La Chiva Gantiva
Egotronique
Le plus colombien des groupes bruxellois relance sa machine à danser. Sept ans après son dernier passage en studio, le collectif s’abreuve à la source de l’actualité pour esquisser Ego, un album pétri de revendications sociales et de pulsations électro. Sous un ciel assombri par les crises et les conflits, La Chiva Gantiva traque la vanité et les mauvais esprits avec une avalanche de nouveaux sons… et un supplément de bon sens.
À l’intersection des cultures et des traditions, La Chiva Gantiva infuse sa cumbia originelle d’influences piochées dans l’afrobeat, le funk et les musiques latines. À l’heure du quatrième album, le quintet bruxellois se renouvelle au contact du trip-hop, du dub et d’envies électroniques. Escorté d’alliés et de chants partisans – ceux de Cienfue, de Natalia Doco, de Guadalupe Giraldo Hincapié ou de Natalia Gantiva –, La Chiva donne de la voix et danse désormais le poing levé. Engagé comme jamais, uni autour de véritables déclarations d’intention (Vibration is life, Fuego ou Mugre), le groupe met son expérience à profit.
Le nouvel album s’appelle Ego. À quoi ce titre fait-il référence?
Rafael Espinel (guitare, voix, percussions) : À la fin des sessions d’enregistrement, nous avons remarqué que plusieurs textes parlaient d’égoïsme, d’autocentrisme et d’une conscience de soi exacerbée. Ce sujet revient tout au long du disque, notamment dans des chansons comme Bombón ou Tiene hambre. Notre inspiration tient au moment présent. Nous sommes le miroir de l’époque dans laquelle nous vivons. Aujourd’hui, l’égo pullule sur les réseaux sociaux, dans la politique et les médias. Du “starter pack” aux photos “façon Ghibli”, ça déborde de partout. Tout le monde veut son “quart d’heure de célébrité”, comme disait Warhol.
Ego se double donc d’une critique sociale?
Bien sûr. Je le vois comme une prise de conscience. Mais notre engagement se situe du côté artistique de la force. La Chiva Gantiva réagit avec ses moyens, via la musique. Nous n’avons pas la prétention de sauver la planète. En tout cas, ce n’est pas ce qui est prévu…
Dans l’imaginaire collectif, votre esthétique musicale s’accompagne d’airs festifs et de couleurs vives. Avec Ego, La Chiva Gantiva s’écarte sensiblement de cette image. Comment expliquer ce changement de paradigme?
En comparaison avec nos anciens albums, la tonalité est effectivement plus sombre et introspective. C’est une réaction aux réalités politiques et socio-économiques du moment. Chaque jour, les perspectives s’assombrissent. Dans ce contexte, je nous voyais mal chanter que “la vie est belle”. L’album s’achève avec Yo vuelo al revés. Il s’agit d’un morceau écrit au printemps 2021, durant les grandes manifestations en Colombie. Pendant plusieurs mois, le peuple s’est soulevé contre la réforme fiscale décidée par le président Iván Duque. Via ses mesures, celui-ci s’en prenait à la culture, à l’enseignement, au secteur public, sans oublier des coupes budgétaires dans les programmes sociaux… Les gens sont descendus dans la rue. Il y a eu des émeutes partout, de Cali à Bogota. La répression a été d’une violence inouïe. Durant cette période, plusieurs artistes ont été abattus froidement. Parce qu’ils avaient osé écrire, peindre, dessiner ou chanter les errements du gouvernement. Mais d’autres sont venus donner de la voix, exprimer leurs émotions, chanter plus fort encore. Yo vuelo al revés évoque cette capacité de résilience. Il y a aussi des parallèles évidents à faire entre la situation traversée par la Colombie en 2021 et celle que connaît actuellement la Belgique, avec les attaques incessantes de certaines figures politiques à l’encontre des enseignants, des travailleurs sociaux et de la culture dans son ensemble.
Votre nouvelle tournée commence à Bruxelles, avant de prendre un tournant international, avec des dates en Malaisie ou dans les plus grands festivals d’été du Canada. Comment La Chiva Gantiva s’est-elle invitée sur ces territoires?
À force de jouer des concerts, les gens nous remarquent. Cela fait une quinzaine d’années que nous sommes sur la route. Nous nous sommes produits sur tous les continents. La Chiva Gantiva a joué en Afrique, en Asie, en Russie et aux États-Unis. En Ukraine, en Turquie, en Nouvelle-Zélande, en Australie, partout en Europe et en Amérique du Sud. Dans certains pays, comme en France, aux Pays-Bas, en Espagne ou au Portugal, nous avons des agences qui nous trouvent des dates. Pour le reste du monde, notre manageuse fait un boulot exceptionnel. C’est ma sœur, Maria Clara, qui tient ce rôle. Elle est organisée, hyper forte dans la communication et le relationnel. La tournée au Canada, c’est grâce à elle. Cet été, nous joueront notamment au Festival d’été de Québec aux côtés des Pixies, d’Aliocha Schneider, Sean Paul, Thundercat ou Slayer. C’est fou. Nous sommes aussi programmés au Winnipeg Folk Festival avec The Cat Empire, Gillian Welsh ou Leyla McCalla.
La Chiva Gantiva tourne intensément depuis 2010. Quinze ans plus tard, le groupe est toujours là. C’était le plan de vol prévu?
J’ai toujours envisagé ce groupe comme un projet sur le long terme. Le fait d’avoir formé un groupe parallèle (Steffig Raff, – ndlr) m’a aussi permis de réaliser à quel point La Chiva Gantiva était essentiel, pour moi mais aussi pour les autres. Au fil des années, de nombreuses personnes ont participé à l’aventure. La Chiva, c’est une école, un incubateur de talents. Le batteur Martin Méreau, par exemple, a tenu les baguettes pendant dix ans chez nous, avant de lancer ECHT! avec le guitariste Florent Jeunieaux – qui, lui aussi, a joué avec La Chiva. Plus de vingt personnes ont écrit l’histoire de ce projet et, d’une façon ou d’une autre, elles feront toujours partie de l’équipe.
En quinze ans de carrière, y a-t-il des moments qui comptent plus que d’autres?
En 2014, nous étions sur la scène principale du festival Jazz à Vienne, programmés juste avant Robert Plant et Quincy Jones. À un moment, nous avons joué La Pecosa, une chanson qui parle de football. Et là, sans qu’on ne demande rien à personne, le public s’est mis à faire une ola. Des milliers de personnes faisaient des vagues dans un théâtre antique. La vidéo de ce concert traîne encore sur YouTube. Aujourd’hui encore, ça nous rend heureux de la regarder. Et puis, dans les moments magiques, il y a des rencontres inoubliables. Là, je pense notamment à un long moment passé dans les loges en compagnie d’Iggy Pop ou à un pilon de poulet partagé avec Damian Marley. Lors de notre premier passage au Festival d’été de Québec, nous avons passé un bout de l’après-midi avec les Foo Fighters, avant de terminer la soirée avec Primus dans les coulisses. Ça nous fait quelques bons souvenirs.
Par le passé, certains médias internationaux ont utilisé le terme “Punklore” pour évoquer votre musique. Cette contraction desmots punk et folklore est-elle toujours pertinente pour parler de vos chansons?
Dans un sens, cette désignation trouve encore du sens. Mais elle n’est plus suffisante pour circonscrire l’ensemble de notre univers. Nous avons développé de nouvelles palettes sonores. Notre répertoire s’est développé au contact de l’électro, du dub, du trip-hop, de la pop, de l’afrobeat et du tropicalisme. Nos paroles ont pris de l’ampleur aussi. Globalement, notre musique est bien plus réfléchie qu’autrefois. Elle vient appuyer un discours et ouvrir quelques pistes de réflexion.
Ego
Autoproduction
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La Chiva Gantiva - Yo Vuelo Al Revés (Live Video)