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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Matthew Irons

Imposteur malgré lui

Nicolas Alsteen

Chanteur de Puggy, mais aussi coach d’un télécrochet musical, Matthew Irons met désormais ses talents de compositeur au service d’Angèle et autres Lous and The Yakuza. À l’aise avec ce travail de l’ombre, il s’affaire également dans les coulisses d’un film d’animation. Entre bande-son pour le cinéma et chansons pour les autres, cet Européen convaincu possède même un avatar !

Matthew Irons, on his own!

Tandis que le gouvernement fédéral navigue à vue, l’avenue de la Couronne prend l’eau. Il pleut à verse sur Ixelles en ce début d’automne. Au sec dans son studio d’enregistrement, Matthew Irons compose le prochain album de Puggy. « Le disque verra le jour quand nous serons satisfaits du résultat », précise-t-il entre une tasse de café et deux cookies. À l’aube de ses quarante ans, l’artiste vient juste d’éviter la crise. Comment ? « En diversifiant mes activités. J’avais besoin de m’extraire du costume de chanteur », explique le natif de Louvain. Fils d’un couple anglais en rupture avec les préceptes de Margaret Thatcher, le garçon a grandi dans la campagne flamande. « L’idée était d’apprendre le néerlandais avec les voisins et d’étudier le français à l’école. Mes parents avaient horreur du concept d’expatriés. Pour eux, l’intégration était une donnée essentielle. » Scolarisé du côté de Wavre, Matthew Irons est le petit dernier d’une fratrie dévouée à la musique. « Mes deux frères jouaient d’un instrument. Celui du milieu était batteur et le grand, guitariste. Il prenait des cours et, dès son retour, il me montrait ce qu’il avait appris. » Le cadet de la famille développe alors un curieux rituel. « Je m’enfermais dans ma chambre pour écouter l’album Texas Flood du bluesman Stevie Ray Vaughan. Puis, j’essayais de le rejouer à la guitare. Quand j’étais ado, je rêvais d’être un bluesman texan. » En marge de ce fantasme de cowboy fringant, Matthew Irons s’essaie à quelques reprises en compagnie de Spare Change. « Avec ce groupe, on reprenait des classiques du rock. Ça allait de Jimi Hendrix aux Rolling Stones. À 16 ans, je passais tous mes week-ends à jouer des concerts dans les bars bruxellois. Il m’arrivait même de rentrer à 2h du matin en pleine semaine. Le lendemain, j’allais à l’école avec des fringues qui sentaient encore la clope. Avec mes parents, le deal était limpide. Tant que j’avais un bon bulletin, je pouvais faire de la musique. » Son diplôme de secondaire en poche, Matthew Irons se précipite dans le monde du travail. Entre cours de guitare et concerts dans les bistrots, il apprend les ficelles du métier en déambulant dans les rues de la capitale. Mais cette vie de nomade débouche sur une voie sans issue. « J’étais confronté à des limites techniques », déplore-t-il. Pour progresser, il prend la direction du Jazz Studio, à Anvers. C’est là qu’il rencontre le bassiste Romain Descampe. « En classe, il dessinait des mangas et m’empêchait d’écouter. En plus, il me suivait partout en me suppliant de jouer avec lui. » Déjà impliqué dans le groupe Moon Palace, Matthew Irons se défile en lui refilant d’autres plans. « C’est comme ça qu’il s’est mis à épauler une chanteuse aux côtés du batteur Egil ‘Ziggy’ Franzén. » Au détour d’une conversation bien arrosée, Romain, Matthew et Ziggy se rapprochent et s’accordent sur la nécessité d’enregistrer des compos originales. « Le lendemain, nous étions ensemble dans un local de répète. »

Le grand incendie

L’issue de ce rassemblement, c’est Puggy. « Le feeling était immédiat », se souvient le chanteur. Opérationnel dès le printemps 2004, le trio adopte son rythme de croisière. « On bossait non-stop de 10 à 18 heures. Dans l’imaginaire collectif, le musicien est souvent perçu comme un branleur. Nous sommes partis en guerre contre ce cliché. » Une première démo est envoyée à différents labels bruxellois. Sans succès. Puggy s’exfiltre alors à Londres, squattant le grenier d’une maison de banlieue. « Le loyer était payé en bières belges. Nous avons tenu un hiver dans cette pièce insalubre et non chauffée. » Entre décembre et mars 2006, le groupe arpente ainsi les hauts lieux du circuit alternatif londonien. « C’est comme ça que les organisateurs des festivals de Leeds et Reading nous ont repérés. » À Bruxelles, l’anecdote parvient aux oreilles d’un certain Nicolas Renard. En poste à la Jazz Station, ce dernier veut aider Puggy à s’établir en Belgique. « Il a eu l’intelligence de nous faire jouer partout ; dans les fêtes scouts et toutes les manifestations estudiantines. » Sur le campus de Louvain-la-Neuve, les étudiants adoptent ainsi Dubois Died Today, le premier album de Puggy. À l’été 2007, la formation ouvre les festivités à Couleur Café. Juste après le concert, un incendie se déclare. « Durant l’intervention des pompiers, une chaîne télé a diffusé notre prestation en boucle. » L’instant n’échappe pas à Brandon Boyd. De passage en Europe, le leader d’Incubus scrute son écran, convaincu d’assister au show d’un projet à la notoriété établie. « Sur ce malentendu, nous avons été invités à ouvrir la tournée européenne du groupe américain », rappelle Matthew Irons. Dans la foulée, ce sont les Smashing Pumpkins qui invitent les Bruxellois du côté de Paris Bercy.
 

Matthew IronsJ’avais besoin de m’extraire du costume de chanteur.
 

En 2010, Puggy publie l’album Something You Might Like. Suivront To Win the World (2013) et Colours (2016). « Après la sortie de ce disque, j’ai ressenti une certaine lassitude. C’était le contrecoup de quinze ans menés pied au plancher. » En descendant de la scène du Sziget Festival, Matthew Irons annonce à toute l’équipe qu’il va prendre une pause de six mois. « Je me voyais déjà suivre des cours de plongée et commencer des études en psychologie. » Au lieu de ça, il accepte une proposition de la RTBF. « Les producteurs de l’émission The Voice Belgique me voulaient comme coach. Dans le passé, j’avais déjà refusé. Par manque de temps, mais aussi par peur d’être reconnu publiquement. C’est ma hantise. » Convaincu par son entourage, l’artiste s’assied finalement dans le fauteuil du télécrochet. « Aujourd’hui, je tourne la page The Voice. J’ai adoré cette expérience. Cela m’a permis de surmonter mes angoisses. Quand tu passes à la télé, les gens ont l’impression de te connaître. Parce que, d’une certaine façon, tu t’es déjà invité dans leur maison. Je ne suis pas à l’aise avec ça. Pour me protéger, je me suis même inventé une histoire : le mec qui passe à The Voice est mon avatar. Il a mes traits, ma voix. Mais ce n’est pas moi. Il est patient, souriant et super gentil. Alors que moi, je suis loin d’être parfait. Les téléspectateurs apprécient l’avatar, pas le vrai Matthew Irons. Partant de là, je pense que les personnes qui me croisent dans la rue ne peuvent être que déçues. Je souffre du syndrome de l’imposteur.»

La Loi de Murphy

Durant sa pause de six mois, le guitariste croise également la route d’une jeune artiste bruxelloise. « Elle s’appelait Angèle et faisait un peu parler d’elle sur Instagram. Mon manager souhaitait l’épauler. Il m’a proposé d’écouter ses démos et, éventuellement, de lui filer un coup de pouce à la compo. » Quelques semaines plus tard, Angèle débarque dans le studio de Puggy pour concevoir un morceau en compagnie de Veence Hanao et Matthew Irons. « Nous avons écrit La Loi de Murphy. Ce tube est né dans la bonne humeur et cela s’entend. » Depuis ce coup d’essai, le chanteur a mis ses qualités de compositeur au service d’Alice on the Roof, Saule ou Lous and The Yakuza. « Ces collaborations m’ont ouvert l’esprit sans jamais m’éloigner de Romain et Ziggy. Pendant que je compose pour d’autres, ils gèrent le studio de production. Là, par exemple, ils viennent de bosser sur les chansons d’Yseult et celles de Noé Preszow. Grâce aux connaissances accumulées avec Puggy, nous avons appris d’autres métiers. » Désormais, les trois amis ont même un pied dans le cinéma. « Nous avons réalisé la bande-son des deux épisodes du film d’animation Bigfoot. En aménageant notre propre studio d’enregistrement, nous avons gagné en liberté. À présent, je nous vois un peu comme des entrepreneurs. » À la tête de l’enseigne Puggy, Matthew Irons investit maintenant toute son énergie dans un disque attendu au tournant par les fans. « Les attentes du public ? Je me préserve volontiers de ces questions existentielles. Je préfère vivre le truc à fond et éviter la crise cardiaque !