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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Noé Preszow

Intime conviction

Louise Hermant

Le Bruxellois, découvert il y a trois ans grâce à l’hymne À nous, revient avec un deuxième album aux chansons plus musclées 
et plus nerveuses. Les textes se montrent quant à eux toujours aussi incisifs et engagés.

Dès qu’on écrit son patronyme, des parenthèses indicatives s’ouvrent : “ça se prononce prèchof”. Sans doute fatigué de devoir se coltiner ce mode d’emploi à chacune de ses mentions, l’auteur-compositeur bruxellois tente de faciliter les choses en nommant directement son deuxième album [prèchof]. Un disque dans lequel il continue de faire les présentations et où il ose se dévoiler davantage. Il revient notamment sur son adolescence, une période compliquée, solitaire et cruelle. Non pas pour se lamen-ter mais plutôt pour transformer ses souvenirs et aller de l’avant. 
Un avant qui, autrefois, pouvait l’intimider.

À l’aube de ses 30 ans, Noé Preszow délaisse les fantasmes liés à l’âge pour s’ancrer davantage dans le présent. Toujours en équilibre entre l’intime et le politique, il dédie une chanson aux déplacés d’Ukraine (La gare), s’inquiète de la montée de l’extrême droite (Juste devant) ou dénonce la guerre de l’attention des réseaux sociaux (Prière de n’pas déranger). L’artiste dresse ainsi le portrait d’une époque tout en évitant l’écueil du jugement et du ton moralisateur. Accompagné du bassiste Romain Descampe et du batteur Ziggy Franzen, tous deux échappés de Puggy, ainsi que du très demandé producteur français Ambroise Willaume, alias Sage (Clara Luciani, Clara Ysé, Albin de la Simone…), Noé Preszow monte assurément en puissance. Et prouve que malgré la morosité ambiante, il reste encore des raisons de se bouger.

En 2021, vous publiez votre premier album, êtes nommé dans la catégorie “révélation” des Victoires de la musique et enchaînez les dates partout en France et en Belgique. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cet engouement qui peut sembler soudain?
On me dit souvent que tout a été vite pour moi. J’ai beaucoup œuvré dans l’ombre et ça a été difficile. Il y a eu des années de travail avant la sortie de la chanson À nous. C’était très vertigineux. Les choses arrivent quand elles arrivent. J’ai le souvenir d’un tiraillement. De vivre à la fois quelque chose de très réjouissant, c’était incroyable de voir l’émotion dans les yeux de mes proches par exemple. Et en même temps, d’être un peu troublé par tout ce qu’il se passait. Ça se voit lors de ma prestation aux Victoires de la musique justement. C’était aussi étonnant de voir les gens venir aux concerts pour des chansons précises. Il s’est passé plein de choses, j’ai pu réaliser un certain nombre de rêves. Il y a cette phrase d’Henri Michaux qui m’a toujours un peu hantée : “Faute de soleil, sache mûrir dans la glace”. Quand on apprend à mûrir dans la glace, même si on a le désir de quitter la cave, ce n’est pas si simple que ça. J’ai dû accepter cette lumière que j’ai toujours voulue mais j’ai dû un peu slalomer entre les coups de projecteurs.


Noé Preszow
Je me sens bien avec mes chansons,
je sais ce que je défends et pourquoi je les défends.


C’est-à-dire ? Vous auriez pu profiter davantage de cette lumière?
J’ai fait ce que j’avais envie de faire. Mais il y a une partie de moi qui s’est refermée à ce moment-là car je voulais me protéger d’une certaine manière. Quand on est tout seul dans sa cave, personne ne te fait de commentaires, ni gentils, ni méchants. 
Je ne suis par contre pas du tout nostalgique de cette période. 
J’ai toujours été animé par la musique populaire. Ma salle préférée au monde, c’est Forest National. Donc non, je ne voudrais vraiment pas retourner dans ma cave, même si je ressens malgré tout ce tiraillement.

Est-ce qu’après ce beau succès, on a peur de moins bien faire en revenant avec un deuxième album?
Non mais je suis très conscient d’avoir une place fragile et particulière. C’était déjà le cas pour le premier album et encore plus le cas pour celui-ci. Je me sens néanmoins bien avec mes chansons, je sais ce que je défends et pourquoi je les défends. C’est un vrai plaisir de passer à la radio avec une chanson pleine de mots comme Lintime et le monde.

Pourquoi considérez-vous votre place comme fragile?
Aujourd’hui, on n’est pas très nombreux à faire des chansons qui à la fois portent un regard sociétal avec des prises de position et qui passent aussi à la radio. Je n’ai peut-être pas non plus ce côté “conceptuel” que l’on attend parfois des artistes belges. Je ne joue pas tellement le jeu des réseaux sociaux. Pour toutes ces raisons, je sais que j’occupe une position vulnérable. Je reste animé par une curiosité qui me pousse à faire encore des premières parties. Ça étonne souvent les gens du milieu qui me disent que ça envoie un mauvais signal. Mais ça, je m’en fiche. Renaud m’a appelé 
il y a quelques jours pour me proposer de faire sa première partie lors de sa date au Cirque Royal. Je ne me pose pas trop de questions, je dis oui tout de suite. Ma seule stratégie, c’est d’y aller. D’essayer d’aller vers la vie.

On ressent une autre énergie dans ce disque, vous allez davantage vers le rock. Comment cette direction est-elle arrivée?
Déjà, il y a eu la tournée. Je suis vraiment aujourd’hui sur scène comme je l’étais à 13 ans : je saute dans tous les sens et je pousse des cris. Je crois que cette énergie rock et parfois assez brute de la tournée était quelque part en moi, je devais faire quelque chose de ça. Au tout début de la conception de l’album, j’étais pourtant parti sur un album acoustique, dans la lignée de Charlotte et de 27. Je voulais composer cet album tout seul à la guitare et je suis parti quelque temps en Ardèche. J’avais embarqué ma toute première guitare électrique, qui ne sonne pas très bien. J’ai commencé à rejouer avec elle et à doubler le tempo de certaines chansons. J’avais envie que ça bouge. Le premier album, je l’avais fait sans me soucier de la scène. Mais au moment d’interpréter les chansons en live, je me suis rendu compte que les tonalités étaient un peu basses et je les ai un peu montées. J’ai eu aussi tendance 
à modifier les mélodies sur scène car j’avais besoin de chanter. Le parlé-chanté devenait un peu frustrant. J’ai également renoué avec des artistes que j’écoutais quand j’étais ado : The Cure, 
Hubert-Félix Thiéfaine, Patti Smith… Cet album a quelque chose de plus rock, même s’il reste encore très pop.


Noé Preszow
Dans ma musique, il y a aussi une grande dose de rêve,
de mystère et d’énigme.


Pourquoi ce titre, [prèchof] ? Une manière d’appuyer votre identité, vos racines et de vous dévoiler davantage?
J’avais déjà eu l’idée pour le premier, pour me présenter. Mais je sentais que ce n’était pas le bon album pour faire ça. Avec celui-ci, je me libère pas mal, tant dans le fond que dans la forme donc ça s’y prêtait bien. Je ne voulais pas un mot en français, ni une expression, ni un mot dans une autre langue. Je ne voulais pas non plus un album éponyme mais j’aimais bien l’idée d’un album presque éponyme. Mon nom… mais pas tout à fait. C’est une manière de remettre les points sur les “i”. Je remarque que si je ne sais pas prononcer le nom d’un ou d’une artiste, je peux avoir du mal à plonger dans son univers. Mon nom est facile à prononcer quand on le connaît mais il est objectivement illisible pour nous. Ça m’amusait de jouer avec ça.

Dans la chanson du même nom, vous évoquez vos origines juives polonaises, votre histoire familiale où l’on apprend que vos grands-parents ont connu la déportation. C’était difficile, de trouver comment témoigner de cet héritage, de trouver le bon ton et les mots justes?
Il y a cinq ans, j’ai fait un voyage en Pologne avec mon père et mon frère pour retrouver les traces de ma famille qui a fui ce pays pour arriver en Belgique et pour finalement être déportée dans les camps là-bas. On a trouvé la ville, le registre, la rue. Au numéro de la maison, on a découvert un terrain vague. C’est quelque chose qui m’est resté. Ça a donné naissance à un texte assez long. Je ne savais pas ce que j’allais en faire. Après, j’ai monté un peu un puzzle et coupé dans le texte. C’est devenu une chanson. Je me sentais obligé de la mettre, sans trop me poser de questions. Dans mon disque précédent, il y avait quelques indices, notamment dans Les poches vides et Exil. On me posait souvent des questions sur mes origines. Je slalomais beaucoup. Je me disais que mes origines juives ne seraient jamais un sujet. Mais j’ai eu besoin de me libérer à ce niveau-là.

Cette chanson peut aussi entrer en résonance avec des histoires différentes de la vôtre.
C’est une chanson sur la transmission des traumas de générations en générations. Voilà pourquoi je dis cette phrase : « il s’agira toujours d’un autre dans le miroir ». Elle s’adapte à tous les drames, cultures, origines. Je ne vois pas mon histoire comme un fardeau mais plutôt comme quelque chose qui m’oblige à être lucide sur le monde. Cela explique aussi pourquoi, dans mes albums, il y a toujours quelques chansons plus sociétales. 
Je préfère remplacer un titre plus intime et personnel par un sujet de société. Si je veux assumer le poids de mon héritage, c’est important que cela se retrouve dans mon travail. Mais ce n’est pas non plus un cahier des charges.

Vous avez l’impression d’avoir une sorte de devoir?
Oui, un petit peu. Mais ça n’engage que moi. Quand Annie 
Ernaux a reçu son Nobel, elle a dit : « Si je n’écris pas, c’est comme si les choses n’avaient pas été vécues ». Je crois à ça aussi pour les chansons que j’écris. Pareil pour ce qu’il se passe dans le monde. Ne pas écrire une chanson sur l’Ukraine, par exemple, ça aurait été laisser passer ça. Je veux que plus tard, lorsqu’on se demande ce que je faisais dans les années 2020, on se rappelle de ces événements. C’est important pour moi d’avoir une sorte de marqueur temporel.

Au centre de ce deuxième album, on trouve vos préoccupations sur l’état du monde, un sentiment de révolte envers sa violence, des questionnements autour du futur. Vous estimez-vous plutôt fataliste concernant l’avenir ? Vous dites d’ailleurs « le verre n’est ni à moitié vide, ni à moitié plein. Il est brisé, mais c’est rien ».
Je suis incapable de déplorer. Je ne suis ni pessimiste, ni optimiste, je n’en sais plus rien. Comme je le dis, le verre est brisé mais c’est rien. Je crois que c’est la phrase qui me ressemble le plus dans ce disque. J’ai toujours cette sensation qu’il est possible de régler les choses. J’ai l’impression que le monde bouge. Il devient plus inclusif. On voit aussi que davantage de jeunes viennent aux manifestations. Je crois aux indicateurs assez précis qui peuvent me donner des raisons de me lever le matin. 
Si on réfléchit plus globalement, si on regarde les changements climatiques et les conflits dans le monde, non, ça ne va pas.

Dans votre chanson Juste devant, vous vous emparez de l’actualité et vous déplorez la montée de l’extrême droite en France et en Europe. Peut-on y voir une référence à Hexagone de Renaud?
Je n’y ai pas pensé. C’est vrai que les chansons de Renaud ont eu une telle importance dans ma vie qu’il y a peut-être un lien inconscient qui s’est fait. J’avais besoin d’écrire sur ce sujet. J’étais moi-même surpris par ce refrain qui fait, à nouveau, un détour par mes origines. J’ai compris la chanson en la peaufinant. 
Ce n’est pas juste un constat, ce n’est pas juste moral. Ce n’est pas juste c’est bien ou c’est pas bien. C’est une explication presque viscérale de pourquoi, moi, je suis inquiet. Mais je ne crois pas qu’il faille avoir une histoire familiale qui soit passée par l’exil pour avoir peur de la montée de l’extrême droite. Je suis assez curieux de comment va vivre cette chanson. Je l’ai chanté pendant la première partie de Renaud en décembre dernier. C’était le lendemain du vote autour de la loi immigration, j’ai vu quelques poings qui se sont levés dans la salle. Ce n’est pas une chanson qui dit que ceux qui votent extrême droite sont des cons. 
Elle demande qu’est ce qui fait qu’à un moment donné, les gens votent pour des partis de haine. Je voulais que cette chanson soit ferme et sans ambiguïté. Mais je ne voulais pas qu’on oublie que derrière les votes, on trouve des personnes. Ce n’est pas juste 
un concept. J’ai envie de leur dire que ce n’est pas la solution. C’est très naïf, mais quand on est un chanteur de variété comme moi, on peut se permettre le luxe d’une certaine naïveté !

Appréhendez-vous que l’on vous colle cette étiquette du chanteur engagé qui ne parle que de l’époque qui va mal?
C’est moi, c’est ce que j’ai toujours aimé chez la plupart des 
artistes que j’écoute. J’ai découvert la musique par Brassens, 
Renaud… Il y a quand même un besoin d’équilibre. Ça ne m’intéresse pas de faire un album où chaque chanson est un sujet de société. Dans ma musique, il y a quand même aussi une grande dose de rêve, de mystère et d’énigme. Cela fait aussi partie de moi, ce n’est pas pour jouer les poètes énigmatiques. Je ne me définirais pas comme un chanteur réaliste. J’aime quand Patti Smith reprend des poèmes de Baudelaire et quand elle chante People Have the Power qui est presque un hymne de manif. J’adore que ça se complète, quand il y a de la place pour de la politique et 
de l’onirique. Je n’ai pas l’impression d’être déjà une caricature de moi-même. Je suis en tout cas très à l’aise avec le fait de défendre ces chansons-là.

Vous aimeriez, un jour, entendre l’une de vos chansons en manif?
Je crois vraiment qu’on ne peut pas le décider, sinon la chanson serait mauvaise. Moi, j’adore les chansons de manifs. J’assume totalement ! Je trouve ça génial que les manifestantes 
et manifestants reprennent des chansons populaires comme La grenade, On lâche rien, Sans la nommer ou Bella Ciao. Mais je ne vais jamais chercher à reproduire ça. Quand j’ai commencé l’Unif – j’ai seulement fait une semaine – je me suis impliqué dans la lutte des sans-papiers afghans pour laquelle j’ai écrit une chanson. On l’a chantée pendant les différentes marches organisées dans toute la Belgique. Je n’ai jamais oublié cette expérience-là. Ça fait aussi partie de mon histoire.


Noé Preszow
[prèchof]
tôt Ou tard