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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Lubiana

La voie de la kora

Luc Lorfèvre

Après une longue quête artistique, la chanteuse impose sa vision bienveillante du monde sur Beloved, fruit exquis d’un métissage entre ses racines africaines et sa culture pop occidentale.

La persévérance de Lubiana a payé. Dix années séparent son premier album Beloved de ses débuts à The Voice Belgium, lorsqu’elle avait sublimé le classique soul Ain’t No Sunshine de Bill Withers pour convaincre les coachs. « Dix ans c’est long, mais je ne regrette rien, analyse la jeune femme. Avec le recul, je me dis que la vie m’a fait un cadeau en me donnant ces dix années pour me trouver artistiquement et humainement. Je suis reconnaissante des challenges qui se sont mis en travers de ma route et sans lesquels je ne serais pas là aujourd’hui. J’ai écrit des tas de chansons, je n’ai gardé que celles qui me ressemblaient. Il n’y a eu aucun doute pendant l’enregistrement de Beloved. Tout a été fluide et agréable. Je vois cet album comme le début d’un nouveau cycle. »

 

Lubiana

La kora, c’est mon âme sœur,
elle me donne la force et me permet de m’exprimer.

 

Cette quête d’une décennie a été est marquée par une rencontre bouleversante. Fille d’une maman belge et d’un papa camerounais, tous deux architectes, Lubiana a dix-sept ans lorsqu’elle a la révélation lors d’un séjour en Espagne. « J’ai d’abord entendu le son qui s’élevait d’une place bondée de Majorque, puis j’ai vu l’instrument. Tout de suite, j’ai su que j’allais en jouer. » Ce son, c’est celui de la kora, harpe à calebasse issue de la tradition culturelle de l’Afrique de l’Ouest. La kora est principalement associée aux griots, ces poètes/conteurs masculins qui s’en transmettent les secrets de génération en génération. Lubiana est une des rares femmes à en jouer. Les cordes de la kora, la chaleur du bois d’ébène qui sert à fabriquer le manche, la douceur de la peau entourant la calebasse font partie intégrante de Beloved. On l’entend dès le premier murmure de la plage titulaire et elle nous ensorcelle encore sur l’ultime incantation de Take Me To Zion, clin d’œil pas si lointain à To Zion, qui se nichait sur le cultissime The Miseducation Of Lauryn Hill.

Beloved n’est pourtant pas un album de musiques du monde. C’est celui d’une femme, d’une citoyenne du monde. Même si on sent les influences d’icônes comme Sade, Erikah Badu, voire Sarah Vaughan, c’est un album de Lubiana. Elle y met ses influences métissées, son parcours artistique qui se confond à son chemin existentiel, ainsi que toutes ses aspirations, à commencer par l’Amour avec un grand "A". « Quand j’ai commencé à jouer de la kora, j’ai reçu la  "bénédiction" du musicien Toumani Diabaté. Il me disait qu’elle m’avait choisie. Je n’en joue pas comme les griots, je ne vole pas une culture qui n’est pas la mienne. Mais c’est mon âme sœur, elle me donne la force et me permet de m’exprimer. »

Dance et trance

Lubiana invite à la danse (le très pop Fighter, Feeling Low) et à la trance (Diarabi). Elle abolit les frontières (We carry all colors), se donne confiance (Self Love), remonte le temps (Mamy Mianga) pour mieux embrasser le présent (I wanna dance with you). "Beloved" se traduit par "bien aimée". "Bien aimée" est aussi la signification du prénom Lubiana. Mais le symbole est encore plus fort à la lueur d’une autre rencontre faite par la chanteuse. «Je suis partie il y a quelques années à Los Angeles pour tenter ma chance. Je passais d’une soirée open mic à un showcase. Je me sentais au fond du trou, lassée des rendez-vous manqués, des fausses promesses et des phrases qui commençaient par « on aime bien ce que tu fais, mais … ». Car il y avait toujours un "mais". Après un open mic, deux femmes sont venues me voir : Beau et Belah. Elles ont vu ma détresse. On a beaucoup parlé. On a beaucoup pleuré. Avant de nous quitter, Beau m’a donné un livre de Toni Morrison qui s’appelait Beloved. Entre les pages, Beau avait laissé un dessin d’un visage de femme. Elle me ressemblait, c’était moi. C’était comme un signe, la preuve que tout ce chemin parcouru avait du sens pour moi. » Lubiana a punaisé ce dessin au-dessus de son lit. Oui, tout ça a du sens.


Lubiana
Beloved
6 & 7/[PIAS]