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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Sale temps pour les salles de concerts

Didier Zacharie

"Winter is coming”. Pour nombre de salles de concerts de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’hiver et la flambée des coûts de l’énergie risquent de plomber des finances déjà mises à mal par la pandémie et une reprise en dents de scie.

Face à la flambée des prix de l’énergie, le constat est le même pour toutes les salles interrogées : cette crise énergétique est, pour le moins, « embêtante ». « Comme tout le monde, l’inflation risque de plomber notre budget, résume parfaitement Nicolas Sand du Zik-Zak Café à Ittre. On suit de près l’évolution des prix et les décisions du gouvernement. Mais on sait que de toute façon, on doit augmenter notre budget énergie ».

 

Frédéric Lamand – L’Entrepôt

2020 était aux deux tiers bizarre, 2021 ne ressemblait à aucune autre
et pour 2022, on a cru au redémarrage, mais il y a autre chose qui débarque.

 

Exemple très concret du coût de l’inflation pour les salles de concerts avec Frédéric Lamand de L’Entrepôt à Arlon : « La facture de gaz est triplée, la facture d’électricité doublée. Ça représente une différence de 15 à 20.000 euros par rapport à l’année dernière. Rien que pour le chauffage, une année normale, on est entre 2.000 et 2.500 euros par mois. Là, les prévisions donnent entre 6.000 et 7.000. C’est conséquent ». Bref, « on essaie de limiter la consommation au maximum ».

Situations différentes

Comment réduire la consommation, telle est la question. Mais si le constat est le même, il faut bien prendre en compte que les situations diffèrent d’une salle à l’autre. Ainsi, le Spirit of 66 est un peu « protégé » par un contrat à prix fixe qui court jusqu’à fin avril 2023 pour l’électricité ; l’Atelier 210 est dans un cas de figure un peu particulier car il dépend d’une école « avec des calculs un peu spéciaux » ; et le Théâtre Molière (géré par l’asbl Muziekpublique) est « pour le moment lié au chauffage de la Tour Bastion qui est alimentée au mazout… La commune d’Ixelles, propriétaire des lieux, prospecte pour installer un système de chauffage indépendant, mais nous sommes dans une galerie, donc la problématique technique est complexe ».

Chaque salle a ses particularités… et son budget. Dans cette affaire, c’est forcément les salles les moins subsidiées qui risquent de souffrir le plus. Ceci étant posé, chacun y va de ses «petits gestes» qui peuvent faire la différence, aussi bien au niveau écologique qu’économique, à moyen terme. Par exemple, « un thermostat qu’on peut paramétrer depuis un smartphone histoire d’être sûrs que quand on fait une résidence d’artistes, le chauffage est bien coupé quand ils quittent les lieux, dit Nicolas du Zik-Zak. On a déjà eu le coup… » Mais ces mesures ne viennent pas répondre à la situation d’urgence.

Fermeture or not fermeture

Au niveau de l’électricité, tout le monde est d’accord pour dire que c’est difficile de réduire allègrement la consommation : « Les consommations liées à la technique son et lumière sont assez incompressibles et représentent la plus grande part des consommations », dit Morgane de Muziekpublique. Au Zik Zak, « on fonctionne déjà partout avec du LED, donc on peut difficilement consommer moins ». Même constat du côté de L’Entrepôt : « L’électricité, c’est compliqué. Je ne vois pas comment limiter… Mettre un ampli sur deux, limiter l’éclairage, il n’y a pas vraiment de solution. Il vaut mieux faire moins d’activités que faire de l’activité à moitié ».

La vraie question est là. Celle de la fermeture pour passer l’hiver et parer à la flambée des prix ou rester ouvert et se débrouiller. Côté Muziekpublique, « on ne pense absolument pas réduire la cadence des activités pour le moment. Annuler nos résidences nous paraît impensable, on ne va pas faire payer les artistes une fois de plus ».

Pour d’autres, il n’y a pas vraiment le choix. Le Zik-Zak, qui fonctionne quasi uniquement sur fonds propres, va fermer de mi-décembre à fin janvier : « On va fermer pendant un mois et demi, histoire de ne quasiment pas consommer d’énergie. Ça aidera à réduire l’impact de l’inflation. C’est malheureux mais c’est parfois moins cher de fermer que d’être ouvert… ». Même réflexion du côté de L’Entrepôt à Arlon (sur fonds propres à 50-60%) qui va également fermer six semaines « au lieu de trois au pic de froid. C’est le plan à court terme parce que c’est compliqué de faire autre chose que du court terme ».

« C’est une diminution des concerts pas du tout volontaire, reprend Nicolas du Zik-Zak. On a été impacté pendant deux ans avec la pandémie et on voudrait bien reprendre normalement mais visiblement, ce n’est pas possible pour deux raisons : la baisse généralisée des fréquentations et les coûts de l’énergie. Et il n’y a pas que l’énergie, en fait, tout augmente. On est confronté à des augmentations de tous bords, même pour le catering par exemple. Ce n’est pas évident ».

Reprise en dents de scie

Car la crise énergétique vient à la suite de la crise du Covid et pourrait être rapidement suivie d’une crise du pouvoir d’achat. Ce qui fait beaucoup de crises à gérer pour un réseau de petites salles qui ne roulent pas sur des lingots d’or, mais sur la fidélité de leur public. Or, il faut bien admettre que, depuis mars 2020, le secteur de la musique live s’en prend plein les gencives. En clair, les crises se multiplient, les habitudes changent et les choses ne sont plus exactement comme avant.

« Depuis la réouverture en janvier dernier, toutes les salles de concerts fonctionnent en dents de scie, dit Nicolas Sand du Zik-Zak. C’est partout pareil en Europe, on voit certains concerts avec une bonne fréquentation, mais pas mal avec très peu de fréquentation. D’un événement à l’autre, c’est complètement différent. Et c’est difficile de prévoir. »

« Ce qui est paradoxal, c’est que les groupes jouent énormément. Il y a un surplus d’offres qui complique sans doute les choses », dit Frédéric Lamand de L’Entrepôt, pour qui la difficulté principale vient « des réservations de dernière minute qui font qu’on ne sait jamais le jour J quelle sera la jauge du concert. Ce n’était pas le cas avant. D’autant qu’il y a moins de monde à la caisse le soir-même. L’été, on ne l’a pas ressenti, c’est seulement depuis septembre ».

Au niveau des perspectives, en tout cas, ça se pose là. « Il faudra faire un bilan en février, continue Frédéric Lamand. Mais ça va de nouveau être les chiffres d’une année bizarre. 2020 était aux deux-tiers bizarre, 2021 ne ressemblait à aucune autre et pour 2022, on a cru au redémarrage, mais il y a autre chose qui débarque ».

Croisement de crises

Le gaz et l’électricité ne sont donc qu’une partie d’un problème plus vaste : une succession de crises qui rend les choses très incertaines. Le public a non seulement changé d’habitudes (un constat peut-être lié au surplus d’offres musicales et culturelles post-Covid) mais il voit désormais son pouvoir d’achat diminuer. Nicolas Sand : « Hier, dans la salle, je discutais avec un client pourtant très fidèle qui me disait : "J’aurais aimé venir avant-hier aussi, mais financièrement, je dois un peu choisir" ».

C’est la crise qui pointe le bout de son nez, celle du pouvoir d’achat. Et pour d’aucuns, cela risque d’être la plus difficile. « Pour bien faire, il faudrait que nous aussi, on augmente les prix, mais si on fait ça, les gens viendront encore moins, continue Nicolas Sand du Zik-Zak. On est dans une boucle infernale. Je pense que ça va être très difficile dans les mois à venir. Il faut espérer que ça change assez rapidement au niveau international, que l’hiver ne soit pas trop froid et que des solutions soient dégagées au niveau de l’État sur le pouvoir d’achat pour que les salles puissent continuer à fonctionner ».

« C’est le flou qui est très pénible à vivre, poursuit Nicolas Sand. On se pose beaucoup de questions : « Est-ce qu’on fait la progra maintenant ou est-ce qu’on attend un peu ?», «Où est-ce qu’on en sera dans six mois ? ». Avant, on voyait à douze mois, maintenant, on ne regarde pas plus loin que trois ou quatre mois ». Il ajoute, dans un sourire un peu triste : « Mais on garde le moral et on sait qu’un jour, ça va reprendre. La question, est de savoir si ça ne sera pas dans trop longtemps… ».