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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Photographes "musique" en 2021

Partis pour une deuxième saison avec le cache?

Didier Stiers

Ne jamais mettre tous ses oeufs dans le même panier ! Cette règle de l’indépendant, vieille comme un souvenir de concert, ils sont plus d’un à l’appliquer. Pour ces photographes de presse, les tournées et les festivals constituaient, avant la pandémie, une assurance de rentrées financières… en même temps que des lieux et des occasions où combler leur passion.

Benoît Bouchez et son objectif retrouveront-ils le chemin des festivals?

Point de chute : le frontstage, ce couloir entre scène et public, endroit de retrouvailles estivales avec les collègues dans un petit monde où (presque) toutes et tous se connaissent… mais aussi lieu de ce travail consistant à ramener (pour un journal, un magazine ou sur le net) de l’émotion et tout ce qui s’échange entre artistes et spectateurs. Un job physique également car au bout de trois, quatre ou cinq jours, « il faut toujours être aussi efficace puisque tu ne sais pas forcément quel groupe retiendra l’attention du journaliste dans son reportage ou lequel est, peut-être, celui qui va percer demain. Il faut donc ratisser large et traiter tout le monde avec la même exigence sur un laps de temps très réduit. »

 

JC Guillaume

Un matin, j’ai reçu un mail m’avertissant que ma collaboration
allait être réduite à plus ou moins trois jours par mois !

 

AC/DC par Mathieu Golinvaux. Expo en cours chez Fernand Obb à Bruxelles.
mat_book (Instagram) - mathieugolinvaux.com

C’est Jean-Christophe “JC” Guillaume qui décrit de la sorte l’un de ces métiers “périphériques” de la musique, pareillement mis à mal par les restrictions et interdictions imposées depuis plus d’un an maintenant. Photographe de presse pour La Libre et La Dernière Heure principalement, son kif est de rendre compte de la société dans laquelle il vit, aussi bordélique ou magistrale soit-elle (sic). Il raconte : « Au premier confinement, les commandes se sont effondrées. Même au sein d’un journal comme La Libre. Un matin, j’ai reçu un mail m’avertissant que ma collaboration allait être réduite à plus ou moins trois jours par mois ! Quand tu viens d’un quasi temps plein, ça fait quand même un petit peu mal ! Surtout après 10 ans de métier ! »

Roger Waters par Benoît Bouchez. Expo prévue à la Maison Culturelle de Quaregnon.
benoitbouchez.be

Rien dans les salles, pas de festivals ?

Il a fallu trouver des solutions ! Négocier, se réorganiser, voire même se repenser. « Après l’arrêt total et le stress que ça a généré, on s’est aperçu qu’il y avait encore des choses qui se passaient, dit Olivier Donnet (à qui l’on doit notamment cette série photographique au long cours intitulée One minute after et relatant l’immédiat après-concert de nombreux groupes et artistes). Une petite activité s’est poursuivie : des gens sortaient des albums, des clips… Ce qui veut dire des photos de presse, des pochettes d’albums, des captations vidéo. Plusieurs lieux, comme l’Eden par exemple, se sont mis à la disposition des artistes pour des résidences, ensuite, ils ont souhaité documenter tout ça. »

« J’ai la chance d’avoir la RTBF qui m’a proposé des piges au début de l’été 2020, explique Mathieu Golinvaux (L’Avenir,Le Soir), ce qui a pris la place des festivals. Ça n’a pas été une saison aussi bonne qu’en temps normal, mais je m’en suis quand même sorti grâce à ça. » Benoît Bouchez (Classic 21, La Dernière Heure, Moustique), qui pratique les festivals et les “gros” concerts depuis une trentaine d’années, travaille aussi pour le service “sports” d’une agence de presse. « Du jour au lendemain, plus de Formule 1, plus de 24h de Francorchamps, plus de rallyes, plus de basket, plus d’events, tout est passé à la trappe. Heureusement, j’ai pu continuer à travailler pour Pairi Daïza, où je vais faire des photos six ou sept fois par mois. »

Lana Del Rey par Jean-Christophe Guillaume.
jc_guillaume (Instagram) - jcguillaume.be
JC Guillaume

À l’origine monteuse formée à l’INSAS, Caroline Lessire a débuté comme photographe dans la musique mais elle a eu, depuis, le temps de se diversifier : « À côté de la scène, je fais aussi du documentaire, notamment. Et puis on n’est pas en train de se tourner les pouces en attendant qu’on nous appelle. J’ai fait des portraits pour des magazines, travaillé pour Wilfried, Passa Porta, là va commencer la nouvelle saison de Charleroi Danse… » Et la Namuroise qui œuvre également pour Bozar d’ajouter : « Ce qui me touche plus, psychologiquement, c’est de voir tous ces gens passionnés avec lesquels je travaille, qui se retrouvaient dans le néant du jour au lendemain. »


Mathieu Golinvaux

Du jour au lendemain, plus de Formule 1,
plus de basket, plus d’events, tout est passé à la trappe.

 

Se reconvertir ? Plus forcément nécessaire… et pas toujours aisé. « Comme je peux toucher à tout toute l’année, dit Mathieu Golinvaux, je suis moins étiqueté “photographe de festival”. Oui, j’adore ça ma première pige, c’était Dour pour Le Soir , et je le fais depuis une dizaine d’années, mais je fais le plus souvent du reportage, du portrait… » Benoît Bouchez, lui, a monté un petit studio, mais sa tasse de thé reste le terrain. JC Guillaume se verrait bien travailler sur des pochettes d’albums par exemple mais il mène aussi une activité de photographe documentaire : « La voie publique, c’est mon terrain de jeu, je ne voudrais la quitter pour rien au monde. » Olivier Bourgi, l’un des photographes attitrés de l’Eden, envisage d’ouvrir un studio chez lui : « Je le fais pour moi, histoire de voir si ça va me plaire. Mais les concerts, le théâtre, la danse, “le terrain” et l’ambiance à restituer, tout ça me manque à crever ! »

Charles Bradley par Olivier Donnet. Expo One Minute After du 7 mai au 27 août au Centre culturel de Sint-Niklaas.
Galeries : olivierdonnet (Instagram)

Tout le monde s’y met

Aujourd’hui, smartphones aidant, les réseaux sociaux sont inondés de photos de concerts pas souvent bonnes. Pour Olivier Bourgi « la presse et les organisateurs restent à l’affût de photos de qualité », il y a donc toujours une place pour les pros. Mais drôle de concurrence quand même ! « Quand Eddie Vedder est venu à Forest, raconte Benoît Bouchez, nous avions été casés au fond de la salle. Un pote qui était au deuxième rang a ramené de meilleures photos que les miennes, alors que c’est moi qui avais le matériel pro ! » Reste que les particuliers sont néanmoins encore prêts à acheter de jolis clichés aux pros, parce qu’ils cherchent un instantané particulier, qu’ils n’ont jamais vus, ou alors une photo d’un concert auquel ils ont assisté et qui les ont marqués. « L’expertise de quelqu’un dont c’est le métier et qui vit avec son appareil photo, résume JC Guillaume, qui doit concentrer mille choses dans une photo et ne peut pas se louper parce qu’un média attend beaucoup de lui, ça ne s’improvise pas ! »

Death Grips par Caroline Lessire
carolinelessirephotography (Instagram)- carolinelessire.com

Entre certains artistes soucieux jusqu’à l’extrême de leur image – tous ne sont heureusement pas comme ça – et des médias qui laissent nettement moins de place à la couverture des festivals, le constat est là : l’âge d’or de la photo de concert semble loin. « Quand The Cure est venu jouer sa trilogie à Forest National, se souvient Benoît Bouchez (le 7 novembre 2002, – ndlr), nous avons pu rester sans problème tout le temps du concert. Aujourd’hui, ce genre de chose, on peut oublier ! » D’autres sont encore surpris par le surréalisme de certains contrats. Lors de la venue d’Eminem au Pukkelpop, par exemple, en 2013… Mathieu Golinvaux : « Une heure avant le concert, nous avions rendez-vous dans un cabanon avec un monsieur fort sympathique qui a pris des photos de nos cartes d’identité, collé des stickers en plus de nos bracelets, nous a numérotés et surtout, fait signer un accord selon lequel nous allions supprimer toutes nos photos dudit concert de notre disque dur au plus tard 15 jours après le festival ! »

Antoine Hénaut par Étienne Tordoir.
etienne.tordoir (Facebook) - musicbelgiumphotos (Instagram)

Mais… rien à faire, c’est le genre de métier qu’on a dans la peau. « Ça reste une espèce de virus, commente Étienne Tordoir. Une fois qu’on met le pied à l’étrier, on a envie de continuer et ce n’est pas pour devenir riche ! » Le photographe sait de quoi il parle : lassé notamment par les contraintes de plus en plus nombreuses, il s’était tourné vers la mode au début des années 90 alors qu’il arpentait les salles de concert depuis 1979. Il y a deux ans, il est pourtant revenu à ses premières amours. « Je me suis dit que ça pouvait être une bonne idée de re-photographier tous ces artistes des années 80, du moins ceux encore vivants et sur scène, pour éventuellement mener à bien un projet… C’est comme ça que j’ai commencé à publier, notamment une photo de Gabi Delgado dans Libé (la moitié de DAF, il est décédé le 22 mars 2020, – ndlr). Puis, au premier “déconfinement”, comme c’était une période tellement inhabituelle, unique en tout cas dans ma vie, j’ai voulu montrer la résilience des artistes, des lieux de concerts… »

Roméo Elvis par Olivier Bourgi.
olivierbourgiphotography (Instagram) - olivierbourgi.com

Pour Caroline Lessire, dans la musique, il y a des connexions qui se créent : « Des choses qui se passent, sur scène ou avec les gens. Une énergie, des regards qui n’existent qu’à ce moment-là et puis qui disparaissent. Avec mon appareil, je sens que j’appartiens à cela et je veux en rendre compte. »

Vous avez dit passion ?