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par le Conseil de la Musique

Antoine Wielemans

Escapade solitaire

Louise Hermant

Après 18 ans à ne se consacrer qu’aux Girls In Hawaii, Antoine Wielemans prend son envol avec un premier projet solo. Pour cette échappée, il s’éloigne de l’univers indie-rock de son groupe en se mettant au piano et au français. La mélancolie, elle, ne reste jamais bien loin.

Cet album solo est arrivé un peu par hasard, par la force des choses. Les neuf chansons étaient, au départ, écrites pour se vider la tête, tester de nouvelles choses et rencontrer d’autres personnes. Le chanteur et guitariste des Girls in Hawaii pensait simplement les partager à quelques intéressé·e·s sur SoundCloud. Une sortie physique et une tournée n’étaient pas spécialement son intention. Et puis, encouragé par son entourage, il se laisse tenter par cette nouvelle aventure. Une fugue inattendue qui lui ouvre de nouvelles perspectives pour la suite.

Pour ce premier album solo, vous êtes parti seul en Normandie à Vattetot-sur-Mer pour l’écrire. Vous aviez besoin de changer d’air ?
Antoine Wielemans : Quand je suis en période d’écriture, j’ai besoin d’être isolé, de ne pas avoir le choix et de ne faire que ça. À tout moment de la journée, que l’on soit en train de se promener ou de prendre sa douche, quand on se lève le matin ou que l’on se couche le soir, on est en permanence en train de percoler. Et à un moment, ça jaillit. J’ai besoin d’être confronté à la solitude. C’est toujours autant une épreuve que quelque chose d’un peu jouissif.

 

Antoine Wielemans

Cette aventure ne remet strictement rien
en question par rapport aux “Girls”.
Ça me donne, au contraire, envie de retravailler avec eux.

 

Les lieux influencent-ils l’ambiance, les sonorités d’un disque ? On a l’impression d’entendre le bruit des vagues dans quelques chansons.
Oui, très fort. Dans ce cas-ci, c’était au bord de la mer, au-dessus des falaises. L’environnement était très beau et contemplatif. Voir ce paysage l’hiver, dans un temps un peu hostile et sauvage, ponctué de tempêtes, cela se sent dans les paroles. Ce que l’on entend, c’est surtout les bruits des tempêtes et du vent. J’aime beaucoup aller enregistrer les sons de dehors, je suis parti avec mon micro sous un parapluie. Il faut bien s’occuper quand on est tout seul !

Vous avez fait le choix du français. Pour marquer clairement la différence avec les Girls in Hawaii ?
Ça me trotte en tête depuis longtemps. Ça fait une bonne dizaine d’années que j’écoute de plus en plus des chansons en français et moins en anglais. J’ai souvent fantasmé l’idée d’écrire en français. J’ai un peu essayé par le passé mais je n’étais jamais satisfait. Je ne sais pas pourquoi là tout d’un coup il y a eu comme un déclic. Au tout départ, je voulais travailler sur un projet en solo pour un peu changer d’air, pour vivre une autre expérience. Avec “Girls”, ça fait 18 ans qu’on fait de la musique ensemble. C’est très intense donc on n’a jamais eu l’occasion de collaborer avec d’autres personnes, de faire des choses à côté. Je me disais qu’une aventure en solo allait me faire du bien. J’ai commencé par l’anglais, mais très vite je me suis rendu compte que ça n’avait pas beaucoup d’intérêt car ça ressemblait très fort à “Girls”. Je me suis alors dit que ce projet n’aurait de sens que si je faisais quelque chose d’instrumental ou en français. Je me suis lancé là-dedans et bizarrement le déclic est venu assez vite sur un morceau. Et les autres se sont enchaînés assez naturellement.

Comment s’est déroulé ce passage de l’anglais au français ?
Avec les “Girls”, on est beaucoup plus centré sur la musique et la mélodie. On envisage la voix comme un instrument, une ligne mélodique. Le texte arrive en deuxième lieu. L’anglais n’est pas notre langue maternelle, écrire nous demande toujours un effort. C’est un peu à l’image d’un Tetris : on a une mélodie et des sonorités que l’on aime bien, avec un certain nombre de syllabes par phrases et il faut essayer de faire rentrer un texte, un mot là-dessus. C’est un casse-tête qui peut durer des semaines. L’écriture se fait souvent dans la douleur. Je crois que je suis arrivé au français aussi en réaction à ça. C’est devenu tellement pénible d’écrire en anglais pour ces raisons que ça devenait évident d’utiliser ma langue maternelle et de pouvoir jongler plus facilement avec le langage. Quand on écrit en anglais et que l’on veut dire quelque chose de précis ou utiliser une image poétique, même si pour nous elle a du sens, la plupart du temps on n’est pas du tout certain qu’un anglophone va comprendre la nuance. Je voulais me confronter à l’idée de maitriser un outil et que si j’avais trouvé un décalage esthétique, une façon de dire une chose, je pouvais l’assumer à 100%.


Antoine Wielemans

Moins je passe du temps à faire de la musique,
plus je suis efficace et plus j’y vais avec envie.


Écrire dans sa langue maternelle enlève aussi de la distance. Les mots deviennent tout de suite plus frontaux. On ne peut plus trop se cacher…
C’est pour cette raison que l’on a toujours écrit en anglais. L’anglais amène une certaine pudeur, on peut raconter ce que l’on veut. Avec cette langue, les mots sont distordus, les syllabes rallongées. Le français a quelque chose de beaucoup plus discursif et les mots sont beaucoup plus respectés. On ne va pas traîner pendant dix secondes sur une syllabe. On va chanter “voiture” et pas “voooiture”. Dans ce que j’écoute en français, le langage est assez simple et usuel. C’est l’assemblage des mots qui crée des choses intéressantes, pas spécialement les mots compliqués. J’adore Albin de la Simone, il chante de manière très naturelle, il n’y a pas d’emphase. Tout comme Serge Gainsbourg ou Bertrand Belin.

Le français revient beaucoup ces derniers temps. Est-ce une manière aussi de rester en phase avec les goûts d’aujourd’hui ?
Bien sûr. Avec les “Girls”, ça nous intéresse toujours de faire quelque chose qui soit dans les codes du moment et de jouer avec ça. Sur nos derniers disques, il y avait beaucoup moins de guitares et plus de programmation, d’électronique, de synthés car c’est vers ça que la musique allait à ce moment-là. Il y a une mouvance incroyable depuis 10 ans de gens qui se réapproprient complètement leur langue maternelle. Il y a 15 ans, c’était presque la honte de chanter en français. C’était considéré comme ultra- ringard. Quand j’ai commencé, les groupes ne chantaient pas en français. Ce n’était pas du tout la mode ou la culture. Ça sonnait vieux, ça faisait penser à la musique de nos parents. C’est quelque chose qui a totalement changé, et rapidement.

Le fait d’être en solo vous permet-il de partager des choses plus personnelles ?
Dans les Girls in Hawaii, ça a toujours été une écriture à deux, à 50/50. On a développé notre écriture en tandem avec Lionel. J’ai déjà remarqué que cela pouvait être un frein pour raconter des choses plus personnelles et cela oblige une certaine pudeur. On se dit que l’autre ne va pas pouvoir s’y reconnaître. Ce projet permet de ne plus avoir aucun interdit et d’avoir une vraie liberté. De n’avoir aucun jugement ni de personne à convaincre. On peut tout laisser exister.

 

Antoine Wielemans

Le piano est un instrument super riche.
Plus je l’apprends, plus je me rends compte
de sa complexité et de son côté un peu abyssal.

 

Si être en solo permet moins de concessions, il y a aussi moins d’appui de la part des autres. Est-il dès lors plus compliqué de s’évaluer ?
C’est vraiment la grosse difficulté. Il y a beaucoup de libertés mais il y a des doutes permanents à toutes les étapes. Beaucoup plus que lorsqu’on est en groupe où il y a une force motrice. Quand on travaille en groupe, on est cinq ou six personnes à donner notre avis, il y a toute une série de filtres qui fait que lorsqu’une idée aboutit en une chanson, on est assez confiant sur ce qu’elle vaut. En solo, ce sont les montagnes russes. Parfois on y croit, parfois plus du tout. C’était assez compliqué à gérer.

Qu’est-ce qui a fait que, finalement, vous y avez cru ?
Ce qui a fait que ce soit devenu un album, c’est clairement le confinement. Les chansons étaient pour la plupart écrites avant. Et elles auraient eu pas mal de chance de rester sur un disque dur pendant longtemps. Le confinement a été une période un peu irréelle, hors du temps où l’on cherchait tous à s’occuper. J’avais ces quelques chansons. Je les ai fait écouter à un ami qui m’a donné de bons retours. Pendant cette période, j’ai eu besoin de m’évader du quotidien de la maison. J’ai pu avoir un petit appartement à prêter où j’ai installé un ordinateur. Je m’y rendais tous les jours pour travailler sur ces morceaux. Je les ai développés, enrichis, modifiés, réécrits. Après, je voulais aller en studio avec des musiciens pour enregistrer. C’était un peu le prétexte de ce projet, pouvoir rencontrer d’autres musiciens. Ce volet-là est devenu très compliqué avec le contexte, ça n’avait pas beaucoup de sens. Le confinement poussait à aller vers quelque chose de DIY, enregistré avec les moyens du bord à la maison, tout seul.

Revenir avec un projet aussi différent et après tant d’années avec un groupe, c’est aussi une prise de risque et une mise en danger. Ça vous a fait peur ?
C’est à la fois excitant et très bizarre. Je me suis posé beaucoup de questions. Est-ce que j’ose quitter mes acquis et une situation dans laquelle je suis assez confortable ? Est-ce que je prends le risque de tout gâcher ? Il faut se demander si l’on veut rester condamné à faire toujours la même chose. Est-ce qu’il ne faut pas assumer l’idée qu’un jour on puisse complètement se planter et que ce n’est pas grave ? Si cela ne fonctionne pas commercialement, ce n’est pas grave. Ma plus grosse crainte, c’est que tout le monde trouve ça nul.

Comment les autres membres du groupe ont-ils réagi à l’annonce du lancement de votre épopée solitaire ?
Ça fait des années qu’on s’entrechoque parfois un petit peu sur certaines choses. C’est une collaboration et une histoire d’amitié super riche, qui s’étale sur 18 ans. Similairement à un couple, il y a des moments de déchirement où l’on n’a pas envie des mêmes choses au même moment. Dans les périodes les plus difficiles, Lionel m’avait dit que ce serait bien que je fasse quelque chose pour moi, pour faire vraiment ce dont j’avais envie. Cette aventure ne remet strictement rien en question par rapport à “Girls”. Ça me donne, au contraire, envie de retravailler avec eux. J’ai trouvé cette liberté dont j’avais besoin avec ce projet en solo mais je m’imaginais moins ce que ça ferait de se retrouver sans cette force motrice, sans ces échanges d’idées et ces moments sociaux. On veut retravailler sur un cinquième disque l’année prochaine. On va bientôt commencer des séances d’écriture.

Dans cet album, vous partagez des petits récits de vie et la vision d’un homme de 42 ans qui vit plus difficilement ses gueules de bois, ressasse ses choix passés et qui s’inquiète pour la jeunesse… On sent un autre regard par rapport à celui des Girls in Hawaii. Est-ce le cas ?
Je crois que le fait d’écrire en français change mon regard. Avec “Girls”, on est toujours dans une sorte de jeunisme, dans l’idée de rester éternellement adolescent. C’est compliqué de vieillir en étant un groupe pop. Au début, on a juste fait un premier disque pour se marrer et puis c’est devenu toute notre vie professionnelle. Qu’est-ce qu’il se passe le jour où on arrête ? Quand est-ce que l’on va sentir qu’il est temps de mettre un stop ? Quand nous sentirons-nous trop vieux, plus à la page, décalés ? Est-ce qu’on peut vieillir ? Est-ce qu’on a envie de devenir un groupe vieux comme les Rolling Stones ? Ce sont des questions que l’on se pose beaucoup maintenant. Tout ça m’a beaucoup perturbé ces dernières années. Est-ce que je continue de faire “Girls” parce que je ne vois pas ce que je pourrais faire d’autre ou parce que j’aime vraiment ça ? Faire quelque chose en solo m’a complètement rassuré. C’est le renouveau de quelque chose, de nouvelles perspectives s’ouvrent. C’est devenu un vrai sujet en soi de dire que j’ai 42 ans, quel regard j’ai sur moi, sur le fait que je vieillisse. C’était plus facile à exprimer dans ce projet qui est très personnel.

L’autre rupture avec les “Girls” est le piano. Vous dites avoir longtemps fantasmé le fait d’apprendre le piano. Qu’est-ce qui vous attirait vers cet instrument ?
J’ai commencé à apprendre le piano ces cinq dernières années. Au début du projet, j’ai essayé d’enregistrer en français à la guitare, mais ça ne plaisait pas. Une fois au piano, tout a été plus simple. Je ne sais pas trop pourquoi mais l’instrument m’a beaucoup inspiré. J’avais toujours eu envie d’y jouer. J’ai pris des cours pendant deux ans car je jouais auparavant à l’oreille, avec des mauvais accords. Il était important pour moi de vraiment apprendre et de pouvoir ainsi improviser et composer. Le piano donne l’opportunité de faire des autres suites d’accords car ce sont des autres codes. C’est devenu mon nouveau terrain de jeu. On peut s’asseoir devant un piano, poser un accord et se laisser guider, laisser traîner. Avec la guitare, on a envie d’être plus bavard, plus rythmique.

Pour ce faire, vous vous êtes retrouvé à l’Académie de Saint-Gilles, à devoir prendre également des cours de solfège.
Le solfège se fait en groupe, avec des adultes et des adolescents. C’était assez marrant de se retrouver avec des gamins de 14 ans. J’ai toujours joué de la musique de manière empirique, sans aucune formation théorique, juste en écoutant Nirvana à la radio et en apprenant la guitare aux scouts. Ces deux années de base au solfège m’ont beaucoup appris. Deux fois par an, j’avais aussi une audition. On devait apprendre un morceau et le jouer devant la prof et les élèves de toutes les années. J’étais tout tremblant en jouant mon petit morceau. 
J’ai quand même fini par réussir l’examen. Je n’avais pas dit à la prof que j’étais musicien professionnel. Je n’aime pas spécialement en parler. Ça modifie parfois fort les rapports et dans un sens qui n’est pas toujours intéressant.

C’est important de continuer à apprendre après tant d’années de métier ?
C’est important et même nécessaire. Si un instrument est notre outil de travail, il peut finir par ne plus nous inspirer. On le connaît par cœur donc il peut nous bloquer dans nos réflexes. Intuitivement, on va avoir tendance à répéter les mêmes accords. Il faut essayer de casser ces codes. Avec les “Girls”, à chaque nouveau disque, on se donne de nouvelles directions et obligations en décidant de changer les recettes. Le piano est un instrument super riche. Je n’avais jamais pris le temps de l’explorer en profondeur. Plus je l’apprends, plus je me rends compte à quel point il est complexe et de son côté un peu abyssal.

Pendant un temps, vous vous étiez aussi pris de passion pour la lutherie.
J’ai des passions assez éphémères. Quand je me découvre une passion, je fais ça pendant deux ans et puis ça passe. Ça a été le cas pour la lutherie. Je n’en fais plus du tout pour le moment. Des amis qui faisaient de la lutherie m’avaient proposé de les rejoindre dans leur atelier pour construire une guitare. Je suis parti chez eux pendant deux mois, j’ai fait ça du matin au soir. J’ai fini par construire ma guitare, sur laquelle je continue de jouer maintenant. Dans Vattetot, je n’ai utilisé que cette guitare d’ailleurs. Après ça, j’ai été engagé dans un magasin de guitares à Louvain-la-Neuve pour m’occuper des entretiens et réparations des instruments. Je faisais cela lorsqu’on était en train d’écrire Everest. Toute l’énergie de ma semaine n’était pas centrée uniquement sur la musique. Moins je passe du temps à faire de la musique, plus je suis efficace et plus j’y vais avec envie. Maintenant, j’ai envie de me remettre au dessin et à la peinture.

Comment envisagez-vous la suite pour ce projet ?
C’est une question qui reste ouverte. Elle n’est pas encore résolue… Ce projet m’a beaucoup plu. J’ai adoré le processus d’écriture. C’est peut-être aussi parce que c’est un premier disque, on ne peut rien imaginer, on se sent totalement libre. Quand on travaille pour “Girls”, on sait que l’on va s’adresser à plein de gens. Je me mets sans doute plus de barrières. Notre premier disque a été fait dans l’insouciance complète. On a eu beaucoup de mal à faire le deuxième. C’était horrible comme période. On a dû se forcer à finir le disque sinon le groupe allait mourir. J’ai bien conscience que ce premier disque que je viens de faire était une expérience à part. Je l’ai fait pour moi. Si je devais écrire un deuxième disque demain, il y aurait une autre ambition et une pression différente.


Antoine Wielemans
Vattetot
62TV Records