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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Echo Collective

Aventuriers du son

Didier Stiers

Jusqu’ici, ils s’étaient plutôt mis au service d’autres artistes. Sur scène à leurs côtés ou, comme ce fut le cas notamment pour Amnesiac de Radiohead, en réinterprétant certaines de leurs œuvres. Cette fois, les Bruxellois d’Echo Collective franchissent enfin le pas, celui d’un premier album fait de compositions originales. Lesquelles auraient été autres s’ils n’avaient jamais rencontré le duo A Winged Victory For The Sullen, Andrew McPherson, l’inventeur du ‘Magnetic Resonator Piano’ (MRP pour les intimes) et Kurt Overbergh, le programmateur de l’Ancienne Belgique.

Echo Collective: Margaret Hermant et Neil Leiter

À l’origine, Echo Collective, c’est Margaret Hermant (violon, harpe) et Neil Leiter (alto), celui-ci invitant la première à le rejoindre pour travailler avec A Winged Victory For The Sullen, le duo formé par Adam Wiltzie et Dustin O’Halloran. Cette collaboration initiale a, depuis lors, généré de nombreuses rencontres et projets : avec Stars Of The Lid, l’autre groupe de Wiltzie, avec O’Halloran en solo… « En œuvrant avec eux, nous sommes un peu entrés dans une famille musicale qui compte aussi Jóhann Jóhannsson. Nous avons fait la connaissance de Francesco Donadello (qui a travaillé avec Modeselektor & Tom Yorke, Efterklang, Moderat – ndlr) qui a mixé notre album. Ce sont ces premières rencontres qui nous ont permis de croiser Tom Lezaire : il est notre ingé-son depuis longtemps et un membre important du groupe. »

Lundi 5 octobre, Ancienne Belgique. Echo Collective est en résidence, histoire de préparer le concert de présentation de ce nouvel album. Le ‘vrai’ premier du groupe, en fait. Rien que des compos originales. Sous un visuel signé Florian Guibert, The See Within est dans les bacs depuis le 30 octobre. Dans le fond de la salle trône ce fameux MRP, fruit des travaux de recherches d’Andrew McPherson, actuellement directeur de l’Instrument Music Lab du Queen Mary College à Londres. Un magnifique piano à queue, tout ce qu’il y a de plus acoustique mais ‘augmenté’ électroniquement. En clair : des électroaimants placés au-dessus des cordes permettent d’obtenir de nouveaux sons, eux aussi acoustiques, en faisant vibrer ces mêmes cordes indépendamment du contact avec les marteaux. Vous avez dit fascinant ?

Comment Neil a-t-il présenté les choses, lors de la formation du groupe ?
Margaret Hermant : Pour le dire de façon un peu imagée, Neil m’appelle, il y a sept, huit ans déjà, et me dit qu’il aimerait bien que je l’accompagne pour former un trio. Lui et moi donc, et Charlotte Danhier qui est violoncelliste. Il nous explique : « C’est de la musique assez ‘ambiance’, atmosphérique, je pense que ce n’est pas très difficile du point de vue technique, mais il faut vraiment s’adapter au niveau du son. Les gars de A Winged Victory sont super chouettes, il faut juste boire un whisky avant de jouer ! » (rires) Voilà pour l’anecdote, mais c’était un peu ça : nous allons jouer ensemble, dans un projet que nous ne connaissons pas encore, que nous allons découvrir et qui semble chouette…

Concrètement, qu’est-ce qui a poussé des artistes comme vous à ne plus se contenter de ces collaborations, à vouloir monter votre propre groupe ?
MH : L’impulsion est vraiment venue de Neil. Au fur et à mesure des rencontres, nous avons imaginé de fonder un collectif avec lequel jouer, toujours dans cette même démarche artistique, cette musique qui nous semblait nouvelle. En tout cas, c’était une expérience qui, selon nous, méritait d’être approfondie, pour entrer dans cet univers-là et travailler de façon un peu plus intensive. Le fond, c’était cet élan-là : après tout ce que nous avons pu apprendre, après ce chemin parcouru ensemble, voir qui nous sommes au fond de nous… et se lancer, créer notre propre matériel. Ensuite, Neil et moi avons commencé à écrire de la musique en compagnie de Gary De Cart, le pianiste avec lequel nous avions déjà collaboré précédemment.
 

Margart Hermant

Les gars de A Winged Victory sont super chouettes,
il faut juste boire un whisky avant de jouer !


Et aujourd’hui, vous êtes toujours accros au whisky ?
Neil Leiter : Oui… Nous venons du classique et quelque part, c’est un monde vraiment codifié, très strict. Dans ma vie de musicien professionnel, je n’aurais jamais imaginé boire un whisky avant d’aller sur scène. C’est juste impossible ! Aujourd’hui, nous sentons que nous pouvons laisser aller, éprouver des émotions. On ne nous demande pas de jouer du Paganini, c’est plus une question de son, de textures.
MH : C’est une autre perspective. La musique que nous avons découverte via ce courant post-classique est plus sensitive, effectivement, mais plus exigeante au niveau du son. Comment il se mélange, les textures, les ambiances… La question est aussi de savoir comment amener le public à rester à l’écoute avec des choses assez simples et minimalistes. Ce n’est pas une musique basée sur le rythme par exemple, ou alors elle l’est sur le rythme du corps, intérieur. Ce sont d’autres de ses paramètres qui sont actionnés. Et qui effectivement ne sont pas toujours actionnés dans l’univers que nous avons pu partager auparavant : la musique de chambre, la musique d’orchestre. Qui sont toutes magnifiques, mais là, nous avons tout simplement encore ouvert une autre porte.

À l’école du classique

Pourquoi un album personnel seulement maintenant ?
MH : Justement, parce que quand nous avons commencé à jouer ensemble, c’était pour des collaborations. Nous avons aussi produit, arrangé, et c’est un petit peu toutes ces étapes, nos étapes à nous, qui nous ont donné l’envie d’essayer de composer. Là, c’était un peu l’étape ultime : nous avons confiance en qui nous sommes, nous nous connaissons suffisamment, nous avons envie des mêmes choses, nous savons que nous fonctionnons bien ensemble, lançons-nous là-dedans !
NL : Nous venons du classique où, souvent, les gens ne se donnent pas la permission d’être compositeurs s’ils n’ont pas un diplôme de composition, et d’être arrangeurs s’ils n’ont pas étudié l’arrangement. Quelque part, ça nous a aussi un peu ‘formés’. Il y a deux ans, nous avons eu l’occasion de produire et d’arranger tout un album pour Erasure. Et avant ça, nous avons travaillé sur le Radiohead. C’était chaque fois une première pour nous. Finalement, nous nous sommes dit que si nous décidions de le faire, il n’était pas nécessaire d’être formés pour y arriver ! Mais il nous a fallu un peu de temps pour réaliser que nous pouvions nous donner cette permission. Après, je crois que le parcours était parfait parce que nous étions prêts au bon moment : si nous nous étions essayés à la composition il y a cinq ans, je suis certain que nous n’aurions pas été très fiers du résultat.

Echo Collective a vu le jour pour accompagner A Winged Victory For The Sullen, mais diriez-vous qu’ils ont aussi orienté ce que vous avez commencé à jouer en propre ?
MH : Pour moi, c’est vraiment eux mais de façon inconsciente. Eux et d’autres, qui font aussi de la musique de film, on les entend tout le temps. C’est une musique qui accompagne, qui crée des ambiances. Personnellement, je ne connaissais ni les noms, ni ce courant-là. Mais j’ai toujours beaucoup aimé la musique minimaliste. Et la musique baroque qui, pour moi, se rapprocherait de ce courant parce qu’elle est fort basée sur l’harmonie, le son et les textures. Mais sans A Winged Victory For The Sullen, je n’aurais jamais été attirée par le post-classique.
NL : En les rencontrant et en jouant avec eux, j’ai eu le sentiment de découvrir la musique dont j’ignorais l’existence mais que j’avais cherchée toute ma vie. J’ai toujours préféré les mouvements lents des symphonies. Dans la 7e de Beethoven par exemple, il est juste incroyable. Venant du classique, nous connaissons Arvo Pärt – qui m’a fort touché aussi –, John Cage ou John Adams qui y sont approuvés, mais je ne connaissais pas du tout ce courant post-classique. Alors y être introduit et porté par cette vague, c’était très intéressant.
 

Neil Leiter

C’est intéressant de voir comment un projet amène à considérer
un son d’une autre façon et de chercher comment l’approcher.


À la différence de certains, vous vous en tenez strictement à l’acoustique ? Vous le mentionnez même sur le disque !
NL : Beaucoup d’artistes comme A Winged Victory, ou Jóhann Jóhannsson avec qui nous avons aussi travaillé, créent un dialogue entre électronique et acoustique. En tant qu’Echo Collective, nous voulons essayer de rester dans l’acoustique et de limiter aussi la post-production. Avec le MRP, on frôle les textures électroniques. Avec les cordes, nous avons appris à amplifier et jouer d’une manière telle que cette question ‘électronique vs. acoustique’ devient très ambiguë. Mais de notre point de vue, c’est vraiment acoustique et c’est important dans notre démarche. Nous voulons créer quelque chose de naturel. Avec cet album, nous avons voulu chercher dans l’acoustique des sons très saturés, plus saturés qu’on pourrait l’imaginer pour de l’acoustique mais qui restent naturels. Un morceau comme Glitch semble dénoter un travail un peu plus ‘expérimental’ sur les textures.
MH : Pour moi, Glitch reflète vraiment la découverte du MRP. Nous ne l’avions pas encore touché, nous ne savions pas exactement ce qui pouvait sonner, nous en avions juste une vague idée pour avoir discuté avec Andrew, le fabricant de ces… aimants. En studio, nous avons pris un peu de temps pour l’explorer et c’est en l’explorant que, bêtement, un peu venu de nulle part, nous avons trouvé ce son. Il nous paraissait intéressant, fragile, et donc nous avons voulu écrire un morceau avec celui-ci. L’idée est vraiment venue de la technique, pas de nous, et donc oui, dans ce sens-là, c’est expérimental.
NL : Ce son, c’est vraiment le son acoustique du piano, aussi incroyable que ça puisse paraître, uniquement produit par la relation entre les aimants et les cordes. Nous espérions juste trouver quelque chose qui donnerait une texture, et oui, cette texture a inspiré la construction du morceau.

La tonalité de l’album, ce côté un peu planant, méditatif, mélancolique parfois, viendrait-il aussi de l’état d’esprit dans lequel vous étiez quand vous avez écrit et composé ?
MH : Je pense que ça aussi émerge un peu de là où nous nous sommes rencontrés. C’est toujours une musique plutôt méditative, qui apaise. Comme nous nous sommes retrouvés dans ce milieu-là, ensemble, nous avons eu envie de faire cette musique-là. Et c’était le but : l’idée n’était pas d’arriver à quelque chose de super rythmique ou saccadé !
NL : Nous avons été super touchés par cette musique !
MH : Voilà ! Quelque part, c’est simplement la suite logique de ce que nous avons vécu ensemble. Ce n’est pas un état émotionnel de ce moment-là, non. Ça ne représente pas forcément une période de vie mais plutôt ce que nous avons toujours fait ensemble depuis six ou sept ans. Et ce dans quoi le pianiste Gary De Cart s’inscrit complètement parce que c’est ce qu’il aime faire lui aussi.

Jusqu’au black metal

Les étiquettes sont parfois des fourre-tout ou des marottes de journalistes, mais vous semblez tenir à celle de ‘post-classique’. Pour vous, elle a du sens, elle vous situe sur la scène musicale ?
NL : C’est peut-être un peu tôt pour coller une étiquette…
MH : Je pense effectivement que c’est plus facile de le faire après. Mais ‘post-classique’, oui… Beaucoup d’artistes qui font partie de ce milieu-là sont des musiciens intuitifs qui n’écrivent pas la musique, qui l’écrivent plus tard ou qui ont leur propre code pour ça. Pour moi, c’est plutôt qu’ils utilisent des instruments acoustiques. Un piano, surtout : le piano a été beaucoup utilisé dans ce genre de musique. Des cordes, aussi. Et on sort un peu du schéma rock traditionnel batterie/basse/guitare/chant. En général, ce n’est pas de la musique vocale dans le sens ‘leader chanteur ‘, mais une démarche plutôt sensitive et intuitive. Donc effectivement, ‘post-classical’… pfff, oui !

Mais comme vous le mentionniez, ça ne vous a pas empêchés de vous aventurer dans d’autres styles, au travers de toute une série de collaborations. Qu’avez-vous trouvé chez Erasure, par exemple ?
NL : Pour moi, le travail avec Erasure a quelque peu amené celui avec le MRP. Pour eux, nous avions décidé de travailler sans percussions, mis à part le vibraphone. Mais nous voulions l’utiliser de manière à rendre le côté shiny de la pop. À cette occasion, nous nous sommes demandé comment les instruments tels que le vibraphone ou le piano pouvaient être traités pour éliminer l’attaque. Parce qu’ils ont une nature un peu restrictive : on attaque la note, puis on a d’office un decrescendo. Y a-t-il moyen de conserver ces sonorités tellement intéressantes mais en détournant la nature de l’instrument ? C’est en creusant dans cette direction que nous sommes tombés sur le MRP et les recherches d’Andrew. C’est intéressant de voir comment un projet amène à considérer un son d’une autre façon, et de chercher comment l’approcher. C’est important, cet apprentissage permanent, il nourrit, il aide à grandir.
 

Neil Leiter
Mais si on me demande dans quel film…
Je dirais des films comme ceux de Denis Villeneuve.

 

Vous avez aussi joué Daobi Baldrs écrit par Varg Vikernes du projet norvégien Burzum : où le black metal vous a-t-il emmenés, alors?
NL : Puisque c’était un projet de Kurt Overbergh, le programmateur de l’Ancienne Belgique, et qu’il a très bien fonctionné, ça nous a tout d’abord permis de renforcer notre relation avec l’AB. D’autre part, ce Daobi Baldrs comporte plusieurs mouvements relevant vraiment de la musique post-classique, qui sont vraiment intéressants, hyper beaux et, oui, qui nous ont fort touchés. Je crois que c’est cette démarche de construction dans le minimalisme qui nous a motivés.

Echo Collective a également travaillé sur des musiques de films et de séries. Si The See Within était la bande originale d’un film, de quel genre serait-il ?
MH : Oh, je n’ai pas du tout pensé à ça ! En général, nous composons la musique du film en relation avec la rencontre du réalisateur et du coup, d’autres choses surviennent. Ici effectivement, nous n’avons pas composé sur des images. Je veux dire que les images viennent après. Avant, c’est plutôt un truc physique, de sensations. D’ailleurs, nous avons réfléchi au visuel de l’album bien après que les morceaux soient terminés. Nous trois en tout cas, nous fonctionnons plutôt dans ce sens-là. Je serais donc hyper contente qu’un réalisateur se dise qu’il avait besoin d’être inspiré par cette musique pour animer son visuel. Ce serait vraiment magnifique. Mais si on me demande dans quel film, je pourrais en citer plein que j’aime… Je dirais des films comme ceux de Denis Villeneuve par exemple.
NL : Avec l’un ou l’autre morceau, j’ai des visions de lieux… Quel genre de film ? En tout cas, ce ne sera pas nécessairement une comédie (rires). Peut-être plutôt un film un peu plus fantastique, ou de guerre, ou alors avec de longs plans. Comme c’est de la musique construite sur un long fil, visuellement, ça marchera mieux sur un plan de longue durée. Avec Respire par exemple, j’ai des images de fin de bataille, quand il n’y a pas de mouvement, et quelque part une vraie tristesse intérieure mais il n’y a personne qui reste pour ressentir cette tristesse… Enfin, ça c’est juste ma vision ! J’espère que les réalisateurs vont beaucoup « visionner », avec notre musique (rires).


 Echo Collective
The See Within
7K!