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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

James Deano

Le retour du fils du commissaire

Nicolas Alsteen

À une époque où Damso, Hamza et Roméo Elvis n’existaient pas, James Deano portait seul les couleurs du rap belge à l’étranger. Passé du hip-hop au stand-up, puis de la radio à la télévision, l’artiste revient aujourd’hui à la musique via quelques morceaux diffusés sur les réseaux. Pour comprendre l’interruption de carrière et ce retour inespéré aux affaires, Larsen est parti à la rencontre du “Fils du Commissaire”.

En 2007, vous avez signé un deal avec un grand label français. À l’époque, vous étiez un peu le modèle à suivre. Comment avez-vécu tout ça ?
Avant moi, le seul projet rap venu de Belgique qui avait un peu fait son trou en France, c’était Benny B. Alors, quand j’ai signé à Paris, quelques-uns m’ont pris pour le nouveau porte-drapeau du rap belge. Sauf que… Je venais de Waterloo, mon père était flic et je désamorçais le bazar en faisant de l’humour. Tout ça pour dire que j’étais l’anti-héros du rap. Sur un malentendu, certains m’ont pris pour l’élu, pour le mec qui allait représenter les intérêts de toute une communauté. Mais moi, je n’avais rien demandé. Je ne voulais pas de ce rôle. Pour ne rien arranger, je débarquais naïvement sur le marché avec un album intitulé “Le Fils du Commissaire”… Quand j’ai réalisé que j’allais devoir jouer des concerts dans les cités françaises avec un statut de fils de flic, je me suis mis à angoisser. Pour faire retomber la pression, je fumais un maximum de joints. Résultat des courses : j’ai pété les plombs. Tout ça explique en partie pourquoi j’ai fait un pas de côté dans mes activités musicales.

 

James Deano

Quand j’ai réalisé que j’allais devoir jouer des concerts dans les cités françaises
avec un statut de fils de flic, je me suis mis à angoisser.


Vous amorcez ensuite une carrière d’humoriste. Quel a été l’élément déclencheur ?
J’ai toujours aimé raconter des blagues. Il se fait que Gilles Morin, le fondateur du Kings Of Comedy Club, est un ami proche. Comme je le faisais rigoler avec mes plaisanteries, il a commencé à me chauffer pour que je monte sur scène. À l’époque, il cherchait à lancer des carrières. C’est grâce à lui que des gens comme Alex Vizorek ou Kody sont devenus des personnalités du stand-up en Belgique. Au moment où Gilles Morin m’a fait cette proposition inattendue, j’avais besoin de changer d’air. J’ai donc relevé le défi.

Sorti de façon confidentielle en 2012, le morceau Squatter les Terrasses est devenu le chant de ralliement des étudiant·e·s pendant le premier confinement. Cet épisode a-t-il motivé votre retour à la musique ?
Mes nouveaux morceaux étaient déjà enregistrés. Donc, l’envie de revenir était déjà bien présente. Cela dit, je dois reconnaître que la seconde vie de Squatter Les Terrasses m’a apporté de la motivation. Par la force des choses, ce titre est devenu l’un des plus streamés de mon répertoire. C’était rassurant de voir que ça parlait encore aux gens.

Parmi les nouveaux titres diffusés sur les réseaux sociaux, il y a Âme de Femme, un morceau ouvertement féministe. C’est un sujet qui vous tient à cœur ?
Depuis toujours. En 2008, j’avais d’ailleurs sorti Les Femmes, un morceau qui s’inscrivait déjà dans cette lignée. J’ai quand même tendance à penser que les thématiques de mes chansons sont assez banales. Ce que je raconte, c’est la normalité. Ce n’est rien de révolutionnaire. D’autres chantent tout cela mieux que moi. Âme de Femme souligne l’absence de parité dans certaines sociétés religieuses. C’est incohérent de séparer les sexes au nom d’un dieu. Quel qu’il soit. Dans plusieurs livres sacrés, les femmes sont même présentées comme de véritables démons. Alors que la réalité tend à nous démontrer le contraire. Moi, je suis papa de deux petites filles. Je leur parle assez librement de tout ça et, surtout, je leur laisse toujours le choix. Force est de constater que lorsqu’elles gagnent un cadeau à la pêche aux canards, elles ne choisissent jamais les flingues… L’argument n’est pas hyper probant, mais c’est mon quotidien, mes vérités. Je ne suis pas non plus en train de dire que toutes les femmes sont des anges, mais il serait temps d’aller vers plus de parité dans le monde. Le point de vue adopté dans Âme de Femme est d’ailleurs très international. En Belgique, les femmes sont libres, respectées et actives dans la société. On pourra toujours chipoter sur certains points, mais la situation dans d’autres régions du monde me paraît plus préoccupante…

 

James Deano

M’entourer de véritables musiciens, c’est un truc qui me motive.
J’envisage de remonter sur scène avec un groupe.

 

Quand vos nouveaux morceaux sont apparus sur les réseaux, certains commentaires pointaient des similitudes avec Orelsan. Que pensez-vous de cette comparaison ?
C’est un super compliment. Mais j’ai un côté plus brouillon que lui. Orelsan est bien plus sérieux et consciencieux que moi. Sa façon d’observer la société et de la mettre en musique est précise, quasi chirurgicale. C’est un excellent rappeur, mais surtout un incroyable parolier. Cela étant, sur la ligne du temps, j’étais là un peu avant… Mais j’imagine qu’Orelsan n’a jamais entendu parler de moi. Ce qui nous rassemble ? Nous sommes des garçons de la même génération, tous deux issus de la classe moyenne. Nous avons grandi au contact des mêmes médias, d’une même société. Sans le connaître, j’ai partagé une partie de son vécu et de ses influences musicales. Toutes proportions gardées, notre façon de faire du rap présente des similitudes. Chez lui comme chez moi, l’importance du texte est prégnante. Alors qu’aujourd’hui, cette abondance de mots n’est plus vraiment une caractéristique dominante.

Maintenant que vos nouveaux titres sont sortis sur les réseaux sociaux, qu’allez-vous faire ?
Les réunir sous une pochette commune et les mettre à disposition sur les plateformes de streaming. J’appellerai ça EP ou mixtape. Faire un concert en débarquant tout seul avec un DJ, ça ne me dit plus rien. En revanche, m’entourer de véritables musiciens, c’est un truc qui me motive. J’envisage de remonter sur scène avec un groupe. Ce sera l’occasion de jouer les nouveaux morceaux, mais aussi de revenir sur des titres qui plaisent aux gens. Je pense notamment à Squatter Les Terrasses, Les Blancs Ne Savent Pas Danser ou Cash Money. Quoi qu’il arrive, je veux rester libre de mes choix. Plus question de travailler avec un manager. J’ai connu ça et je n’ai pas du tout apprécié. En fait, je n’ai ni stratégie ni plan de carrière. Je suis resté fidèle à mes habitudes.