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Le magazine de l’actualité musicale en Fédération Wallonie - Bruxelles
par le Conseil de la Musique

Albane Carrère

Madame Rêve

Luc Lorfèvre

Accompagnée du pianiste Nicolas Krüger et du violoncelliste Sébastien Walnier, la mezzo-soprano se sublime sur Il est quelqu’un sur terre, copieux album paru sur le label classique Cypres. La chanteuse pose sa voix ensorcelante sur des mélodies corses, du folk grec et des chansons françaises modernes puisées dans le répertoire d’Alain Bashung, de Brigitte Fontaine ou encore de Dominique A. Rencontre avec une artiste à l’élégance rare qui aime bousculer les codes.

Albane Carrère vient d’interpréter à la Monnaie le rôle de La Femme (The Woman) dans le second volet de l’opéra Is This The End ? de Jean-Luc Fafchamps. Auparavant, la mezzo-soprano à la renommée internationale a incarné le travesti Chérubino dans Les Noces du Figaro, Annina dans La Traviata, Idamante à l’Opéra d’Avignon dans Idomeneo de Mozart ou encore la bohémienne Mercédès dans le Carmen de Bizet. Du baroque au contemporain, elle peut tout chanter. Mais avec Il est quelqu’un sur terre, Albane Carrère s’aventure dans un registre et des formats plus proches de la pop que du répertoire classique. « Ce disque est né pendant le confinement. Je ne pouvais plus faire de la scène mais l’envie de musique était là. Avec le pianiste Nicolas Krüger, nous nous sommes d’abord plongés dans les chansons et mélodies populaires corses d’Henri Tomasi. Nous sommes restés dans la Méditerranée avec le folk grec de Benjamin Britten et le répertoire italien de Luciano Berio. De fil en aiguille, il y avait matière à un album qui répondait parfaitement à cette idée d’une carte blanche que m’avait proposée Cédric Hustinx, responsable du label classique Cypres », explique-t-elle. Riche de 30 extraits, cet album qui abolit les frontières des genres musicaux s’enrichit aussi du travail d’arrangement de Jean-Luc Fafchamps sur des chansons françaises modernes. Albane Carrère se réapproprie ainsi Toutes Les Choses de Claude Semal, Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve que Serge Gainsbourg avait écrit pour Jane Birkin, Belle Abandonnée de Brigitte Fontaine, Immortels de Dominique A, ainsi que le magnifique Madame Rêve de Bashung, l’un des sommets d’Il est quelqu’un sur terre.


Albane Carrère

J’ai toujours été fan de Radiohead, Sting ou Jeff Buckley…


« Hormis Claude Semal, je connaissais déjà l’univers de ces artistes. Je me souviens par exemple avoir écouté en boucle Madame Rêve lors d’une croisière dans les îles grecques avec ma sœur et son compagnon. Le virus de la musique classique, je l’ai eu grâce à mon père. Il ne mettait que ça dans l’autoradio lors des longs voyages que nous faisions en famille. Je fermais les yeux et je me refugiais dans ma bulle. Ma mère m’a initiée à la pop. J’ai toujours été fan de Radiohead, Sting, Jeff Buckley… Interpréter Madame Rêve ou Immortels de Dominique A demande du travail. Je m’intéresse au texte, au contexte du morceau, comme je le fais pour un opéra. Mais c’est aussi une autre expérience. En pop, il n’y a pas cette pression du son qui doit être pur ou “connecté”. J’utilise un peu ma voix lyrique, mais pas trop… Je peux davantage me laisser aller et c’est un sentiment très agréable. » L’aisance vocale d’Albane Carrère est impressionnante. Elle n’est jamais dans la performance. Albane chante au naturel. Avec élégance et sans se forcer. Jean-Luc Fafchamps parle « de miracle de l’interprétation parce qu’elle s’exprime avec une réelle intériorité ». Un compliment qui fait presque rougir l’intéressée. « Je ne m’inscris pas dans ce courant qui tend vers la démonstration technique. Je ne veux rien prouver quand je chante. J’essaye simplement de ressentir les choses et de les exprimer à ma manière, en puisant dans mon propre ressenti. Ça peut aller très loin comme avec Madame Rêve dont le texte mystérieux évoque le plaisir féminin. Je me dis toujours que le chant est un langage, mon langage, ma manière d’exprimer des choses que j’ai peut-être du mal à faire ressortir dans la vie de tous les jours. » Une approche humaine et profondément humble qui rend ce projet encore plus attachant.