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par le Conseil de la Musique

Françoiz Breut

À la recherche du vivant

Diane Theunissen

Avec son dernier opus : Vif !, Françoiz Breut revient à l’essentiel et nous offre des chansons terreuses et boisées, nichées entre lichen et rosée.

« Je parle de la nature comme refuge, pour pouvoir continuer à respirer », nous glisse Françoiz Breut. Une petite dizaine d’albums au compteur – dont Flux Flou de la Foule sorti en 2021 – la Bruxelloise d’adoption marque une nouvelle étape dans son chemin musical avec Vif !, une collection de douze titres qui, sans filtre ni artifice, rendent hommage à la nature et au monde végétal. Des chansons en français – au lyrisme poétique, engagé et nécessaire – qui, entre orages et éclaircies, mettent en lumière les multiples réflexions de l’artiste : entre la force du monde souterrain, la beauté de l’existence éphémère, la tragique errance urbaine et l’époustouflante puissance des arbres, les idées fusent et prennent racine. En toute spontanéité.
 

Françoiz Breut
J’ai essayé de retrouver des sensations d’enfance, de vie,
et de les trouver dans la nature.


Au travers d’arrangements mi-organiques mi-électroniques confectionnés en collaboration avec Marc Melià, François Schulz et Roméo Poirier, l’autrice-compositrice-interprète reconnecte à la terre et au vivant, et nous fait les plus belles déclarations. Un nouveau souffle qui fait du bien.

Tout le long du disque, vous créez un lien avec le réel, le vivant. Peut-on parler d’un album-concept ?
On peut dire que c’est un album-concept, oui. J’ai eu besoin de me concentrer sur quelque chose après la période Covid et cette ambiance de morts, de bouleversements du monde. Je me suis dit « pourquoi ne pas aller retrouver tout ce qui vit autour de nous ? ». 
Ce n’est pas facile de chanter que le monde va mal : le chant, c’est souvent lié à la joie. J’ai essayé de retrouver des sensations d’enfance, de vie, et de les trouver dans la nature, entre autres.

Avez-vous eu l’occasion de vous immerger dans la nature pour écrire ce disque ?
Un peu… mais je l’ai beaucoup fait en imagination. J’ai récemment acheté un petit bois dans lequel je suis allée, quelques fois. Au début, je me disais « moi, la citadine entourée de béton, qu’est-ce que je vais pouvoir trouver là ? Je vais certainement trouver quelque chose et me concentrer sur autre chose que tout ce qui s’écroule autour de nous ». C’est joyeux tout ça, non ? (rires)

Ce retour à l’essentiel se reflète-t-il aussi dans les arrangements musicaux ?
Tout à fait. Idéalement, si je pouvais ne plus utiliser la technologie dans la musique, je le ferais. Mais je suis obligée de passer par-là. J’aurais pu faire un album a capella, sans personne autour de moi. Mais le travail de la musique, je le fais, depuis toujours, accompagnée de beaucoup de musiciens et de musiciennes. Le disque précédent, Flux Flou de la Foule, a été terminé pendant le Covid puis peaufiné par Marc Melià, le claviériste du groupe. Avec Marc, François et Roméo, on formait une super équipe et on avait envie de continuer à travailler ensemble. J’ai donc proposé qu’on se retrouve tous et qu’on se mette dans une pièce. Ce n’est pas très original, c’est ce qu’on faisait tous avant (rires). Mais je voulais retrouver ce côté organique plutôt que de travailler à distance en s’envoyant des fichiers. C’était compliqué, tout le monde avait ses propres projets donc il fallait trouver du temps pour se réunir. Mais on a réussi à le faire et on voulait avoir le moins d’instruments possible : chacun s’est concentré sur un ou deux instruments. Je venais parfois avec des bouts de mélodie, et parfois on commençait tous ensemble, avec de l’improvisation.
 

Françoiz Breut
C’est une chose essentielle si on veut pouvoir continuer à vivre:
la nature doit être de plus en plus présente.


L’appel du cœur, l’instinct et l’expérimentation semblent inhérents au projet, tant pour vous que pour les personnes qui vous accompagnent.
La musique, c’est de la magie : il faut que tout le monde s’entende et puisse apporter sa sensibilité. C’est très beau de nous voir nous entendre tous et toutes ensemble au niveau musical et de parvenir à échanger. C’est quelque chose que j’adore dans la musique et ce pour quoi je continue à travailler. Je ne me suis jamais formée à travailler seule avec un ordinateur : ce qui me plaît, ce sont ces échanges. Le fait de voir que toutes ces choses se construisent petit à petit, parce qu’on se fait confiance. La confiance, c’est hyper important : voir ce que l’autre va proposer, puis si on n’est pas convaincu, parvenir à changer de point de vue, se dire “a priori je n’aurais pas vu les choses comme ça mais, en fait, pourquoi pas”. Et finalement, ça fonctionne et on finit par aimer. Ça, j’adore !

Sur le morceau Dancing Frénétique, vous mettez en évidence la nécessité de s’exprimer par le corps. Est-ce quelque chose que vous parvenez à faire avec votre musique ?
Ce qui est certain, c’est que je m’exprime plus avec le corps qu’au début. Quand j’ai commencé, je n’avais pas prévu de monter sur une scène ; je me suis retrouvée comme un poteau à accompagner mon amoureux de l’époque (rires). J’aimais interpréter mais j’étais plus dans la voix, moins dans le corps. Je le fais beaucoup plus. Maintenant : je danse, même s’il n’y a pas de chorégraphie prévue. C’est quelque chose que je fais avec beaucoup de plaisir. Ce n’est pas travaillé, c’est complètement instinctif.

Cela signifie peut-être que votre musique vous permet d’être complètement vous-même, à l’aise et authentique ?
Oui. Je suis à l’aise, mais ce n’est jamais gagné. À un moment, avant de jouer avec Marc Melià, j’avais un petit clavier sur scène. Je bricolais sur un clavier un peu daté et en côtoyant de super musiciens, je me suis dit « bon, je vais les laisser jouer » (rires). 
Je suis désormais plus concentrée sur ma voix, sur mon corps, et j’ai abandonné un instrument que je commençais vaguement à apprivoiser. Ce que j’aime dans les concerts, c’est qu’on ne sait jamais vraiment ce qui va se passer même si on a un canevas, une set list. Il y a toujours des imprévus : un concert n’est pas l’autre et c’est ça qui est chouette.

Il y a trois ans, vous sortiez l’album Flux Flou de la Foule. Quelle était votre dynamique de travail, à l’époque ?
C’était des prises de décision très collectives. Discuter avec tout le monde et réussir à trouver un accord sur comment fonctionner, c’est super. Parvenir à faire quelque chose de différent, de travailler de manière différente. Le contexte du Covid a été particulier pour tout le monde : on a du donner tout le matériel à Marc alors qu’on aurait voulu travailler ensemble. On a travaillé chacun de notre côté, mais ce n’est pas la même chose que de tout partager et de se voir en direct. Le processus de création de Flux Flou de la Foule a été plus long : il y a un membre du groupe qui est parti, au début on n’avait pas de label, après le label nous a donné de l’argent, etc. Il y a eu plein de changements. Au début, on s’est vus physiquement. Mais après, on a été obligés de se partager les tâches et de travailler chacun de notre côté – sauf les prises voix, que je faisais toujours avec Marc ou François. Pour ce disque-ci, on s’est vus dans plusieurs endroits pour répéter tous ensemble, faire évoluer les morceaux tous ensemble. C’est sans doute la plus grande différence.

Quels sont les éléments caractéristiques de Vif !, au niveau des sonorités ?
La basse de François Schulz est très présente, c’est une basse très organique. Ensuite, on a toutes nos influences musicales : 
Roméo Poirier développe son projet de musique électronique dans lequel il travaille beaucoup les textures, c’est très abstrait. Il y a moins de mélodies, il travaille vraiment la matière du son, qui est super belle. Il y a le travail de Marc Melià, aussi, qui travaille avec ses deux synthétiseurs, notamment le Prophet. C’est un son très caractéristique et, en même-temps, il peut avoir un côté très classique dans sa façon d’utiliser les pianos et les claviers. Et puis, il y a la patte de François Schulz, qui faisait partie du groupe Hoquets avec McCloud, le prince sans carnaval, qui chante sur le morceau Lichen. Il y a dix ans, ils ont fait un concept-album que j’ai adoré, des chansons assez caricaturales sur tout ce qui peut se passer de surréaliste en Belgique. François, lui, il est multi-instrumentiste : il bricole des instruments, des percussions, il a plus ce côté organique et bricolé que Roméo et Marc, qui sont plus dans les machines. Ils se complètent très bien, tous les trois.

Et vous, quelles sont vos influences ?
Moi, j’ai une très, très longue liste d’influences (rires). Là, comme ça, je pense à trois groupes de filles : Warpaint, Electrelane – un peu plus rock –, et puis Bas Jan, un groupe plus récent dans lequel joue une harpiste incroyable, Serafina Steer. Notre playlist de base de travail, elle part dans tous les sens : il peut y avoir de la soul, de la musique concrète, de la musique électronique, toutes sortes de choses.

Les mots jouent un rôle essentiel dans votre travail musical : vos paroles sont vivantes, d’une richesse inouïe. D’où vient ce goût pour l’écriture ?
Je lis énormément. Quand je veux développer une thématique, je peux lire n’importe quel roman – que ce soit de la fiction ou des essais de sociologie –, je tombe sur un mot qui va m’amener vers quelque chose. Juste un mot, un petit mot. Ça résonne et ça enclenche le processus : je me dis « ah ouais, je pourrais parler de ça ». Je vole un petit mot et le texte grossit de cette manière-là. Ectoplasme, par exemple, c’est un mot qui m’intéressait, même si je ne savais pas exactement ce que c’était. Pour moi ça évoquait le vide, l’absence, et c’est comme ça que j’ai commencé à écrire ce morceau. Après avoir écrit ce titre-là, j’ai lu un bouquin d’Hélène Frédérick que j’ai adoré, La poupée de Kokoschka. Oskar Kokoschka, c’est un peintre expressionniste qui était amoureux d’Alma Mahler, qui avait été la femme de Gustav Malher. C’était pendant la première guerre mondiale. Kokoschka ne la voyait quasiment pas, Alma Malher, et comme il était vraiment épris d’elle, il avait demandé à une couturière de fabriquer une poupée à son effigie. Ce livre, c’est l’histoire de la couturière et de son lien avec le peintre, qui lui dit toutes les matières qu’elle pourrait utiliser pour faire la poupée. C’est super beau, ça parle de l’absence de l’être aimé. Je l’ai lu après avoir terminé ma chanson mais ça m’y a fait penser. Je fais des parallèles, ça me permet de donner du corps au morceau (…) La liste de tous les bouquins que j’ai lus pendant la création de ce disque-là, elle est bien longue. Il y a Walden de Henry David Thoreau, qui est un des premiers écologistes qui, dans les années 1850, est parti dans le fin fond des États-Unis et s’est installé dans une cabane. Il a vécu dans sa cabane, et s’est dit que c’était possible. Dans ce livre, il décrit la nature, il explique comment l’humain peut vivre avec ce qui l’entoure. C’est une référence pour les écologistes.

Sur Vif !, vous abordez des thématiques importantes comme l’humusation et la bétonnisation. Est-ce que le fait de parler d’écologie fait de ce disque un projet politique ?
Oui, je pense. Cela dit, je me demande si les gens écoutent vraiment les paroles, en fait (rires). Je ne suis pas en train de lever mon point mais je trouve que ce sont des sujets qui sont hyper importants. Je parle de l’humusation dans Ode aux vers, je parle de la pollution des sols à cause des pratiques funéraires, etc. Le message n’est pas très clair quand on écoute le morceau comme ça, mais c’est de ça que j’ai voulu parler, de manière poétique : le retour au corps, le moment où le corps du défunt retourne à la terre et qu’il puisse nourrir la terre plutôt que de la polluer. Je ne sais pas si ça peut servir à quelque chose, si les gens vont écouter le disque de cette manière-là, mais moi, j’avais envie de l’écrire comme ça. Ce ne sont pas des petites chansons légères (…) Il y a aussi l’histoire de Crever l’Asphalte sur l’importance de la vie des sous-sols, de la force de la nature. Si les sous-sols sont en bonne santé, la vie au-dessus sera meilleure. Ce morceau-là, il souligne aussi l’importance de la nature dans la ville, pour que l’on puisse respirer. À l’époque, tout un tas d’associations s’étaient mises ensemble pour arrêter la coupe des arbres de l’Avenue du Port où toute une ligne de platanes allaient être abattus sous prétexte que ça faisait trop de racines sous les pistes cyclables. Elles ont réussi à protéger les arbres, qui sont toujours là aujourd’hui. La bétonnisation de la ville, c’est de pire en pire. Alors que c’est une chose essentielle si on veut pouvoir continuer à vivre : la nature doit être de plus en plus présente.

Vos paroles sont très poétiques, pleines d’images et de métaphores qui laissent libre court à l’imagination de toustes. Est-ce une volonté d’offrir une grille de lecture aussi large à votre public ?
Je ne calcule pas ce genre de choses : je sais que c’est ce qu’il se passe. Le propre de la chanson, c’est que tout le monde peut se l’approprier et se faire sa propre histoire. J’ai toujours été consciente de ça et c’est ce que j’adore : je vais parler de quelque chose mais une personne va me parler d’autre chose. Et il va y avoir un dialogue entre nous. Je trouve ça super intéressant !

En plus de faire de la musique, vous travaillez comme illustratrice. Comment combinez-vous ces deux disciplines ?
L’illustration, c’est mon premier mode d’expression. J’ai fait les beaux-arts, des livres pour enfants, des pochettes de disque, etc. En parallèle des chansons, je fais toujours des expos. Quand je travaille sur les morceaux, le fait de faire des illustrations en même temps sur le sujet ça m’aide aussi à aller au creux de la chanson, et au creux des images que je vais décrire. J’ai beaucoup dessiné pendant la confection de ce disque, peut-être encore plus que pour l’autre. Là, j’ai travaillé sur des pochettes de disque pour Avalanche Kaito. Je trouve ça super intéressant, de rentrer dans l’univers d’un groupe. Je l’ai fait plusieurs fois, c’est quelque chose que j’adore.

Françoiz Breut
Vif !
62 records