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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Aka Moon

Jacques Prouvost

Que n’a-t-on pas encore dit à propos d’Aka Moon et de son dernier album – le 24e en trente ans – Quality Of Joy? Un album qui marque sans doute une nouvelle étape dans la recherche musicale constante du trio. 14 invités triés sur le volet ont travaillé d’arrache-pied pour sortir, une fois de plus, des sentiers battus. Résultat : un album brillant, fluide et radieux. Rencontre avec Fabrizio Cassol.

Ce qui surprend toujours à l’écoute d’un nouvel opus du trio belge, c’est la fraîcheur, le renouvellement perpétuel des idées et les nouvelles perspectives qu’elles nous offrent. Infatigable et stakhanoviste, Fabrizio Cassol, saxophoniste et principal compositeur du groupe, entraîne à nouveau ses acolytes (le bassiste Michel Hatzigeorgiou et le batteur Stéphane Galland), qui ne demandent que cela, sur de nouveaux chemins, de nouveaux sons et de nouvelles fréquences. Lorsqu’on demande à Fabrizio ce qui a changé entre le premier et le dernier album du groupe, il répond aussitôt : « L’époque. Dans les années nonante, on était occidentalo-centrés. Il y avait peu d’accès à la musique venue d’ailleurs. Il y avait le jazz américain, le free, la fusion, mais hors de ces axes-là, au niveau richesse rythmique, c’était plutôt limité. On s’est intéressé aux polyrythmies et ce qui était visionnaire est devenu courant. Mais si on a accès à plein d’infos via YouTube et autres aujourd’hui, cela ne remplacera jamais le fait de ressentir les vibrations sur place. J’ai fait plus de cent voyages en Afrique, et plus de quarante en Inde – et ailleurs – et pour moi c’est fondamental ».

 

Fabrizio Cassol

Si on ne capte pas les vibrations de son temps, on est mort.

 

Confronté à la pandémie, comme tout le monde, et empêché de voyager autant qu’il ne l’aurait voulu, Fabrizio s’exile plus de cinq mois à la Fondation Camargo à Cassis où il fait régulièrement des “retraites musicales” comme pour I Silenti, Requiem pour L ou actuellement Othello avec Brett Bailey. Là-bas, il ne se contente pas de composer pour Aka Moon, il retravaille aussi sa technique au saxophone. Il est obsédé par des fréquences et micro tonalités qu’il n’arrive pas toujours à obtenir.

« Quand on est au Maroc, en Syrie, en Irak ou en Égypte, on est focalisé sur une fréquence, une intonation. On s’en approche mais on n’y arrive jamais. Du coup, dans plein de projets, je jouais de moins en moins. Concevoir la musique, la penser et l’écouter me donnait plus de liberté et de satisfaction que de la jouer. D’où un travail de lutherie avec Xavier Hoffait et une reprise à zéro de ma technique à l’alto, dix heures par jour. »

Et Fabrizio, plus passionné que jamais et intarissable, explique comment et pourquoi il divise l’octave par vingt-quatre, les demi-tons par cinq, la quarte par trois. Il compare cela aux artères, aux vaisseaux sanguins et aux veines qui amènent aux capillaires. « Quand tu acquiers la technique, ces vibrations commencent à s’agiter et à s’ouvrir. C’est du vécu. Cela sort par le souffle et pas par la composition. C’est ce que j’appelle des bulles de mémoires. » Ces bulles, ce sont aussi des références littéraires, aux engagements sociaux et politiques forts, tels ceux d’Edgar Morin, Toni Morrison, Elsa Dorlin ou encore Anne Dufourmentelle. « Tout aide à la composition. J’en parle avec les musiciens mais de façon informelle. Je leur donne déjà assez de partitions en dernière minute ! Chacun est confronté à son intuition et son instinct. Parfois c’est bingo, parfois il faut refaire. » En plus de la crème du jazz belge, Aka Moon a pu s’appuyer sur des musiciens de haut vol : accordéoniste, trompettistes, chanteuse lyrique, violoncelliste ou guitaristes venus d’Irak, du Congo, du Portugal et des USA. « Je suis content pour Steph et Michel qui se demandaient où on allait. Je sais que je ne reviendrai pas en arrière. En 2023, on ne pouvait pas faire un album qui aurait ressemblé aux précédents. Si on ne capte pas les vibrations de son temps on est mort. Je ne dis pas que c’est un album visionnaire mais, en tous cas, je sais qu’on n’est toujours pas des suiveurs. » Qui en aurait douté ?


Aka Moon & The Orchestral Constellation
Quality Of Joy 
Outhere - Instinct 
Collection