Accéder au contenu principal
Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Les podcasts musicaux

Music sounds better with €

Serge Coosemans

Joe Rogan, Marc Maron, Lauren Bastide… À échelle mondiale, le podcast a ses mégastars. On y parle souvent politique, food, genre(s) et cinéma. Pourtant, le podcast sert aussi à diffuser de la musique. Et à en parler. Y compris en Fédération Wallonie-Bruxelles. Encore faut-il prévoir les sous…

De quoi un podcast musical est-il le nom ? D’un fichier informatique stockable contenant de la musique et des discussions sur la musique ? D’un show audio transportable fabriqué dans une cuisine et qui n’a donc pas besoin d’émetteur pour toucher son public ? Le podcast musical descend-t-il donc de la mixtape et des radios libres des années 1980 ? Jeff Lemaire, tête pensante du site d’interviews et de critiques musicales Goûte Mes Disques, a sa vision et sa réponse. Pour lui, un podcast est en fait plus proche d’une nouvelle forme de webzine ; la véritable folie autour du concept “podcasts” rappelant d’ailleurs fort l’emballement pour les blogs, il y a une quinzaine d’années. « Quand les webzines et les blogs ont été créés, il y avait cette illusion que l’on pouvait lancer son propre petit média en deux coups de cuillère à pot. Tout comme le streaming vidéo finalement, les podcasts, c’est toujours un peu ça, aujourd’hui. Sauf qu’il ne faut pas se leurrer : ça coûte tout de même un peu plus d’argent. » Si mixer plus ou moins anonymement de la musique et uploader le mix sur Internet à l’arrache est généralement aussi gratuit qu’illégal, dès que l’on cherche à se faire remarquer sans risque de mauvaise surprise sous forme de mise en demeure chiffrée pour les droits des morceaux joués durant son show, mieux vaut en effet prévoir un petit budget. Pour du matériel correct, aussi (micros XLR, interface audio, mixette, ordinateur…).

 

Jeff Lemaire – Goûte Mes Disques

Il y avait cette illusion que l’on pouvait lancer son propre petit média
en deux coups de cuillère à pot. (…)
Il ne faut pas se leurrer : ça coûte tout de même un peu plus d’argent.

 

Ce coût relatif aux droits freine, semble-t-il, pas mal d’ardeurs. Game Changer, le nouveau podcast de Goûte Mes Disques où des personnalités médiatiques (Swann Borsellino, Myriam Leroy…) parlent de l’album qui a changé leurs vies est ainsi essentiellement un talk-show. Y passer du son, même illustratif, pourrait en effet selon Jeff Lemaire, « coûter vraiment cher » en redevances variées. À ses frais, Goûte Mes Disques ne diffuse donc que de la parole. Le site anime en revanche une tranche totalement musicale sur Jam, la web radio de la RTBF, qui a forcément des accords lui permettant de diffuser des morceaux de musique. On en connaît beaucoup d’autres (dont l’auteur de ces lignes, qui propose son émission de world music déviante, Le Grand Remplacement, sur Radio Rectangle) qui se sont tournés vers des structures « en règle avec la SABAM » (citons encore The Word à Bruxelles) non seulement par affinités éditoriales et personnelles mais aussi pour des raisons drôlement plus pratiques. Mieux vaut effectivement être juridiquement couvert plutôt que de balancer ses sélections musicales sur des sites et blogs personnels et soudainement se voir présenter une facture par un organisme dont vous n’ignoriez peut-être pas totalement l’existence mais pour lequel vous n’aviez pas du tout prévu le budget requis. « J’avais plein d’idées avec de la “vraie musique”, nous explique ainsi un ex-podcasteur bruxellois actif dans le hip-hop et qui a depuis sabordé son projet. Pour éviter une mauvaise surprise, je n’y mettais finalement que des extraits de quelques secondes et puis l’interview par-dessus. Je n’ai d’ailleurs rien compris à la grille de tarifs de la SABAM. Et comme j’avais un peu peur de leur signaler mon existence, je n’ai jamais osé les contacter pour demander davantage d’informations. »

Podcaster en règle est d’ailleurs un peu plus compliqué qu’un simple versement forfaitaire à la SABAM. Benjamin Schoos, non seulement grand manitou de Radio Rectangle mais aussi ex-administrateur de cette même SABAM, confirme : « Déjà, il faut distinguer la fiction radiophonique du flux de musique ou de l’émission musicale. Si on inclut une œuvre musicale dans une fiction audio, tout comme pour un film ou une série, il faut alors un contrat de synchronisation avec les ayant-droits et l’éditeur. Pour ce qui est d’enchaîner des morceaux ou d’en passer entre deux interventions parlées, tout dépend des sociétés de gestion en droits d’auteur et en droits voisins. Il existe des accords pan-européens mais les forfaits varient selon le territoire et puis aussi selon les plateformes où le podcast sera disponible… »

 

Benjamin Schoos  - rectangle.be

Chez Rectangle, on essaye de rester les plus indépendants possible
et donc propriétaires de nos masters, programmes et plateformes plutôt que simples locataires.


C’est en 2012 déjà que ce même Benjamin Schoos et ses complices du label Freaksville lancent Radio Rectangle, qui est plus une plateforme de podcasts qu’une véritable radio. Dix ans plus tard, tout le monde semble très content de l’aventure et B. Schoos se dit très fier des contenus produits, surtout les longs entretiens (notamment avec le scénariste Alan Moore ou le chanteur Christophe…) et les séries thématiques sur la sunshine pop et la new-wave. D’un point de vue logistique et technique, l’investissement est réel, mais « pas délirant ». Les locaux de Freaksville ont leur station de podcasting, facilement transportable. Certains intervenants sont également équipés à titre personnel de matériel assez peu onéreux, comme des enregistreurs Zoom et Tascam et des logiciels de montage tels qu’Audacity ou Garageband. D’un point de vue plus juridique, les choses ont évolué et continuent d’ailleurs d’évoluer selon B. Schoos : « En dix ans, cela s’est adapté en fonction de ce que décrète le CSA mais aussi la SABAM. On a chez Rectangle une Charte du Podcaster et on paye un forfait annuel pour les droits. Ce qui pose aujourd’hui d’autres questions juridiques, dont certaines sont d’ailleurs en train d’être résolues, c’est cette nécessité de devoir être présent sur d’autres plateformes. Cela ne fait qu’environ un an qu’il est possible d’inclure de la musique dans les podcasts sur Spotify et on vient aussi de voir avec la grosse panne Facebook/Instagram d’octobre à quels points certains business dépendent de ces plateformes. Or, chez Rectangle, on essaye de rester les plus indépendants possible et donc propriétaires de nos masters, programmes et plateformes plutôt que simples locataires.»

Ce n’est effectivement que depuis peu que Spotify permet aux “créateurs de contenus” de s’affranchir des droits d’auteur et donc d’inclure de la musique dans leurs productions. Une solution loin d’être pleinement satisfaisante puisque seules les personnes abonnées à Spotify peuvent entendre les chansons en entier, les autres n’ayant accès qu’à un aperçu de 30 secondes avant de revenir artificiellement à la discussion. 30 secondes, c’est ce qui correspond un peu partout au droit, gratuit, de citation. Signalons aussi que tant à la RTBF que du côté de Radio Rectangle, si les podcasts peuvent s’écouter en streaming à l’infini, la possibilité de les télécharger est soit très limitée, soit inexistante dès que ces shows proposent de la musique.

Là encore, une question de droits, trop longue à détailler ici. Mais bref, il n’est guère étonnant que des personnes isolées ayant envie de partager leurs coups de cœur musicaux sans casser leurs tirelires et sans chercher à monétiser leurs shows, ont plutôt intérêt à proposer sur le web un contenu parlé accompagné d’un lien vers une playlist illustrative hébergée par un service comme YouTube ou Spotify. Ce que font par exemple Damien Aresta et Maureen via Amour, Gloire & Chips, où ça parle d’une musique mise en lien. Autant dire que si le podcast musical descend bien du webzine, le coût réel des droits musicaux le condamne le plus souvent à ne rester soit qu’un phénomène de niche où ça parle tranquillement, soit une véritable émission mais alors animée dans un cadre au moins semi-professionnel. Du moins cela continuera-t-il à être le cas tant qu’il n’existera pas de modèle économique où les redevances, nécessaires à une petite révolution comparable à celle des blogs, seraient prises en charge par des partenaires publicitaires et/ou institutionnels