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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Le périple jeune

Nicolas Alsteen

Souvent resserrée autour de quelques projets phares, la création jeune public en Fédération Wallonie-Bruxelles se renouvelle aujourd’hui au contact d’artistes bien plus habitués aux goûts des grands qu’à ceux des enfants. Mazima, Monsieur Nicolas ou l’opéra Ursule et Hirsute sortent ainsi du bois avec des idées neuves et d’autres façons d’appréhender la musique.

Malgré sa petite superficie, la Belgique francophone nourrit régulièrement l’actualité internationale avec des sorties musicales aux rayons rock, rap, électro, jazz ou chanson. Côté jeune public, en revanche, le pouls créatif bat bien plus lentement. Capable de belles petites performances et de quelques victoires d’ampleur (Mamemo, Les Déménageurs), le secteur tient davantage à la ténacité de certains opérateurs (Les Jeunesses Musicales, par exemple) qu’à une profusion de propositions artistiques capables de titiller l’intérêt d’un large public au-delà des frontières régionales.

 

Lionel Polis

Cela me donne l’occasion de développer d’autres compétences.


Ce constat pourrait toutefois évoluer au cours des prochains mois à la faveur d’initiatives impliquant des personnalités complètement extérieures à la sphère jeune public. À commencer par Lionel Polis. Pianiste classique, arrangeur, détenteur d’une formation de musique à l’image, ce dernier passe l’essentiel de son temps à composer des bandes-son pour des courts et longs métrages. En marge de ces incursions au cinéma, le musicien décline ses envies électroniques au sein du duo Elefan. Du genre polyvalent, il s’invite à présent dans le domaine jeune public via la musique originale d’Ursule et Hirsute, un spectacle ambitieux initié par l’Opéra Royal de Wallonie. « En mai 2018, l’institution a ouvert un concours de composition sur la base de textes écrits par le chanteur André Borbé », retrace le lauréat Lionel Polis. « Pour moi, cet appel à projet était un défi. Par le passé, j’ai eu l’occasion de bosser sur la cérémonie de clôture des Jeux olympiques de Sotchi. Dans un autre registre, j’ai composé des arrangements pour un défilé militaire. Sur le papier, ce sont des domaines qui me sont étrangers, mais c’est justement tout leur intérêt. Comme avec Ursule et Hirsute, cela me donne l’occasion de développer d’autres compétences. » Ce premier périple dans les eaux de la création jeune public peut aussi s’appréhender à l’aune d’une naissance. « Depuis que je suis papa, je suis bien plus sensible à la littérature jeunesse mais aussi à la façon de parler aux enfants dans les spectacles », assure le compositeur. « Pour ça, le livret écrit par André Borbé m’a vraiment convaincu de participer au concours. » L’histoire en question s’enracine au cœur de la science-fiction. « Il s’agit des aventures d’un petit monstre hors norme, totalement incompris des siens », dévoile l’auteur. « À un moment, il décide donc de quitter son monde pour rejoindre celui des humains. Dans l’esprit, l’intrigue se situe entre une série télévisée à la Stranger Things et un livre jeune public du type Max et les Maximonstres. La bande-son proposée par Lionel Polis cadre bien avec ces références, » conclut Borbé. Récompensé pour la qualité de ses œuvres, le jeune compositeur n’a pourtant pas changé son fusil d’épaule à l’heure d’imaginer les partitions d’Ursule et Hirsute. « Verser dans quelque chose de basique, ça n’aurait servi personne. Plutôt que de simplifier les compos, j’ai essayé de partager ma passion pour la musique classique avec les enfants. »

D’ici quelques semaines, Ursule et Hirsute sera présenté sur la scène de l’Opéra Royal de Wallonie. Chevilles ouvrières du projet, André Borbé et Lionel Polis s’effaceront pourtant en coulisses à l’heure du lever de rideau. « Les compositions de Lionel seront jouées par un orchestre de chambre et mes textes seront chantés par quatre solistes et une chorale d’enfants », indique André Borbé. « Confier son œuvre aux talents des autres, c’est à la fois enthousiasmant et super stressant. Mais c’est aussi toute l’originalité de cette proposition. »

Vocation universelle

Dans un style plus chaloupé, où le groove tient à des idées piochées dans les musiques africaines et la culture soul-jazz, le duo Mazima défend aujourd’hui les couleurs de L’Envol, un conte musical créé à l’initiative de Marie-Rose Mayele, la voix de Lili dans Les Déménageurs. Cette nouvelle production met également à contribution la flûtiste bruxelloise Esinam Dogbatse. Connue pour ses instrus afro-jazz ourlées de soul et d’électro, cette dernière s’essaie, elle aussi, à la création jeune public.


Esinam Dogbatse

J’ai dû me familiariser avec un format chanson qui,
bien souvent, repose sur une structure couplet-refrain.

 

« Jusqu’ici, mon expérience se limitait à quelques concerts joués via les Jeunesses Musicales, raconte-t-elle. Et avant de recevoir la proposition de Marie-Rose, je ne connaissais même pas l’existence des Déménageurs… J’ai accepté de participer à l’aventure Mazima en posant une condition : créer une musique à vocation universelle. Je ne voulais surtout pas brider mes compos en concevant des chansons exclusivement réservées aux enfants. En filigrane de chaque morceau, il y a donc matière à combler d’autres sensibilités. » Conte poétique, L’Envol évoque les pérégrinations de deux sœurs à travers des mélodies imaginées au contact direct des plus petits. « Grâce à une bourse, nous avons pu développer le spectacle en milieu scolaire. Cette phase immersive a permis de faire évoluer les compos en tenant compte de la réaction des enfants. C’était intéressant. D’autant plus que, traditionnellement, mon approche est purement instrumentale. Ici, j’ai dû me familiariser avec un format chanson qui, bien souvent, repose sur une structure couplet-refrain. » Assorti d’un livre-audio illustré par la dessinatrice Véronique Hidalgo, L’Envol promet de beaux voyages à Mazima et quelques expéditions musicales de premiers choix pour le public.

Une affaire de famille

Comédien de formation, le guitariste Nicolas Van Overstraeten s’est fait un petit nom au rayon chanson française. Planqué sous les initiales d’un nom de famille à consonance néerlandophone, Nicolas VO a, en effet, signé plusieurs disques dans la langue de Gainsbourg. « J’en avais enregistré un autre juste avant le début de la crise du coronavirus, confie-t-il au détour d’une conversation. Mais il n’est jamais sorti… » Le contexte sanitaire n’explique pas tout. « Pendant le confinement, j’ai passé beaucoup de temps avec mon fils de quatre ans. Un matin, alors qu’il disait non à tout ce que je lui proposais, j’ai improvisé une ritournelle baptisée Monsieur Non-Non. Comme cela lui plaisait, nous en avons fait un petit clip dans lequel il dansait au milieu de ses peluches. Je l’ai diffusé via les réseaux sociaux et cela a suscité de nombreuses réactions positives. » Cet enthousiasme inespéré pousse l’artiste à renouveler l’expérience. « À la fin du confinement, j’avais neuf chansons et, surtout, la conviction d’avoir découvert une forme d’expression qui me convenait bien mieux que tout ce que j’avais fait jusqu’alors. »

Reconversion professionnelle

« Je n’ai absolument pas cherché à me recycler dans le domaine jeune public, assure Nicolas Van Overstraeten. J’ai juste saisi l’instant. » Aujourd’hui, les aventures de Monsieur Non-Non ont pris une nouvelle tournure et, surtout, une envergure familiale. « Mon épouse, Julie De Wever, est en train de finaliser la suite du récit qui, bientôt, sera illustré par Arnold Hovart, un dessinateur qui vient de collaborer avec l’autrice Adeline Dieudonné à l’occasion de la publication de son livre pour enfants Baïla, la petite louve. » Pour marquer une transition entre sa vie dans le monde des grands et sa résurrection artistique chez les enfants, Nicolas VO s’est métamorphosé en Monsieur Nicolas. Un changement de nom qui, selon le principal intéressé, pourrait aussi coïncider avec une reconversion professionnelle. « Le marché de la chanson française est saturé. Perdurer dans ce milieu ultra-concurrentiel est compliqué. Quand mes titres passent à la radio, par exemple, personne ne me propose un concert. Par contre, toutes les vidéos associées à mon projet jeune public ont donné lieu à des invitations pour jouer sur scène ou dans des lieux insolites. J’en suis encore aux prémices du spectacle, mais je sens qu’il y a des opportunités d’exister et d’évoluer autrement avec la musique pour enfants. »

Entre remises en question, expériences artistiques et idées fraîches, le secteur jeune public entrevoit ici un futur enrichi de nouvelles sensibilités et, pour l’heure, une source d’émulation inespérée.