bien, alors qu’en sciences et en maths, on ne sait jamais comment va être utilisé ce qu’on produit. Je pense qu’avec Colt, on a toujours eu ce rêve d’apporter notre pierre à l’édifice et d’essayer de faire le bien avec ce qu’on fait. Et on y trouve un sentiment d’utilité. Quand on rencontre les personnes qui nous écoutent, on se rend compte de l’utilité que notre musique a eu dans leur vie et c’est à chaque fois quelque chose de différent. C’est toujours hyper touchant. Demi-mot, Reboot, ça leur a beaucoup parlé. Le fait que nos chansons soient hyper intenses – autant les joyeuses que les tristes –, ça permet aux gens d’extérioriser ce qu’ils ressentent. C’est pour ça qu’on aime aller dans l’intensité : on sait que ça va résonner.

* Planète Colt, à la Bourse, le 5 juin dès 13h.
Le duo fêtera la release de l'album Saveur Coeur Abîmé (06.06) avec un Planète... rap mais pop!
Une idée originale de Coline et Antoine qui seront présent·es, avec plein de guests, durant 7h etce, dans une boîte en verre (transparente, quoi) dans le hall de la Bourse de Bruxelles. Totalement inédit!