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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Damien Chierici

Entre débrouille et violon

Diane Theunissen

Violoniste depuis ses plus jeunes années, Damien Chierici collectionne les projets musicaux comme des petits joyaux : entre Dan San, Kowari, DUPLEX, Yule, ARDENT et 100 VOLTAS, cette figure de proue de la scène alternative liégeoise explore, découvre et affine sa pratique pour jouer encore et encore, en bonne compagnie et toujours plus fort. Quelques jours après le premier concert de son tout nouveau band OOOTOKO, il nous a donné rendez-vous pour papoter musique autour d’une eau pétillante citronnée. Vous pouvez nous croire, ce gars-là a un paquet de choses à raconter.

Passion violon

« Ma première prof de violon a dit que je ne saurais jamais en jouer », nous confie Damien Chierici le regard espiègle, attablé à la terrasse ensoleillée d’un café bruxellois. « J’étais à l’Académie Grétry, j’étais tout petit et j’avais des problèmes psychomoteurs. Elle a dit à mes parents “ça ne sert à rien, rangez le violon, qu’il fasse des percussions !” ». Tenace et déjà passionné, Damien n’a évidemment rien lâché : quelques années plus tard, il remet le pied à l’étrier avec, comme professeure, une amie de la famille. « Je me souviens qu’elle avait deux chiens. Comme j’adorais les animaux, j’étais tout content d’aller suivre mes cours chez elle : je voyais les chiens et en même temps j’apprenais le solfège et mes premières mélodies », ajoute-t-il.
 

Damien Chierici
Je me nourris énormément des rencontres avec les gens.


Jeune adolescent, il fait la rencontre du violoniste Gilbert Theys, qui devient son mentor attitré : « Je l’ai un peu pris comme un grand-père de substitution. Il était très exigeant, il me disait : “Un cheveu trop haut ! Un cheveu trop bas !”. Mais il était passionné, donc ça m’a passionné », se remémore-t-il. Pendant plusieurs années, Damien entraîne son oreille et développe une connaissance accrue de l’instrument, tout en nourrissant une certaine passion pour l’expérimentation : inspiré par le violoniste Didier Lockwood, il se met à trafiquer son violon pour en faire un outil multifonctions. «J’ai demandé à mes parents pour avoir des pédales d’effets, un micro sur mon violon, un violon électrique, etc. J’essayais de faire autre chose, en fait », explique-t-il.

La collaboration, maître-mot d’un artiste en constante évolution

C’est en intégrant des groupes de rock que Damien a su attiser sa soif d’expérimentation, renforçant ainsi son approche alternative du violon. Il explique : « Assez vite, j’ai voulu faire de la musique avec des amis. Je me suis construit comme ça : j’avais l’oreille, j’entendais un truc à la radio, j’essayais de le rejouer avec mon violon. Puis je suis arrivé en secondaire et directement, j’ai formé des groupes avec des copains pour participer aux fêtes de la musique de l’école ». À l’adolescence, le Collège Saint-Barthélémy devient son terrain de jeu : tandis qu’il développe son premier groupe Yew avec des potes de classe, il se lie d’amitié avec les chanteurs d’une toute nouvelle formation nommée Dan San. « Un jour, ils m’ont dit : “Tiens, tu ne voudrais pas mettre un violon sur les morceaux ?”, et j’ai rejoint le groupe comme ça. »

Tandis que Yew écume les concerts et que Dan San se dresse comme nouvelle sensation pop-folk, Damien fait la connaissance des membres de My Little Cheap Dictaphone. « Ils m’avaient demandé de réarranger leurs morceaux pour qu’un quatuor à cordes puisse tourner avec eux. Assez vite, ils m’ont proposé de les rejoindre sur scène. » Une opportunité fracassante qui lui permet encore une fois d’honorer sa passion pour les pédales d’effets, véritable empreinte musicale de l’artiste. « Je mettais des pédales d’effets pour me dédoubler, faire en même temps le violoncelle, mettre des graves, etc. Une année, on tournait au Canada avec My Little Cheap Dictaphone et on est allé jusqu’à New York pour acheter une certaine pédale qui n’était vendue que là-bas. Je suis revenu avec elle. Maintenant, c’est Didier Laloy qui l’utilise sur son accordéon ! », dit-il en se marrant.

Plongeon dans la musique traditionnelle avec Yule et 100 Voltas

À partir de ce moment-là, Damien ne vit que pour la musique : en plus de son implication au sein de Yew, My Little Cheap Dictaphone et Dan San, il commence à collaborer avec le musicien irlandais Glen Hansard. « ll venait tourner en Europe et avait besoin de cordes. Le Botanique m’a contacté pour que je mette en place un quatuor à cordes. Je n’ai pas pu faire la première date mais, par contre, après j’ai fait une tournée en Allemagne avec lui. Là, ça a été la révélation », glisse Damien. « On ne se connaissait pas, on ne parlait pas la même langue, mais ça a “matché”. »

En 2018, Damien se met à jouer aux côtés de son ami Didier Laloy. Ensemble, ils développent le duo DUPLEX, et rejoignent Yule. « Didier m’a dit : “dans le groupe, il y a un Irlandais, une Écossaise, une Galicienne et une Bretonne, et on est trois musiciens belges” », explique Damien d’un ton rieur. « C’est une rencontre de plein de musiques différentes : à la base, c’était plutôt de la musique celtique et puis chacun est arrivé avec des chansons de son propre pays. » Un melting pot d’influences qui a permis à l’artiste de découvrir les richesses de la musique traditionnelle. « Ce qui est beau, c’est cette envie de transmettre et de vouloir sauvegarder un patrimoine. Je trouve ça super de pouvoir faire ça en musique, c’est enrichissant. Musicalement, on apprend aussi énormément », dit-il à propos de 100 Voltas, le groupe de musique galicienne qu’il a rejoint l’année dernière et qui défendait, cet été, son premier disque en live. Une expérience qui restera gravée dans le cœur de Damien : « Ce que j’ai adoré, c’était les après-concerts. C’est un pays de tradition orale : tous les soirs, dans les cafés, les gens sortent leurs percussions et se mettent à chanter et à danser.
Il y a toutes les générations : ça va du mec de 20 ans à la grand-mère de 80. Quand tu vis ça, tu rejoues différemment les morceaux après. Tu prends conscience de la notion de transmission »,
confesse-t-il.

Musique de film et engagement social

Si la musique traditionnelle le touche au plus profond, il en va de même pour la musique de film : entre la composition du générique de la série Pandore et de celui du court-métrage Underdogs, Damien a eu plusieurs occasions de se donner à cette nouvelle passion. Évidemment, ça ne vient pas de nulle part : la musique de film, c’est aussi le dada de KOWARI, le duo électro-classique qu’il forme avec son acolyte Louan Kempenaers. « Notre rêve, ce serait vraiment de composer une BO de A à Z », confie Damien. Actif depuis 2022, KOWARI a su se démarquer en faisant une quarantaine de dates dès sa première année d’existence. « Un nouvel album arrive. On le présentera au printemps prochain à l’Ancienne Belgique ».

En attendant, Louan et Damien bossent d’arrache-pied sur un nouveau projet : ARDENT, un spectacle sur l’effondrement de l’industrie sidérurgique à Liège. « On a récupéré 40 heures d’archives de la Sonuma et on a remonté un spectacle d’une heure », explique-t-il. Pour ce projet, le duo a fait appel à l’auteur et comédien Merlin Vervaet, à qui ils ont confié l’écriture d’un texte en se basant sur le témoignage d’anciens travailleurs de la sidérurgie. « C’est vraiment un devoir de mémoire, aussi », ajoute Damien. Avec ARDENT, Damien et Louan donneront en février une série de concerts pédagogiques KOWARI + Orchestre. Au menu : les morceaux du duo réarrangés par Dirk Brossé pour l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège. On a connu pire.

OOOTOKO, la consécration

Force est de constater l’éclectisme musical qui émane du parcours de Damien. Son dernier projet en date, c’est OOOTOKO : des morceaux intimes et grandioses, composés et arrangés par ses soins, joués par dix-neuf musiciennes et musiciens. « C’est assez fou et à la fois super simple », se réjouit l’artiste. Formé l’année dernière lors d’une carte blanche au Festival d’Art de Huy, le collectif OOOTOKO – qui signifie “géant” ou “colosse” en langage nippon – est aujourd’hui un projet à part entière, qui rassemble la crème de la crème de la scène liégeoise : entre les membres de Kowari, Dan San, The Brums, Benni, Eosine et Yew, il y a du beau monde. Invité de marque, la star irlandaise Liam Ó Maonlaí (des Hothouse Flowers) complète l’équipage. « Je me nourris énormément des rencontres avec les gens. Rencontrer quelqu’un, ça ouvre dix portes d’un coup. C’est ça aussi la musique. Faire de la musique avec des gens qu’on n’aime pas, ça ne fonctionne jamais. Je crois qu’il faut toujours qu’il y ait cette rencontre humaine, cette proximité », nous glisse Damien.

Enregistré au studio KOKO, le premier album d’OOOTOKO devrait voir le jour au printemps via le label Flak. « L’enregistrement, c’était rock’n’roll. On a commencé par tout ce qui était rythmique, batterie, basse, clavier, piano, guitare. Puis on a rajouté tout ce qui était cuivres, cordes et accordéon. Puis on a enregistré toutes les voix, en plusieurs couches. C’était super chouette de voir le truc qui prenait forme ! », ajoute l’artiste. Et on le croit sur parole.

Du haut de ses 37 ans, Damien Chierici compte désormais plus de cinq projets à son actif, dans lesquels il s’élève – tant humainement que musicalement – comme compositeur, arrangeur et violoniste. Une chose est sûre : pour un enfant condamné à un futur sans musique, il s’en sort plutôt bien.