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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Musique en ville

vaste débat

Didier Stiers

Par les temps qui courent, pas simple d’être un club ou une salle de concerts… quand on a des voisins ! Entre les “pas dans mon jardin” (le fameux NIMBY) et “il faut défendre la culture”, même les politiques semblent avoir du mal à faire valoir des idées claires. Sinon, le Fuse, ça vous dit quelque chose ?

«La pollution sonore dans nos villes va croissant, brisant la vie de nombreux citoyens européens. Plus qu’une nuisance, le bruit excessif constitue un risque sanitaire, contribuant par exemple aux maladies cardiovasculaires. Pour protéger notre santé, nous devons agir, contre les nombreuses sources de pollution sonore, des véhicules motorisés aux boîtes de nuits et concerts bruyants. » Ainsi parlait en octobre 2018, non pas Zarathoustra, mais le Dr. Zsuzsanna Jakab, devenue directrice générale adjointe de l’Organisation Mondiale de la Santé un an plus tard. Alarmiste, son commentaire ? Ça dépend : en Europe, plus de 20% de la population est touchée par la pollution sonore, le bruit étant considéré comme la seconde nuisance ayant un effet sur la santé. On parle bien de “bruit”, pas uniquement de “son”. Les plus exposés : les gens qui vivent en ville, où cette pollution n’est pas juste le produit du trafic routier ou aérien mais aussi de tout ce qui est lié à l’activité humaine. La chose a été bien entendue par nos autorités. Résultats : ces dernières années, la législation en la matière est devenue plus contraignante et, certes, ce n’est pas toujours une mauvaise chose.

Pourtant… “La musique n’est pas un bruit”, réplique-t-on un peu partout dans les milieux concernés. Live DMA, le réseau européen, non officiel mais reconnu par la Commission, attaché à la défense de la musique live, en fait son leitmotiv. La musique, c’est de l’art, de la diversité, de l’expression et donc de la liberté d’expression. Quelques voisins du Fuse, haut lieu de la techno à Bruxelles depuis des lunes, ne l’ont manifestement jamais entendu de la sorte. Et début 2023, ce paradis de la musique électronique doit fermer ses portes, suite à un Arrêté du gouvernement bruxellois et la plainte d’un voisin. Impossible pour ses exploitants de respecter le prescrit en vigueur, à savoir ne pas dépasser les 95dB et cesser ses activités à deux heures du matin. Peu de temps après pourtant, suite à un assouplissement des mesures imposées par l’Administration, le Fuse rouvre.

 

Lorenzo Serra – Brussels By Night Federation

La gentrification a attiré les familles…
les enfants débarquent et on se plaint d’un bruit venant de lieux qu’on a jadis fréquentés.
De nombreux clubs n’y ont pas survécu.


Selon les cas

Depuis les quatre ans qu’il est coordinateur à l’Atelier Rock de Huy, Patrice Saint-Remy n’a jamais eu à vivre une situation de ce genre. “Ça aurait pu” se dit-on pourtant, quand on voit où et comment est implantée la salle hutoise, enchâssée dans un bloc de bâtiments… Un peu comme le Fuse, finalement, symbole de la difficulté de faire de la musique en ville. Sauf qu’à droite de l’Atelier Rock, il s’agit de la maison des jeunes, inoccupée le soir. Et à gauche, c’est un casino qui s’est installé, coiffé par des appartements. « Il y eu des soucis avant que je n’arrive, commente-t-il. À l’arrière de la salle, il y avait des vitres, donnant sur une petite rue fort étroite et qui faisait donc un peu caisse de résonance. Il a été demandé que ce soit calfeutré. C’est principalement une voisine qui se plaignait tout le temps. Mais je pense qu’elle n’habite plus dans le quartier. Nous n’avons plus reçu de plaintes. » Le son, lui, n’a pas été totalement contenu… « Il n’y a pas eu de réclamations de la part des autres voisins. En même temps, on fait attention à ne pas jouer à 140 dB… »

Aujourd’hui à l’Atelier Rock, on ne se tracasse plus vraiment parce que tel ou tel groupe programmé pratique un genre plus bruyant que les autres. « Les artistes se rendent bien compte de la taille de la salle. Ça ne sert à rien d’y jouer trop fort parce que ça va être plus gênant qu’autre chose. Et de toute manière, on demande en général de ne pas excéder 95dB. Plus, ça ne se justifie pas dans un petit club comme le nôtre. » À Liège, du côté du KulturA, imbriqué dans les bâtisses de la rue Roture, on ne dit pas autre chose. « Pas trop de problèmes de voisinage, commente “JF” Jaspers. Nous n’avons jamais eu de plainte. Mais oui, au début, nous avons dû effectuer quelques travaux. » Au Fuse, on en a déjà effectué, on en a fait réaliser chez le voisin mécontent aussi mais ils ont manifestement été insuffisants. Et en faire plus semble impossible, techniquement comme financièrement parlant.

Renvois de balle

Alors oui, le Fuse a rouvert. Mais pour combien de temps, s’est-on vite demandé ? Et puis, c’est l’imbroglio qui s’installe : la direction du club déclare son intention de déménager dans les deux ans. Et mi-février, on apprend qu’une “task force”, dirigée par le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale Rudi Vervoort (PS), étudie les divers paramètres de la situation et envisage des pistes pour la résoudre. Notamment : la possibilité d’exproprier les immeubles avoisinants et l’inscription de certains clubs comme le Fuse au patrimoine immatériel du pays !

Interpellé mi-février en Commission Environnement/Énergie, Alain Maron, ministre (Écolo) du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale chargé de la transition climatique, de l’environnement, de l’énergie et de la démocratie participative, revenait sur ces diverses pistes. « La Ville de Bruxelles et la Région pourraient exproprier des immeubles environnants et leur donner une autre affectation que celle du logement, ce qui pourrait en partie résoudre la question puisqu’il n’y aurait plus de plaignant. » Et d’autre part : « Si l’inscription de certains clubs au patrimoine immatériel ne suffirait pas en soi, elle pourrait toutefois avoir un effet sur la mise en œuvre d’autres législations comme le Code bruxellois de l’aménagement du territoire ou même des législations environnementales. Tous ces éléments sont souvent reliés les uns aux autres et n’ont pas de sens de façon isolée. Ils doivent donc être pris comme un ensemble à traiter conjointement. » Traduction : on y verra plus clair quand la “task force” aura fini de “tasker”.


Quelles règles pour les clubs ?
Il aura fallu attendre un bon moment avant que des règles claires ne soient établies quant au niveau sonore admis dans les salles. La problématique était en effet scrutée depuis des années. En 2007, par exemple, l’asbl Modus Vivendi travaillait déjà avec les autorités à l’élaboration d’une “charte du bien-être dans les milieux festifs”, charte dont les signataires se voyaient décerner un label de qualité. Parmi les critères à respecter, celui du niveau sonore, justement : « Agir pour limiter les risques de nuisances sonores au moyen, soit de la mise à disposition de bouchons d’oreilles, soit d’un avertissement au public du niveau sonore émis, ou encore par le placement d’un limiteur de bruit respectant les normes sonores européennes ». À Bruxelles, les règles ont été fixées dans l’Arrêté (régional) du 21 février 2018. Trois seuils sont distingués, valables pour les soirées en intérieur comme pour les concerts en clubs ou en salles. Aucune condition n’est posée en-dessous de 85dB, voilà pour le premier seuil. Jusqu’à 95dB, le public doit être informé des risques liés aux niveaux sonores, le niveau sonore doit être affiché en temps réel et, après minuit, doit être enregistré. Troisième seuil : au-dessus de 100dB, comme… dans les clubs. Où l’on doit pouvoir disposer de bouchons, avoir accès à une zone où le niveau ne dépasse pas 85dB, tandis que les niveaux doivent être enregistrés et ces enregistrements conservés. Et là, enfin, une personne de référence veille au respect de ces conditions.Et en Wallonie, alors ? Un Arrêté, concocté par Carlo Di Antonio, a été publié le 13 décembre 2018 sous l’intitulé “Arrêté du Gouvernement wallon fixant les conditions de diffusion du son amplifié électroniquement dans les établissements ouverts au public”. Avec la précision suivante : “Entrée en vigueur à déterminer par le Gouvernement”. Laquelle entrée en vigueur n’a toujours pas eu lieu et d’ici à ce que cela arrive, c’est toujours un Arrêté royal de 1977 qui prévaut…


Le principe d’antériorité
L’idée est simple : si vous emménagez dans les environs d’un aéroport, d’une scierie ou d’une salle de concerts, vous devez savoir que vous risquez d’entendre un peu de bruit : l’établissement était là avant et, pour peu qu’il respecte les réglementations en vigueur – notamment celles relatives aux nuisances sonores –, il n’y aura pas de raison de venir s’en plaindre. La fermeture initiale du Fuse a inspiré la Brussels By Night Federation qui a demandé qu’on puisse s’inspirer de ce principe. Un principe d’application ailleurs, dans des villes riches en clubs comme Londres (les Anglo-Saxons l’appellent “l’agent of change”) ou à Berlin dont la “nuit” a été déclarée “patrimoine culturel immatériel”. Mais pas chez nous. Comme l’expliquait Lorenzo Serra de la Brussels By Night dans La Libre, ce principe peut avoir son utilité : « Dans les années 90, beaucoup d’habitants se sont installés à Berlin-Est. C’était cool d’y habiter. Et on sait comment ça se passe. La gentrification a attiré les familles avec enfants. Les préoccupations des habitants changent, les enfants débarquent et on se plaint d’un bruit venant de lieux qu’on a jadis fréquentés. De nombreux clubs n’y ont pas survécu. » Chez nos voisins français, l’idée fait également son chemin : suite à un rapport du ministère de l’Intérieur sur le rôle touristique de la nuit, Paris s’y est mis dès 2016. Interpellé à ce sujet également mi-février, le ministre Alain Maron a répondu : « Le fait que le Fuse existe à cet endroit depuis des années peut amener à s’interroger sur les choix des riverains et leur perception de cette nuisance qui préexiste à leur installation. Néanmoins, il convient de faire correspondre la présence de ce type de lieu festif avec des objectifs de qualité de vie. » Et de préciser : « S’agissant de la question de l’agent de changement ou celle de l’antériorité, elle ne pourrait pas s’appliquer pour le Fuse, car si une décision était prise en ce sens maintenant, elle n’aurait pas d’effet rétroactif. On pourrait simplement la rendre d’application à partir d’aujourd’hui mais le Fuse existe depuis longtemps… »


Bourgmestre de nuit, c’est quoi ?
En gros, il s’agit d’une personne chargée par la Ville de traiter des dossiers relatifs à la nuit. Qu’il s’agisse d’économie, de sécurité, de culture, de résoudre avec les autorités des différends à ces propos ou encore d’informer, voire d’éduquer, dans ce secteur également. Les Néerlandais connaissent bien cette fonction : le “nachtburgemeester” à Amsterdam fut d’abord un collectif constitué après élection, en 2003, au Melkweg. Elle s’est institutionnalisée depuis 2014, c’était alors une première mondiale. En Belgique, on y pense… On note des envies, des initiatives, mais pas encore vraiment de coordination. À Saint-Trond par exemple, la Ville s’est mise en quête d’un, d’une ou de plusieurs bourgmestres de nuit : « Des gens sans titre officiel, qui seront chargés d’amener un nouveau souffle dans la vie nocturne. Les personnes candidates vont être soumises à un test : organiser une soirée… ». À Bruxelles, Écolo/Groen a plaidé pour « la désignation (après appel à candidatures et à projets) d’un.e “Bourgmestre de la Nuit” chargé.e d’élaborer un “plan nuit” (navette, prévention, zone “festive” identifiée, concertation avec les habitant·e·s, gestion des nuisances) ». Envie similaire du côté du PS où Delphine Houba, actuelle échevine de la Culture, du Tourisme, des Grands événements et du Matériel communal, entendait soutenir « la création dans nos quartiers. Par exemple en mettant à disposition des locaux de répétition, renforcer le soutien au secteur musical émergent et bruxellois (structures de création, studios d’enregistrement, locaux de répétition, festival…) et l’institution d’un “Bourgmestre de Nuit” pour coordonner la vie nocturne à Bruxelles (soirées, événements, lieux, nuisances, confort des riverains…) ». Finalement… le gouvernement bruxellois crée en 2020 un Conseil de la Nuit, désormais installé au sein de Visit Brussels (l’organisme d’intérêt public subsidié par la Région de Bruxelles-Capitale) et composé notamment de la Brussels by Night Federation, la Fédération Horeca, 24h Brussels, la Ville de Bruxelles et Visit Brussels. Le hic ? Comme le soulignait Ingrid Parmentier (Écolo) en Commission Environnement/Énergie : « Il n’a pas de statut formel et ne compte pas de représentants des habitants vivant à proximité de ces lieux d’activités ni de personnes défendant la santé de ceux-ci et qui soient indépendantes de la Ville de Bruxelles. Pourquoi ne pas institutionnaliser ce Conseil, en effet, avec une composition équilibrée qui représente vraiment tous les intérêts concernés ? ». En outre, Bruxelles Environnement ne participe pas au Conseil bruxellois de la nuit comme membre effectif…


Bruxelles Environnement
L’administration de l’Environnement et de l’Énergie de la Région de Bruxelles-Capitale s’appelle… Bruxelles Environnement. C’est elle qui est chargée de concevoir et de mettre en œuvre les politiques régionales dans toutes les matières liées à l’environnement. Et c’est donc elle qui a imposé la fermeture du Fuse, avant de quelque peu revoir sa copie et d’autoriser une ouverture de deux jours par semaine jusqu’à 7h du matin… Autre “phare” dans le secteur de la musique à Bruxelles : Forest National… dont le permis d’environnement a été renouvelé par la même administration en décembre 2020.  Là, côté bruit, RAS : « Le permis d’environnement existant avait déjà intégré de sévères conditions pour lutter contre les nuisances sonores. Le bureau d’études en charge de la demande de permis a conclu à une absence d’impact, avec et sans concert. »