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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Pierre Dumoulin

Mercenaire du son

Didier Stiers

Le Liégeois n’est pas que l’homme de Roscoe. Loin de là, même : ses activités sont multiples et, alors que son groupe est revenu aux affaires cette année et que pour lui, les concerts ont repris, Pierre Dumoulin s’est même lancé dans un projet de studio!

L’endroit a été baptisé Kargo, avec un “k”, et aménagé dans le bâtiment de la Grand Poste. Un studio donc, pourtant pas exactement comme on l’imagine. « Il est dédié à la créativité et à la création de morceaux, explique son concepteur. On ne va donc pas y faire du produit fini mais vraiment initier des morceaux. » Le concept est assez simple, poursuit Pierre Dumoulin à propos de ce qu’il décrit comme une plateforme de songwriting : « Tout est fait pour booster la créativité. Pas besoin d’être ingénieur du son, c’est très simple à utiliser, très cosy, avec des fauteuils, des plantes… Mon axe principal, c’est aussi de m’en servir comme un lieu où les gens se rencontrent et essaient de créer ensemble. L’idée est un peu de mettre en relation, de fédérer les gens actifs dans le secteur musical en Wallonie et en Belgique. De faire se rencontrer des producteurs, des interprètes, des songwriters… Le lieu peut être loué par quelqu’un en particulier, mais on peut également me demander un soutien pour l’écriture, le mien ou celui d’autres songwriters qui seront plus dans la veine de l’artiste qui vient et avec lesquels je vais alors le mettre en contact. »

 

Pierre Dumoulin

L’idée est de mettre en relation, de fédérer les gens actifs
dans le secteur musical en Wallonie et en Belgique.
De faire se rencontrer des producteurs, des interprètes, des songwriters

 

Il faut dire que les sessions d’écriture, il connaît et il en apprécie les bénéfices. En 2017, il s’y est mis pour le compte d’autres, notamment avec City Lights pour Blanche. « J’ai découvert la force du co-writing, donc de s’entourer pour composer et écrire, il y a quelques années. En Wallonie, ce n’est pas encore trop dans l’air du temps, peu le font, les gens aiment plutôt garder leur processus créatif pour eux. Ici, l’idée n’est pas de les obliger à écrire à plusieurs mais au moins de faire découvrir ce que c’est et l’efficacité que ça peut avoir. Aujourd’hui, j’enchaîne les sessions d’écriture. J’ai souvent des appels d’Universal par exemple, où l’on me dit : « Tel artiste a besoin de chansons, il va venir chez toi, vous allez écrire un morceau… » Disons que je fais un peu le mercenaire du son. J’aime encore bien ça, c’est très complémentaire du reste. »

Liège dans la peau

Pierre Dumoulin, aujourd’hui papa d’un petit garçon, est né dans la Cité ardente en septembre 1982. Il s’est mis à la musique assez vite, dans la foulée du boulot décroché après ses études. « Je suis parti six mois aux États-Unis et puis six mois au Mexique refaire une rhéto. À mon retour, je me suis inscrit à l’IHECS en animation socio-culturelle et éducation permanente… » Quant à la musique, c’était en compagnie de la moitié du Roscoe actuel : « On a eu un groupe de reprises et puis on a rapidement fait nos trucs personnels, pour sortir un premier EP en 2009, puis un premier album chez PIAS en 2012 (Cracks), et un deuxième (Mont Royal) en 2015. On a tourné pas mal en Belgique, en France et au Canada, pour ces deux disques. » Chacun a eu droit à un Octave de la Musique… « C’est toujours une fierté, parce que c’est la reconnaissance de ses pairs. » Des pairs dont l’un ou l’autre connaissent peut-être sa… distraction ! « Je ne sais pas qui m’a dénoncé, s’amuse Pierre, mais oui, même si j’ai appris à vivre avec, je suis super distrait ! Quand on part en tournée, il ne faut jamais me confier les clés du van, par exemple. Je les ai déjà perdues plusieurs fois. Un jour, on les a retrouvées au fond du sac de la batterie où je les avais fait tomber, alors que le van était déjà chargé. On a dû ressortir tout le matos pour les retrouver ! »

 

Pierre Dumoulin

Il y a de chouettes choses à faire ici, à Liège.

 

En tout cas, ce n’est pas demain la veille qu’il risque de quitter la Cité ardente ! « D’autant que je suis occupé à y monter le studio. Il y a eu un vrai questionnement par rapport à sa localisation. Il est en plein centre-ville, donc proche de tous les transports en commun, et en plus de ça, Liège est vraiment en train de bouger. Dans le bon sens, je trouve. Plein de choses se mettent en place, il y a une dynamique très positive à laquelle j’avais envie de participer. Il y a de chouettes choses à faire ici ! » Bref, Pierre Dumoulin aime sa ville… qu’il peut contempler ces temps-ci d’un peu plus haut : « Je suis juste un peu à l’extérieur du centre, sur une petite colline, mais à 500 mètres de la place principale, dans un petit quartier un peu plus résidentiel. »

Dépressif ?

Aujourd’hui, il sait pourquoi il fait de la musique. Et pourquoi il ne fait pas que ça, lui qui est aussi administrateur à la Sabam, a conçu des sites Internet à ses débuts et travaille présentement au département communication d’une fédération d’entreprises. « Dans la vie, je suis quelqu’un de très taiseux, je n’exprime pas facilement mes sentiments. La musique est un peu mon moyen d’expression, mon exutoire. Quand j’en fais, j’ai l’impression que je peux tout dire. » Même en tant qu’auditeur, elle a constamment suscité chez lui des sentiments très forts : « J’ai toujours adoré la musique assez calme et assez atmosphérique. Quand j’étais jeune, mes parents pensaient que j’étais dépressif parce que j’écoutais de la musique calme, du Radiohead, plus tard James Blake… Mais c’est de la musique qui me rend heureux. Voilà un peu pourquoi j’en fais. Ça me procure aussi de fortes émotions. J’adore ce moment où tu as l’impression que tout se met en place dans un morceau, c’est très jouissif. Ensuite, le partager avec les gens est très positif, très valorisant. C’est un des seuls trucs que je fais dans lesquels je me sens vraiment légitime, où j’ai l’impression vraiment d’avoir un truc à apporter et d’être pertinent. »

Pourquoi ne pas faire que ça, alors ? Question de ne pratiquer la musique que pour les bonnes raisons ! « Ce qui ne serait pas le cas si je devais avoir une démarche ultra commerciale, me dire qu’il faut absolument que j’écrive des tubes, des trucs qui rapportent du pognon pour pouvoir vivre. Parce que l’air de rien, pour pouvoir vivre de ta musique, il faut quand même déjà y aller ! Surtout que j’ai décidé de ne pas garder le statut d’artiste, après quelques années, pour des raisons philosophiques. » Le boulot, c’est donc une question d’équilibre. « Et quand je suis au boulot, je n’ai qu’une envie, c’est de faire de la musique ! »