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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Réussir dans la musique, ça veut dire quoi ?

Didier Zacharie

À l’origine, il y a cette réflexion de Julie Rens de Juicy dans le podcast de FACIR, Eye of the Taïga. « Ce serait bien d’expliquer aux musicien·ne·s au moment de se lancer dans une carrière musicale, ce que signifie “réussir”. Le modèle de la musique est tellement lié à la starisation… À quel moment on considère qu’on a réussi dans la musique ? » Vaste question. Qui mérite effectivement d’être posée... et à laquelle nous apporterons une (re)mise en contexte; quelques éléments de réflexion et de réponse.

Car dans le pays de Stromae et d’Angèle, on peut se faire des idées. Autant le dire tout de suite, ces deux-là font office d’exceptions. Pour l’immense majorité des musicien·ne·s de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la réalité est tout autre. Ainsi, avant de se demander ce que signifie “réussir”, commençons par voir quelle est la réalité du musicien en FWB et posons d'abord une autre question : « Comment vivre de sa musique ? ».

Statut d’artiste

Une première réponse est le statut d’artiste qui est une sorte de Graal du musicien précaire. Or, tous ne l’ont pas, loin s’en faut ! En attendant la prochaine réforme (prévue, dirait-on, pour septembre), il faut savoir que pour un musicien, c’est assez compliqué à obtenir : « Dans le théâtre, on comptabilise les répétitions, dans la musique, ce sont seulement les concerts qui comptent. Les résidences, le temps d’enregistrement, de composition, tout cela n’est pas payé. Moi, je l’ai loupé pour quelques semaines », dit Yann Attia, producteur électro qui se produit sous le nom de Haring.

Le statut d’artiste à la belge n’est pas un statut d’artiste à proprement parler. C’est un revenu de chômage fixe qui permet, notamment, de tenir face aux coups durs. « Depuis le début de la pandémie, c’est le statut d’artiste qui me sauve », confirme le batteur de jazz Alain Deval, qui est aujourd’hui plus actif dans l’électro avec son projet Bothlane.

Ainsi, pour ceux qui ne l’ont pas, il est nécessaire d’avoir un autre boulot. Alain Pierre est guitariste de jazz et a commencé à jouer dans les années 80. « À l’époque, le statut d’artiste n’existait pas. On ne pensait même pas à une professionnalisation, on jouait, simplement ». Son filet de sécurité, il l’a trouvé en enseignant la guitare : « Fin des années 80, le jazz entre au Conservatoire. C’était ça ou continuer à écumer les bars en freelance en espérant faire les bonnes rencontres ».

De son côté, Alain Deval joue avec les Jeunesses Musicales. Yann Attia a un mi-temps dans une agence de booking en plus de s’occuper de son label et agence de management CityTracks. « Mais la réalité, c’est que la plupart des musiciens de la région combinent musique et horeca, parce que ce sont les horaires les plus flexibles, dit-il. Or, ce sont aussi les deux secteurs qui ont été le plus touchés par le Covid. »

Les revenus des musicien·ne·s

« Le gros enseignement de la pandémie, continue Haring, c’est que le secteur de la musique est dépendant d’une seule économie: le live. » De fait, pour tous les musiciens interrogés, leurs revenus musicaux viennent en très (très) grande majorité des concerts. Sans ça – et sans filet de sécurité –, c’est la misère. C’est dire si le Covid fait du mal. Et a poussé à chercher des alternatives.

La première est la synchronisation – ou musique à l’image –, un secteur qui s’est développé avec la crise sanitaire : « C’est une bonne petite cerise sur le gâteau, dit Yann Attia. Je bosse avec un éditeur en France qui crée des bibliothèques de sons. Quand France 2 a besoin de musique pour un documentaire, par exemple, il pioche dedans. Ce ne sont pas des montants faramineux mais ça t’offre des fins de mois intéressantes ».

Sinon, il y a le sponsoring, pratique surtout utilisée dans le hip-hop, mais qui demande le plus souvent une actualité musicale – donc pas très compatible avec le Covid.

Quant au streaming… Pour beaucoup, c’est « que dalle ! », pour d’autres qui parviennent à s’exporter, « c’est une petite rivière qui s’ajoute à d’autres et ça fait toujours du bien quand ça tombe », dit Maxime Lhussier, manager et membre de Dan San et Pale Grey. Et pour ceux qui ont eu la chance d’avoir un titre dans une playlist, cela peut être un petit banco qui ouvre des portes… Pour un temps, seulement. De manière générale, ce n’est pas le streaming qui paye les factures.

Tourner en FWB

En clair, il faut tourner. Beaucoup. C’est d’ailleurs le meilleur moyen d’obtenir le statut d’artiste. Mais tourner uniquement en FWB est-il suffisant pour vivre? « Non, parce que tu es condamné à faire dix dates tous les trois ans », dit Maxime Lhussier. La FWB est simplement trop petite.

Ce qui met du beurre dans les épinards, ce sont les festivals dont les cachets sont deux à trois fois plus généreux qu’en salle. Et pour ça, mieux vaut faire du rap, du rock ou de l’électro que du jazz « qui est devenu une niche », dit Alain Pierre. « Il y a plus de possibilité dans l’électro que dans le jazz, parce que ça touche un public plus vaste », enchérit Alain Deval.

Aussi, le fait de jouer en solo ou de partager le cachet en groupe change la donne. « Si tu veux gagner de l’argent, mieux vaut ne pas faire de groupe, sourit Diego Leyder, guitariste de BRNS. En tant que porteur de projet, je pense que tu es obligé d’aller au moins jouer en France. Ou alors, tu joues pour les Jeunesses Musicales ou comme musicien de sessions. »

Mais là aussi, il y a débat. Alain Deval : « Le problème en jouant dans dix-huit groupes, c’est que tu travailles un peu dans le vide. Tu n’as pas de booker pour te trouver des bonnes dates, tu n’as pas de stratégie de développement. Résultat, les projets restent à la surface et s’essoufflent vite ».

Entourage

C’est une réalité du musicien qui n’est pas souvent racontée : tourner ne suffit pas. Il faut aussi approfondir sa démarche, se présenter et se faire connaître dans ce maelström qu’est l’offre musicale à l’ère numérique. Bref, il faut savoir s’entourer : manager, éditeur·trice, attaché·e de presse, label… « Ça fait quatre ans que je bosse avec Luik Music et clairement je sens la différence, dit Alain Deval. Ça me permet de me recentrer et de développer mes projets pour qu’ils soient plus aboutis. Parce que c’est ça aussi qui permettra d’augmenter les cachets. »

Maxime Lhussier : « Un musicien qui veut porter un projet de musiques actuelles doit être impliqué dans sa communication, son image, son développement artistique, un peu tout. Bien s’entourer permettra d’être plus ambitieux d’un point de vue artistique et d’être plus visible. C’est un investissement. »

Et là est peut-être le véritable avantage du statut d’artiste – et dans une moindre mesure, d’un boulot stable sur le côté. Diego de BRNS : « C’est parce qu’on a ce luxe indéniable qu’on peut se permettre d’être notre propre producteur. On pourrait s’appuyer sur un label qui nous donnerait plus d’argent, mais nous guiderait aussi peut-être plus artistiquement. Nous, on n’a pas du tout envie de ça. Le statut d’artiste nous permet d’être nos propres patrons. »

C’est quoi, réussir dans la musique ?

C’est quelque chose qui est revenu dans les conversations : ne pas faire de compromissions mais proposer une musique personnelle, aventureuse et surtout pas formatée. Ce qui nous amène à la question de départ : c’est quoi, réussir dans la musique ? Pour aucune des personnes interrogées, il ne s’agit d’un succès à la Stromae ou Angèle. « A-t-on vraiment envie de ça ?, lance Yann Attia. Eux sont coincés dans un genre populaire avec tout ce que cela signifie comme concessions. Moi, ça ne me conviendrait pas. »

« En faisant la musique qu’on fait, on sait dès le départ qu’on n’atteindra pas un tel succès, dit Maxime Lhussier. Après, on peut toujours espérer avoir un peu plus de monde en concert, plus de reconnaissance, etc. Mais je peux déjà dire qu’avec ma musique, j’ai touché quelques centaines de personnes dans de nombreux pays sur plusieurs continents. »

Jouer sa musique devant un public suffisamment nombreux pour qu’un échange ait lieu. Ne pas se compromettre mais toucher les gens en faisant ce qu’on aime, parvenir à en vivre et pouvoir continuer à le faire. Voilà, en gros, la réussite. Cette vision, partagée par tous nos interlocuteurs, est joliment résumée par Diego de BRNS : « Réussir, c’est porter un projet personnel et parvenir à le faire tenir ».