Sturm und Klang
Créer et réinterpréter
Entre la parution de Sur le Fil (SOOND) et celle de Tsilogiannis (Cypres), l’actualité discographique de Sturm und Klang bruisse. L'occasion de rencontrer Thomas Van Haeperen, le directeur musical, nous en parle depuis son bureau situé chez Be-Here, un “village durable” niché à Laeken, où se côtoient, chacun à son rythme, marché bio, atelier de bicyclettes, potager urbain, art du spectacle et création musicale.
Thomas, vous qui avez créé l’ensemble Sturm und Klang, quelle en est l’âme ?
J’ai toujours voulu diriger et la façon la plus simple d’y arriver, c’est de créer, et de gérer, son propre ensemble. D’autant plus que j’aspirais à un effectif ambitieux, symphonique même au début. Puis il a fallu être réaliste. N’empêche, on rassemble toutes les couleurs de l’orchestre avec cordes, vents, percussions, piano, harpe, cuivres et c’est atypique dans le paysage belge. Nous sommes jusqu’à quinze ou vingt pour certains projets, ce qui spécifie notre répertoire. Après plus de vingt ans d’existence, on commence à s’insérer sur le long terme : la reconnaissance est là, les musiciens sont fidèles, des liens parfois amicaux se sont tressés avec les compositeurs. Nous avons développé un focus sur la musique contemporaine et nous sommes attachés à susciter la création, par des commandes et des partenariats avec les compositeurs, ce qui ouvre à la découverte et laisse une part d’incertitude. Même si, souvent, on connaît déjà un peu leur univers musical, le processus de création évolue, se nourrit de renouvellements.
Thomas Van Haeperen
L’important pour moi, c’est de rester ouvert.
On ne sait pas dans quoi on s’aventure,
comment sera cette musique dans 5 ou 10 ans.
S’engager dans une commande, ça peut créer des surprises ?
De grosses surprises, pas vraiment. Et en tant qu’interprètes, on est en première ligne pour défendre la musique du compositeur qui, lui, n’est pas sur scène face au public ! On peut avoir des soucis de réalisme dans l’écriture, des difficultés qu’il n’a pas anticipées ou qui peuvent aussi être volontaires le cas échéant. Le travail se déroule en plusieurs temps. J’ai tout d’abord un contact avec le compositeur alors qu’il travaille, en général sur la base d’un cahier des charges : instruments, durée, contexte du concert de présentation. Parfois il me pose des questions ou teste avec un musicien la faisabilité d’une idée. Ensuite, je reçois une partition globale, une directrice, et on se met d’accord sur de petites adaptations pratiques, pas esthétiques. Je passe beaucoup de temps à lire les partitions avant que les musiciens ne les reçoivent, je suis responsable de la vue synthétique de l’ensemble et je dois m’approprier l’univers de chaque pièce avant de pouvoir la transmettre.
Vous êtes la courroie de transmission entre compositeur et interprètes… comment se fait la mise en place ?
Très souvent on a peu de temps pour répéter des nouveaux programmes car avec dix à quinze musiciens, le plus souvent le processus coûte cher. Il est rare d’avoir plus de cinq répétitions et, si chacun a travaillé sa partie chez soi, personne ne sait encore comment elle s’insère dans le tout. Mon rôle est de faire en sorte, par ma gestique et mes explications, que chacun puisse, dès la première répétition, être très vite à l’écoute des autres et se faire une idée globale de son intervention par rapport au tout.
Construire un programme, c’est en choisir le contenu mais aussi trouver où le jouer ?
Réinterpréter des œuvres, c’est le deuxième pan de notre travail. Nous voulons faire vivre le répertoire. Je suis responsable de la programmation, pour laquelle je cherche à assurer une cohérence qui dépend de nombreux paramètres. J’essaie de plus en plus de développer un réseau de partenaires pour décrocher dès le départ plusieurs concerts, ce qui est difficile en Belgique vu le petit nombre de lieux qui accueillent cette musique. On le fera par exemple le 26 mai pour notre concert à Eupen, qu’on reproduira dans des pays limitrophes. À côté de cela, jouer des pièces plus anciennes et qui font sens pour nous, par exemple dans un programme mixte, nous permet de prendre un peu l’air par rapport à notre spécialité.
Sur le Fil vient de sortir : deux CD pour 2 x 10 bougies ?
Il a paru récemment chez Soond et c’est le premier jalon d’une nouvelle aventure pour le Forum de la Création Musicale. L’association fête ses vingt ans par la mise en avant discographique des compositeurs et des ensembles interprètes. Pour ce projet, qui reflète notre façon de travailler avec des compositeurs de différentes générations – établis comme Boesmans ou Bartholomée, confirmés tels Deleuze et Bosse ou plus jeunes comme D’Hoop ou Jesupret – j’ai proposé deux pièces sorties de nos archives et nous avons enregistré les autres lors d’un concert au Marni. Je suis très content du résultat, un disque au livret instructif, qui dévoile différents stades de maturité dans le processus de composition, avec des pièces aux énergies variées – une pour cuivres, une pour cordes – et les autres avec notre instrumentarium typique, et deux solistes.
L’album Tsilogiannis paraît bientôt lui aussi ?
Oui. Pour ce disque monographique consacré à Adrien Tsilogiannis – et c’est rare, à 40 ans, d’avoir 70 minutes de musique pour ensemble qui tiennent la route ! –, nous avons enregistré en studio dans de très bonnes conditions. On a privilégié un souffle global, de longues plages d’enregistrement et quelques retouches ultérieures. Adrien est un des proches de l’ensemble : commandes, participation à notre atelier (avec une pièce déjà très personnelle, très vive) et une musique à la richesse, poétique et humaine, évidente. L’album sort le 31 mars chez Cypres, ce sera l’occasion d’un concert Piknik, le midi à Flagey.
Sturm und Klang a des idées et veut le faire savoir !
On cherche aussi à promouvoir cette musique, passionnante mais peu médiatisée, auprès de publics non spécialistes. L’envie de découverte est là, il faut la titiller, par plusieurs stratégies : doubler l’angle d’attaque, en associant un élément visuel (les dessins de François Schuiten pour On Mars), une référence extra-musicale (la poésie), expliquer et collaborer avec un partenaire en contact avec le public visé. On a des projets en cours d’élaboration, qui visent aussi à nous sortir de notre zone de confort : du théâtre musical (on rêve d’un opéra de chambre), un atelier d’écriture où les textes des enfants sont mis en musique par des compositeurs, puis récités ou slammés par les auteurs en herbe lors du concert de clôture. L’important pour moi, c’est de rester ouvert : on ne sait pas dans quoi on s’aventure, comment sera cette musique dans 5 ou 10 ans, mais ce qui est sûr, c’est la grande richesse de la création musicale dans notre petit territoire.
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