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par le Conseil de la Musique

Nicolas Michaux

À la vie, À l'amour

Nicolas Alsteen

Exilé sur une île réputée pour la saveur de ses pommes de terre, Nicolas Michaux cultive ses mélodies au grand air. C’est là, sous le ciel danois, que l’artiste a confectionné Amour Colère, un deuxième album partagé entre guitares et synthés, chanson française et pop indé. Sous des couplets colorés et quelques refrains décontractés, le chanteur agite les consciences et ouvre son cœur. Bienvenu dans la peau d’un meneur.

Nicolas Michaux, en exil volontaire au Danemark

Toujours en mouvement, Nicolas Michaux débarque sur le pavé bruxellois avec son vélo à la main. Un nouvel album sous le coude, le chanteur s’apprête à quitter la Belgique pour rejoindre sa famille. Car, désormais, l’homme pressé partage sa vie entre deux pays. Celui du surréalisme et celui où sa fille a vu le jour. « Mon premier album est sorti en avril 2016. Ma petite est née le mois suivant au Danemark, retrace-t-il. Ma compagne souhaitait accoucher dans son pays d’origine. Où chaque maman bénéficie d’un an de congés payés. Pour moi, cette décision n’était pas simple. D’un côté, il y avait l’équilibre familial et de l’autre, la musique. Par la force des choses, j’ai dû trouver un compromis. » Ce terrain d’entente, c’est l’île de Samsø, un havre de paix situé au large de la ville d’Aarhus. « L’arrivée du bébé a changé ma vie. Quand il s’agit de boire des cannettes au bord des étangs de Flagey, je suis à l’aise. Mais une fois que les responsabilités se pointent, d’autres questions se posent : où l’enfant va-t-il grandir ? Avec quel argent ? Dans quelle maison ? Je n’avais rien anticipé. J’ai été pris à la gorge par ces interrogations qui, aujourd’hui, se retrouvent en filigrane du deuxième album. » Baptisé Amour Colère, celui-ci s’est dessiné dans les décors verdoyants de Samsø. « Nous y avons acheté une fermette. Comme il y a très peu de jobs disponibles sur l’île, les prix de l’immobilier sont au plus bas. » C’est donc là, loin de tout, que l’artiste pose les jalons de ses nouvelles compositions. Dès les premiers jours, il signe Nos Retrouvailles, une chanson d’amour qui s’enracine entre le réel et l’au-delà, la Belgique et le Danemark. « Là-bas, je comprends d’autant mieux la position de “l’étranger”. Quand tous les gens parlent danois autour de moi, il m’arrive de me sentir exclu. J’éprouve beaucoup de difficultés à me connecter avec les agriculteurs locaux, par exemple. Pour eux, je suis l’ovni du village, le mec étrange. »

Taillé dans le rock

Quatre ans après À la vie À la mort, Nicolas Michaux sort Amour Colère. D’un titre à l’autre, les mots se confrontent et les extrêmes s’opposent. Comme chez Leonard Cohen (New Skin for the Old Ceremony), cette polarité sert plusieurs questions existentielles et quelques fables à vocation universelle. « Certains morceaux se rattachent aux joies de la paternité. Mais il y a aussi des titres qui se heurtent de plein fouet à la réalité du monde : guerres, montée des extrêmes et multiplication des crises – économiques, climatiques ou sanitaires – affectent mon quotidien. Pendant l’enregistrement, j’étais partagé entre de grands flux romantiques et d’incroyables montées de colère.»

En 2016, de nombreux médias rangent hâtivement la musique de Nicolas Michaux sous l’étiquette « chanson française ». Rejetant les entreprises de classification, l’artiste brouille à présent les pistes avec délectation. Animé par un indomptable désir d’émancipation, l’expatrié fait ce qui lui plaît, chantant en anglais ou en français. Qu’importe les genres pourvu que ce soit fait avec style. « Je n’ai jamais été Albin De La Simone ou Dominique A, dit-il. Ma musique vient du rock. J’ai appris à jouer de la guitare sur des reprises des Rolling Stones ou des Beatles. Même si j’adore Jacques Brel, Léo Ferré ou Barbara, je n’appartiens pas à cette famille-là. Moi, j’aime les références post-sixties et la pop alternative. » Quelque part entre le romantisme pastoral d’Andy Shauf (À Nouveau), l’élégance synthétique de Jaakko Eino Kalevi (Enemies) et le cool d’un Mac DeMarco (Amour Colère), le nouveau Nicolas Michaux se profile désormais comme le tenant d’un rock indépendant dopé au français.
 

Nicolas MichauxPour eux, je suis l’ovni du village, le mec étrange.


Capitane flamme

Pour concevoir Amour Colère, le patron s’est débrouillé tout seul. À l’exception de la batterie – confiée au fidèle Morgan Vigilante–, l’album est écrit, composé, joué et produit par le chanteur. « C’était un défi personnel. Maintenant, j’ai l’impression d’être arrivé au bout d’un truc. La prochaine étape sera forcément une aventure collective. » Pour ça, Nicolas Michaux peut compter sur les Soldiers of Love. Monté pour l’épauler sur scène, ce groupe est devenu une entité à part entière. « Quand je joue sous mon nom, les Soldiers of Love m’accompagnent. Dans tous les autres cas, je fais partie du groupe. Au même titre que le bassiste Ted Clark, le guitariste Clément Nourry (Under The Reefs Orchestra), Antoine Bonan (Great Mountain Fire) ou mon batteur. À terme, nous souhaitons faire un disque ensemble. » La vie de cette nouvelle formation s’accompagne également de la construction d’une maison… de disques. Comme les Dap-Kings chez Daptones, les Soldiers of Love endossent ainsi la fonction d’orchestre « résident » du label Capitane Records. « En créant cette structure, j’ai vu l’opportunité de faire vivre une communauté, révèle Nicolas Michaux. Comment faire pour que notre batteur ne soit pas seulement employé chez un brasseur ? Comment faire pour que l’Américain Turner Cody ne soit plus livreur de pizzas mais juste chanteur ? Capitane Records est parti de ces questions et de l’envie de communiquer sur nos productions. »

Extension rébellion

D’un bout à l’autre, les mélodies d’Amour Colère caressent l’oreille avec tendresse. Les textes des chansons, en revanche, se montrent bien moins tendres, attisant régulièrement un élan de contestation. « C’est l’essence de mon travail, s’enthousiasme Nicolas Michaux. Quel serait l’intérêt des répertoires de John Lennon ou Bob Marley sans ancrage dans la société ? Ma grand-mère était communiste. Quand j’écris, je m’inscris dans le prolongement de cette tradition. » Sur ce, le morceau Enemies s’en prend au marché de l’emploi. « En 2020, les gens recherchent du sens dans leur travail. Ils ne veulent plus être malheureux ou exercer des métiers contraires au bon fonctionnement de la société. Produire de la merde pour le capital, c’est terminé ! » Entre optimisme débordant et exaspérations intenses, Nicolas Michaux confronte ses espoirs à ses angoisses. Sans détour, il confesse d’ailleurs sa peur de mourir dans une chanson terriblement sincère. Cancer est un aveu. « Je n’avais jamais écrit un morceau aussi direct que celui-là. La maladie a emporté deux de mes amis. Nous y sommes tous confrontés. Tout le monde vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mais l’arme semble encore plus tranchante quand on mène une vie de rockeur… »

Il y a quelques années, Nicolas Michaux fredonnait le refrain de Croire en ma chance. Sur son deuxième essai, il s’offre Une seconde chance. « L’envie de réussir est toujours là, explique-t-il. Mais je suis moins naïf qu’autrefois. Aujourd’hui, mon plan de carrière est raisonné et réaliste. Je ne serai jamais célèbre ni “bankable”. Je vais juste faire mon métier et continuer de produire des disques. » Ce qui, en soi, n’a pas de prix.


Nicolas Michaux
Amour Colère
Capitane Records