Accéder au contenu principal
Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Puggy

Laboratoire pop

Luc Lorfèvre

Six ans après les derniers concerts de la tournée Colours, Puggy publie Never Give Up, premier single annonciateur d’un retour sur scène et d’un album attendu pour 2024. Matthew Irons, Romain Descampe et Egil “Ziggy” Franzen ne sont pourtant pas restés inactifs durant cette longue pause. Dans leur studio ixellois qui leur sert de quartier général, les trois membres de la plus européenne des formations belges ont composé plus de 200 chansons et enchaîné les collaborations avec la jeune génération. D’Angèle à Charles, en passant par Yseult ou Alice on the Roof, ils se sont transformés en entrepreneurs artisanaux de la pop, apportant leur expérience tout en s’imprégnant des nouveaux codes de la diffusion musicale. Une démarche unique et inspirante.

Paru le 6 octobre dernier, le single Never Give Up (« Ne jamais abandonner ») qui marque votre retour en tant que trio sonne comme une déclaration de foi. Était-ce le but recherché ?

Matthew Irons : Nous n’aurions pas pu mieux le dire que vous. C’est exactement ça, une déclaration de foi. Nous avons écrit Never Give Up voici plusieurs mois. Elle est toujours restée en tête de liste de nos préférences comme premier single. Never Give Up est un hymne à la résilience. Il y a un rythme catchy avec une énergie contagieuse dans le refrain et aussi beaucoup d’autodérision dans le clip.
Egil “Ziggy” Franzen : On y retrouve l’ADN de Puggy. Puggy, c’est bien sûr encore plein d’autres choses en 2023 mais cette chanson contient dans le ton, le son et la forme, tous les éléments propres à Puggy que nous voulions remettre en avant pour marquer notre retour.

Vous guettiez les réactions avec une appréhension particulière ou était-ce “un premier single” comme il y en a déjà eu d’autres ?

MI : Rien n’est jamais gagné. C’est toujours un risque de prendre une pause si longue en tant que groupe. Mais plus qu’une appréhension, c’est surtout l’excitation de revenir qui nous animait. Colours, notre dernier album, date de 2016. Notre tournée s’est achevée en 2017. Pour le même prix, les gens auraient pu nous oublier. Nous avons été particulièrement touchés des réactions à la sortie de Never Give Up. Il y a eu beaucoup d’amour du public mais aussi beaucoup de bienveillance et de curiosité de la part des médias. Indépendamment de la chanson et de ses qualités, on se dit que cet accueil est le fruit de tout ce que nous avons réussi à installer au cours de notre carrière.

 

Puggy

Un musicien doit se considérer comme un entrepreneur s’il veut avancer.

 

Vous diriez qu’une musique instrumentale, c’est plus facile à “exporter” ?
Romain Descampe : Aucune date n’a été arrêtée. Nous avons beaucoup de nouveaux morceaux qui nous plaisent mais nous réfléchissons encore à la playlist la plus équilibrée. L’album sera plus uniforme dans sa palette que ne l’était Colours. Nous restons toujours attachés au format album. La différence, c’est que nous pouvons prendre tout notre temps aujourd’hui. Le disque arrivera quand nous serons prêts. Par contre, ce qui est certain, c’est que nous avons envie de dévoiler d’autres choses avant sa sortie. On verra sous quelle forme.
MI : Notre premier album Dubois Died Today, en 2007, a été enregistré en deux jours. Something Might Say, en 2010, a été fait en dix jours. Pour tous nos disques précédents, c’était le même modus operandi. Dès qu’on sortait du studio avec une douzaine de chansons terminées, on les confiait au mixeur et on ne pouvait plus rien faire. Ici, on peut encore tout s’autoriser. Au moment où on parle, on ne peut pas dire ce qui va exactement figurer sur notre prochain album. Je ne sais pas si cette option est meilleure ou moins bonne qu’avant. Mais une chose est sûre, la situation est différente. Le monde de la musique a complètement changé depuis la sortie de Colours. On essaye de comprendre les nouvelles attitudes, tant chez l’artiste qu’auprès du public. Quand nous avons décidé de prendre une pause en 2017, Instagram n’en était qu’à ses balbutiements. Regardez ce que c’est devenu aujourd’hui. TikTok a pris une importance capitale dans la diffusion de musique. Des singles, un EP, des vidéos, du teasing ?
On ne se refuse rien… Tout est possible et ça nous excite. Nous avons toujours déclaré que le nouvel album verrait le jour quand nous serions entièrement satisfaits du résultat. Là, on est entièrement satisfait du premier single Never Give Up. Pour le reste, on va y aller progressivement.




Vous avez travaillé avec l’ingénieur du son Nikola Fève, alias Nk.F, connu notamment pour son travail avec PNL, Damso ou Orelsan. Une manière d’intégrer des sonorités urbaines dans votre musique pop ?
RD : Après avoir passé plusieurs années à composer à trois dans notre studio ixellois, nous voulions avoir une oreille extérieure. Nikola Fève n’est pas un producteur comme on l’entend généralement. Il reçoit les chansons, fait des choix radicaux, nous les soumet en nous disant : « Voilà comment j’ai envie qu’elles sonnent. À prendre ou à laisser ». À nous de dire oui ou non. On ne lui dicte rien et lui, il ne se met pas à notre service. Il apporte sa touche, sa subjectivité, ses convictions et ses sons qui sont effectivement très urbains. C’est hyper intéressant. Plusieurs morceaux qui lui ont été confiés nous sont revenus avec davantage d’énergie. On les retrouvera sur l’album.

C’est en 2017, après votre participation au festival Sziget en Hongrie, que vous avez décidé de mettre votre trio entre parenthèses. À ce moment-là, vous évoquiez une pause de six mois…

MI : Après Sziget, nous étions tout simplement exténués. La tournée Colours avait été galvanisante mais aussi énergivore. En nombre de dates et au niveau de la production, c’était la proposition live la plus ambitieuse depuis les débuts du groupe. Pendant près de quinze ans, Puggy avait été notre seule priorité à Romain, Ziggy et moi-même. Toutes nos actions étaient décidées exclusivement en fonction du groupe. Mais on commençait aussi à recevoir de plus en plus de propositions spécifiques. Pour écrire des musiques de film, enregistrer avec un orchestre symphonique, collaborer à trois, à deux ou individuellement aux projets d’autres artistes. Comme vous le savez, on m’a également invité à participer à une émission télé (The Voice Belgium, puis The Voice Kids, – ndlr)… Nous ne voulions pas rater ces opportunités. Il y avait aussi les technologies qui explosaient de partout, d’autres manières de créer musicalement et nous avions tous les trois envie d’assimiler ces nouveaux codes. En 2015, peu avant la sortie de Colours, nous avons investi dans un bâtiment à Ixelles qu’il a fallu emménager en studio et local de répétition. Et tout ça a pris bien plus de temps que les six mois de pause que nous nous étions fixés.

Vous avez continué à vous voir durant toute cette période ?

RD : On s’est vu tous les jours. Le studio a été le quartier général de toutes nos activités ces six dernières années. À côté de tous les projets extérieurs, nous n’avons jamais cessé de composer pour Puggy.
MI : On doit avoir composé quelque 200 chansons pour Puggy. Beaucoup que nous avons finies, d’autres qui sont restées à l’état d’idées. Nous étions chaque jour au studio de 9 à 17 heures. C’était notre bureau, notre laboratoire.

Cette pause, c’était aussi une manière de gagner votre liberté ?

EF : Pour moi, outre le studio, le plus gros changement survenu ces six dernières années, c’est que Puggy n’est plus sous contrat avec un label. Nous ne sommes plus dans la dynamique album/tournée/album. Nous pouvons voir les choses complètement différemment. Nous sommes plus créatifs et plus sereins. Si on ne retient que les albums, Puggy n’a plus rien sorti depuis 2016. Mais nous n’avons pourtant jamais cessé de faire de la musique et de travailler depuis le début de cette pause.
MI : Ziggy a raison. Avec les attentes d’un label, nous aurions sans doute été forcés de sortir quelque chose plus rapidement sous le nom Puggy, au risque de se répéter. Ici, en collaborant sur des tas de projets différents, nous avons pu nourrir notre inspiration. Être au contact de nombreux jeunes artistes nous a aussi permis de mieux comprendre certains modèles de fonctionnement plus autonomes. Pour nous qui sommes issus de la “vieille” école, c’était hyper stimulant. En fait, si nous avons pu faire partager notre expérience à tous ces jeunes artistes, nous avons aussi beaucoup appris en les côtoyant.

Matthew, vous avez coécrit La Loi de Murphy, premier tube d’Angèle. On retrouve un ou plusieurs membres de Puggy derrière des chansons d’Yseult, Charles, Alice on the Roof ou encore Adé. Est-ce qu’il y a un “son Puggy” qui s’est imposé ces dernières années malgré votre absence ?
EF : Hormis pour La Loi de Murphy d’Angèle où Matthew a collaboré au texte, la plupart des collaborations que vous évoquez se sont matérialisées dans notre studio ixellois. Ce studio a une âme et ça se ressent peut-être dans certaines productions. Mais je ne crois pas pour autant qu’on entend un son “à la Puggy” sur les chansons des autres. Quand Romain, Matthew ou moi collaborons à un autre projet, on se met au service de l’artiste. On ne vient pas comme “membre de Puggy”. On vient comme musicien, producteur, auteur ou compositeur.
RD : Travailler avec d’autres artistes nous permet aussi de sortir de la bulle “Puggy”, de prendre l’air et d’autres inspirations. Personnellement, quand Alice on the Roof et Charles m’appellent, je me focalise sur leur univers et je vois comment je peux les aider à terminer leurs chansons ou apporter ce petit “truc” supplémentaire qu’elles recherchent. Je ne me dis jamais : « Je vais placer une ligne de basse comme sur une chanson de Puggy et ça va fonctionner ». Si je trouve une bonne ligne de basse pour Puggy, je la garde pour Puggy (rires).
MI : Je suis moins tranché. Ziggy à la batterie, Romain à la basse, ils ont des sonorités bien à eux. Moi, quand j’entends le nouveau single d’Alice on the Roof, Change My World, je trouve ça merveilleux, 100% original et 100% Alice on the Roof. Ce n’est pas Puggy mais il y a des choses qui me semblent familières. Par contre, pour avoir le son et l’alchimie Puggy, on doit être à trois ensemble et faire des chansons de Puggy.

Vous êtes issus de l’école jazz, celle des clubs, de l’impro et du live. Les concerts vous ont manqué ces six dernières années ?
MI : Oui, mais pas au point de faire du live pour faire du live. Puggy a reçu des offres alléchantes pour jouer dans des festivals, notamment à la reprise des concerts après le Covid. Mais on n’avait pas envie de remonter sur scène uniquement pour reproduire notre back-catalogue. Certains artistes acceptent ce genre d’opportunités et je peux les comprendre. De notre côté, nous préférions attendre d’avoir de nouvelles choses à proposer. Mais je vous rassure, après notre concert du 11 mars à l’Ancienne Belgique (complet en moins d’une heure, – ndlr), on va encore pas mal jouer en 2024.

Comment se sont passées les premières répétions pour le live ?

EF : Les anciens morceaux, c’est comme pour le ski et le vélo, ça ne s’oublie pas. Pour les nouveautés, c’est vraiment excitant. Les premières sensations sont très bonnes.

MI : On a fait nos premières répétitions fin septembre au studio, dans la cuisine, car c’est la pièce qui sonne le mieux. C’est là, entre les machines à café, une pour les espressos de Ziggy et de Romain, l’autre pour mes décaféinés, qu’on répète pour le live, qu’on a enregistré la plupart des voix de nos nouvelles chansons et qu’on prend toutes les décisions importantes liées au groupe.

Mine de rien, ça va bientôt faire vingt ans que Puggy existe. Vous y pensez parfois ?

EF : Le vingtième anniversaire, c’est en 2025 si je ne me trompe pas. On n’y pense pas. C’est une bonne chose, ça signifie que nous sommes toujours en mouvement et dans l’action.
MI : Même pendant cette pause, nous n’avons pas essayé de mesurer le chemin parcouru. On n’est pas du genre à regarder les photos de notre premier Forest National ou à réécouter nos premiers disques en se disant : « Qu’est-ce que c’était cool ». Le bilan ou la mise à plat, ce sera quand nous aurons septante-cinq ans. Le présent est tellement excitant qu’on n’a pas besoin de regarder en arrière. Comme l’a dit Ziggy, nous sommes super contents de pouvoir bientôt rejouer nos anciennes chansons sur scène mais on ne doit pas s’y replonger avec nostalgie pour pouvoir les proposer. Elles sont en nous. Elles font partie du voyage.


Nicolas Renard, votre manager depuis Dubois Died Today en 2015, est devenu pendant votre pause celui d’Angèle et de Clara Luciani. Faut-il s’attendre à une nouvelle stratégie pour Puggy ?

MI : Nous sommes bluffés de son parcours. Nous sommes très fiers et reconnaissants de travailler toujours ensemble. On profite de son expérience, de son équipe et de ses idées. Ce qui est magnifique, c’est que lorsque nous avons décidé de mettre Puggy en pause pour assouvir d’autres envies artistiques, Nicolas a, lui aussi, développé ses activités. Sylvie Farr, l’ex-babysitter d’Angèle qui est devenue sa manageuse, a approché Nicolas Renard parce qu’elle trouvait qu’il faisait du bon boulot avec Puggy. Angèle est devenue le phénomène qu’on sait et puis il y a eu Clara Luciani. Sylvie et Nicolas ont appris plein de choses, ont constitué une équipe très jeune qui est redoutable au niveau de l’inventivité.

Teasing sur les réseaux sociaux, fuites plus ou moins organisées, showcase gratuit annoncé en dernière minute, clip évoquant l’I.A., promo éclair et massive sur les radios et dans les JT télés le jour de sa sortie… Le lancement de votre single Never Give Up a suivi toutes les règles du marketing musical moderne. C’est nouveau pour vous ?

MI : Tout s’est construit en concertation. Il y a eu un rétroplanning bien sûr mais finalement, tout ça a été très spontané. Il ne faut pas oublier une notion importante : l’amitié. C’est l’amitié qui a toujours lié Puggy à Nicolas. On se parle beaucoup, on échange et on avance. À nouveau, plein de décisions sur le lancement de Never Give Up ont été prises dans la cuisine du studio. Nicolas et son équipe débordent d’imagination et les nouvelles technologies nous donnent plein de nouveaux jouets. C’est très gai de rebondir de cette manière.
RD : Le travail sur le clip de Never Give Up (réalisé par Brice VDH, primé aux Victoires de la Musique pour ses clips de Julien Doré, – ndlr) est un bon exemple. On bénéficie de son expérience mais le résultat est en parfaite cohérence avec la chanson et notre projet.

En fin de compte, vous êtes devenus des entrepreneurs de la pop ?

MI : Je ne veux pas rentrer dans le débat sur le statut de l’artiste. Mais en toute sincérité, un musicien doit se considérer comme un entrepreneur s’il veut avancer. Se contenter de faire de la musique sans penser à autre chose, ça ne sert à rien. Un musicien, c’est comme un ébéniste, un journaliste ou un peintre. Nous sommes des indépendants qui créent à partir de rien. Il y a plein d’outils qui nous permettent de faire avancer notre projet mais ça demande de l’énergie et des connaissances qui dépassent le simple fait de jouer ou de chanter. Nous ne sommes plus seulement des musiciens, nous ne sommes certainement pas des businessmen. Mais oui, nous sommes devenus des entrepreneurs.