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par le Conseil de la Musique

Dans la jungle des albums posthumes

Didier Stiers

Johnny Hallyday, diront les rieurs, aura quand même réussi à nous sortir deux albums après son décès. Certes, ce n’est pas de sa faute… Reste que le disque posthume est généralement une petite entreprise qui ne connaît pas la crise.

Elvis Presley, Whitney Houston, Michael Jackson : on ne compte plus les artistes disparus qui, pourtant, ont continué, voire continuent toujours, à faire frissonner le tiroir-caisse à coups de disques conçus au-delà de leur disparition, pour de bonnes ou de très mauvaises raisons. La scène rap et urbaine est tout aussi exemplaire de ce point de vue, plus récemment encore depuis que les Mac Miller, Pop Smoke, Juice WRLD et autre XXXTentacion ont passé l’arme à gauche.

Quelle jungle !

En général, les fans ne crachent pas sur un album posthume. Reste que la manœuvre n’est jamais sans soulever quelques questions. Comme : hommage ou irrespect ? Surtout s’il s’agit d’anciens titres que l’artiste n’a pas voulu sortir en leurs temps. Autre question encore, aussi cruciale : à qui cela profite-t-il vraiment ? Tout dépend souvent des intentions du label, des ayants droit ou… de l’artiste lui-même. Si Blackstar faillit être un disque posthume puisqu’il est paru le 8 janvier 2016, soit deux jours avant le décès de David Bowie, Closer, le deuxième et dernier album de Joy Division, par exemple, a vu le jour – dans les bacs – le 18 juillet 1980 mais reprend des morceaux écrits (et déjà joués pour certains) en 1979 et 80. Donc avant le suicide de Ian Curtis. Chef-d’oeuvre du post punk ! Magnifique également : Nirvana, unplugged in New York, sorti le 1er novembre 1994, soit près de sept mois après le suicide de Kurt Cobain. Le label voulait un live de Nirvana, alors Dave Grohl et Krist Novoselic finissent par opter pour les titres joués pendant l’émission de MTV. Cet “unplugged” passe pour être l’album “posthume” le plus vendu au monde.

Chez Daptone Records, on sort Soul of a woman et Black velvet une fois les décès de Sharon Jones et de Charles Bradley survenus, en 2016 et 2017. Jimi Hendrix est, lui, un habitué du post-mortem… à son corps défendant. Le plus marquant pour lui, peut-être : First rays of the new rising sun, en 1997. Ce disque-là comble alors les fans qui attendaient le quatrième album du Gaucher : conçu à l’instigation de sa famille par Eddie Kramer, l’ingé-son, il tire la quintessence des premières sorties postérieures au décès d’Hendrix.

Plus rassurant sont évidemment les albums dont on sait qu’ils étaient plus ou moins voulus par leurs auteurs. Welcome2America, par exemple, enregistré en 2010 par Prince et resté inédit jusqu’en juillet 2021. Ou Je suis africain, que Rachid Taha avait presque fini d’enregistrer et de mixer quand il a été terrassé par une crise cardiaque, et qui verra le jour un an après sa disparition.

Bien entendu, quand la seule motivation est le profit financier, en matière d’albums posthumes, on tombe aussi sur des choses au-delà de l’indécence… Mentionnons par exemple ces duos qui n’ont jamais existé du vivant des artistes. Genre Presley et ses Christmas duets en 2008, ou The Notorious BIG et son Duets : The final chapter trois ans plus tôt. Dans le même style sans vergogne, notons aussi Michael, sorti un an et demi après le décès du King Of Pop. On y compte trois titres chantés par un sosie vocal ! Sony a fini par admettre la chose mais prétendant avoir été trompé par les producteurs les ayant fournis. Et Grégory Lemarchal, vous vous souvenez ? Dans sa discographie, on repère l’album La voix d’un ange, sorti un mois et demi après son décès, fourre-tout d’inédits et de reprises enregistrées pendant sa participation à la Star Ac’. Un paquet de singles, du live et des compiles ont encore suivi depuis…

Alors oui, le “business posthume”, c’est un peu la jungle… Mais Anderson .Paak a, lui, déjà résolu le problème, en se faisant tatouer sur l’un de ses avant-bras les mots que voici : « When I’m gone, please don’t release any posthumous albums or songs with my name attached. Those were just demos and never intended to be heard by the public. » L’idée a tellement bien plu à Lana Del Rey qu’elle a décidé de faire apparaître ce genre de mention dans son testament, de sorte que tout projet contraire devra faire l’objet d’une demande légale.

Non mais oui

Mais parfois, les labels se ravisent. Il suffit d’insister un peu et d’avoir une bonne raison… Décédée le 7 mai 2018, Maurane préparait à l’époque un album de reprises de Jacques Brel, qui devait aussi marquer son retour après deux ans d’absence. Au moment de sa disparition, elle n’avait encore enregistré que des maquettes. Pour Polydor, pas question dès lors d’en faire un disque. Sauf que Lou Villafranca, sa fille, voulait que ce “témoignage discographique” de sa maman voit le jour. Ce sera donc chose faite le 12 octobre 2018. La sobriété est de mise, sur ce Brel, instillé par le fidèle pianiste Philippe Decock, qui se charge également des arrangements et de la production de ce disque posthume. « C’était surréaliste, confiait Lou à la RTBF, ce n’était pas toujours simple. On travaillait à l’envers, ce n’était pas facile de caler les musiciens sur la voix de Maurane. Au début, les deux, trois premiers jours, il y avait cette nostalgie qui était là et puis, ensuite, on est allé de l’avant. On devait tracer car il y avait un délai assez short ! »